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Avion de combat du futur : énième coup de froid pour le couple franco-allemand avec le SCAF
Même si un accord était finalement trouvé, il ne porte que sur la construction d'un démonstrateur, et ne garantit pas que l'avion du futur (ici au Bourget en 2019) verra bien le jour..
Arthur Nicholas Orchard / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Avion de combat du futur : énième coup de froid pour le couple franco-allemand avec le SCAF

Friture sur la ligne

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Contrairement à ce qu'a annoncé le ministère allemand de la Défense, aucun accord n'a été signé pour l'heure sur la poursuite du projet Système de combat aérien du futur (SCAF), qui doit notamment permettre de remplacer l'avion Rafale d'ici 2040.

Décidément, la coordination franco-allemande continue à battre de l'aile. Après une montée des tensions fin octobre, liée notamment au choix de Berlin de bâtir un bouclier antimissiles sans Paris, une petite éclaircie semblait poindre vendredi 18 novembre. Le ministère allemand de la défense annonçait à son Parlement la « conclusion des négociations industrielles et un accord politique au plus haut niveau du gouvernement », permettant de poursuivre le projet de Système de combat aérien du futur (SCAF). Ce projet européen, partagé par la France, l'Allemagne et l'Espagne, est au point mort depuis un an.

La nouvelle semblait avoir pris de court l'Élysée, qui finissait tout de même par se féliciter d'un « grand pas en avant » quelques heures plus tard. Sauf que d'accord, il n'y a pas. Ou du moins pas encore. « Il y a une pseudo-annonce politique qui a été faite (...) Avant l'heure ce n'est pas tout à fait l'heure », a taclé lundi sur RTL Eric Trappier, le P.-D.G. de Dassault Aviation, qui travaille avec l'allemand Airbus Defence sur ce projet.

De quoi on parle ?

Derrière l'obscur acronyme Scaf se cache l'avenir de l'aviation militaire, et donc de la sécurité de la France et de ses voisins allemands et espagnols. Annoncé par Emmanuel Macron quelques semaines après son élection en juillet 2017, ce projet doit notamment permettre de développer un nouvel avion de combat, qui prendra la relève du Rafale français et de l'Eurofighter utilisé par l'Allemagne et l'Espagne, d'ici 2040. Des drones et de nouvelles munitions doivent aussi être conçus. Le tout devant être utilisé avec un « cloud tactique », pour utiliser et traiter des données sur le champ de bataille.

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En bref, il s'agit donc d'un projet fondamental pour la souveraineté française et européenne. « Si le développement d’un avion européen n’est pas lancé aujourd’hui, la France et l’Allemagne devront sans doute se doter d’une solution non souveraine en 2040 », résumaient les sénateurs Ronan Le Gleut et Hélène Conway-Mouret dans un rapport publié en 2020. En clair, la faillite du projet conduirait certainement les Européens à se tourner vers un avion américain. « La France renoncerait ainsi à son autonomie stratégique. Elle renoncerait également à une partie de sa base industrielle et technologique de défense. Rappelons que la France est l’un des trois seuls pays, avec les États-Unis et la Russie, à pouvoir réaliser entièrement un avion de combat », poursuivaient les sénateurs qui précisaient que cette perte de souveraineté serait probablement définitive.

Pourquoi ça coince ?

En 2017, Paris et Berlin se sont entendus pour répartir le projet entre le français Dassault et l'allemand Airbus Defence. Considéré comme plus qualifié, Dassault devait en être le maître d'œuvre. Cet équilibre a volé en éclat quand l'Espagne a souhaité se joindre au projet quelques mois plus tard. « Les États ont indiqué avoir trouvé un accord pour un tiers/un tiers/un tiers. Cette logique changeait totalement la situation (…) Nous avons accepté que Dassault ait un tiers du travail tandis qu'Airbus aurait les deux tiers. Airbus Espagne et Airbus Allemagne constituent effectivement le même Airbus », observait Eric Trappier, le P.-D.G. de Dassault, devant le Sénat, en mars 2021. Depuis, les négociations entre Airbus et Dassault sont très tendues. Les industriels allemands souhaitent notamment accéder à certains brevets de Dassault, ce que ce dernier refuse.

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L'affaire est d'autant plus complexe que l'Allemagne et la France ont des attentes différentes pour concevoir le fameux avion. Pour Paris, l'aéronef doit absolument pouvoir se poser sur un porte-avions, ce qui n'est pas du tout la priorité de Berlin, qui souhaite avant tout un engin destiné à protéger son territoire. Il s'agit d'un problème de taille, puisque choisir l'une ou l'autre option pourrait conduire à ne pas fabriquer du tout le même appareil. Ce même type d'opposition avait déjà conduit la France à quitter le projet d'Eurofighter en 1985, et à concevoir toute seule le Rafale. Une voie plutôt heureuse puisque l'aéronef s'est révélé moins cher et plus efficace au combat que son équivalent européen.

Et maintenant ?

Pour qu'un accord soit finalement trouvé, il faudra donc attendre le feu vert de Dassault, qui entend bien défendre ses intérêts même si l'Élysée semble pousser pour conclure l'accord. « Les intérêts des États et des entreprises ne sont pas nécessairement les mêmes », note Renaud Bellais, codirecteur de l'Observatoire de la défense à la fondation Jean-Jaurès, ce qui peut expliquer le hiatus entre la position d'Eric Trappier et celle de l'exécutif. Mais tout pourrait encore être bloqué par le Bundestag, la chambre basse allemande, qui doit aussi donner son aval pour la poursuite du programme. Cette étape n'a rien d'une sinécure, puisque les parlementaires allemands pourraient conditionner la poursuite du Scaf à la relance du projet de char de combat du futur, piloté lui par les industriels allemands, et également bloqué depuis plusieurs mois.

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En tout état de cause, cet accord ne garantirait pas que le Scaf aille à son terme. Les discussions portent aujourd'hui sur la phase « 1B » du programme, qui correspond à la conception d'un démonstrateur du futur avion de combat, de son moteur et de ses drones. Une phase budgétée fin août ; la France, l'Allemagne et l'Espagne ont trouvé un accord pour y accorder 3,6 milliards d'euros. Restera ensuite le gros morceau : la conception effective de l'avion et du reste des systèmes. Or, « entre la présentation d'un démonstrateur et la livraison de l'équipement, il se passe souvent près de dix ans », observe Renaud Bellais. En cas d'échec, un plan B franco-français serait toujours possible, à en croire les déclarations passées d'Eric Trappier, le P.-D.G. de Dassault. « Dassault sait faire des avions (...), Safran sait faire des moteurs d'avions de combat (...) et Thales sait à peu près faire des radars et des contre-mesures et un certain nombre d'équipements optroniques », expliquait-il en mars 2021 sur le plateau de BFM Business, tout en précisant qu'il s'agissait d'une « décision politique ».

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne