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Propos polémiques et faits divers dramatiques : l'épineuse sortie en salles du film "Rodeo"
Lola Quivoron lors de la présentation de "Rodéo" à Cannes.
JPPARIENTE/JMHAEDRICH/SIPA

Propos polémiques et faits divers dramatiques : l'épineuse sortie en salles du film "Rodeo"

Mauvais calendrier

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Décriée sur les réseaux sociaux après une interview au média Konbini dans lequel elle semblait prendre la défense des rodéos urbains, la réalisatrice Lola Quivoron voit son film « Rodeo » sortir au cinéma dans un contexte peu propice, alors que la pratique vient encore de causer de graves accidents. Exemple d'une promo mal partie.

La polémique poursuit le film Rodeo, et sa jeune réalisatrice Lola Quivoron, 33 ans. Ce premier film, qui sortira en salles le 7 septembre, a pourtant été bien accueilli par la critique lors du festival de Cannes au printemps. Il y a reçu le « coup de cœur du jury » de la sélection « Un certain regard » consacrée au cinéma d'auteur. Mais le film aborde un sujet explosif : le « cross-bitume », comme l'appellent ses adeptes.

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Il s'agit d'une pratique illégale et dangereuse de la moto, qui consiste à foncer à toute vitesse en réalisant des « figures », comme rouler sur la seule roue arrière de l'engin. Originaire des États-Unis, et notamment de la ville de Baltimore, cette discipline décriée s'est largement répandue en France et apparaît avec Rodéo pour la première fois dans une fiction au cinéma.

Indignation

Hors de la presse spécialisée et de quelques cinéphiles, peu de personnes ont encore vu ce film. Il raconte l'histoire d'une jeune fille marginale et passionnée de motos qui s'infiltre dans un groupe de motards. La polémique est née d'une interview de promotion, accordée par Lola Quivoron au média Konbini en mai dernier. Regrettant la « criminalisation » d'une pratique qu'elle assimile à une passion sportive, la réalisatrice glisse : « les accidents, ils sont souvent causés par les flics qui prennent en chasse, qui poussent les riders[pilotes] vers la mort en fait ». Cette phrase est placée dès le début de la vidéo par Konbini.

Massivement partagée, l'interview a suscité de très nombreuses réactions indignées, émanant notamment des syndicats policiers et de certains politiques comme le maire de Cannes David Lisnard (LR). Depuis, les propos de Lola Quivoron ressurgissent à chaque accident impliquant un « rodéo sauvage ».

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Dernier exemple en date, le 5 août dernier. Deux enfants de 10 et 11 ans ont été grièvement blessés par un motard à Pontoise (Val-d'Oise). En réaction, le ministère de l'Intérieur Gérald Darmanin a appelé à intensifier les contrôles de police pour, dit-il, « lutter contre ces actes criminels de gens qui prennent la route pour leur route ».

La réalisatrice accuse Konbini

Pour tenter d'éteindre la polémique, la réalisatrice Lola Quivoron est sortie du silence, le 25 juillet dernier, dans le Parisien. « On a très vite associé mon film aux rodéos urbains aux rodéos sauvages. Or je ne mets en scène aucun rodéo urbain. On ne voit pas de riders rouler en ville dans mon film, pas non plus de course-poursuite avec la police qui n’apparaît jamais. Mes propos ont été caricaturés, surinterprétés, extrapolés (...)», se défendait-elle, assurant ne pas vouloir « incriminer la police » et comprendre que ses mots aient pu choquer.

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Elle accusait en fait le montage de Konbini d'avoir « tronçonné, saucissonné et recomposé » ses propos, qui jetaient la responsabilité des accidents sur la police et non sur les motards. Contactée par Marianne pour apporter sa réaction, la rédaction de Konbini n'a pas souhaité commenter.

« Débat impossible »

Alors que le sujet occupe les plateaux des chaînes d'information en continu, le film Rodeo est donc appelé à sortir dans les salles en pleine polémique. « Je suis incapable de mesurer l'impact que cela aura lors de la sortie du film. Pour le moment, nous n'avons pas de problème pour le mettre en salle, les exploitants de cinéma ont apprécié le film », indique à Marianne son producteur, Charles Gillibert. Celui-ci espère au moins 100 000 entrées, pour ce film d'auteur à « petit budget » (1 million d'euros), qui vise un public de « cinéphiles et de jeunes », selon le producteur.

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« On peut espérer que l'attention se concentrera enfin sur le contenu du film, qui est le fruit d'un travail très sérieux mené par la réalisatrice depuis 7 ans. Il n'y a aucune ambiguïté sur le fait que mettre en danger la vie des autres est extrêmement problématique ». L'équipe du film appelle à apaiser le débat et à distinguer le « cross bitume » dépeint dans le film, qui serait pratiqué sur des routes non fréquentées, et les véritables « rodéos » anarchiques, qui occasionnent des nuisances sonores et des dangers graves dans les villes et les villages.

« Au vu du contexte politique, c'est un débat impossible », regrette Charles Gillibert. « Pour certains, dire que le cross bitume peut être une passion, qui gagnerait à être encadrée avec des terrains dédiés, est un discours naïf. C'est pourtant une évidence pour moi, qui ai passé beaucoup de temps avec des pratiquants. Et dans le même temps, il faut dire que d'autres pratiquent n'importe comment, ce qui est extrêmement problématique et légitimement réprimé », poursuit le producteur. Une très étroite ligne de crête, quand les rodéos urbains empoisonnent la vie de milliers de Français, sans que l'État ne parvienne pas à assurer l'ordre public.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne