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Jugé trop précaire, le CDD est souvent décrié, mais sa suppression aurait des conséquences douloureuses.
Jugé trop précaire, le CDD est souvent décrié, mais sa suppression aurait des conséquences douloureuses.
Lilian Cazabet / Hans Lucas

Supprimer le CDD pour moins de précarité du travail : "C'est l’alibi de l’assouplissement du CDI"

Entretien

Propos recueillis par

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Alors que le droit du travail est régulièrement attaqué depuis 2017, la petite musique d’une suppression du CDD, pour s’adapter à un marché de l'emploi mouvant, revient de plus en plus souvent dans les propositions des économistes proches de la majorité. Entretien avec Liêm Hoang-Ngoc, économiste et ancien député européen.

Supprimer un contrat par nature précarisant risquerait-il de précariser les contrats à durée indéterminée, qui sont le graal de la sécurité de l’emploi ? C’est une question qui revient depuis des décennies, à chaque fois qu’une force de droite ou de gauche propose un changement des limites du contrat à durée déterminé, voire sa suppression. En 2004, déjà, le journal Libération soulignait un alignement idéologique des planètes pro-suppression du contrat court, à la fois chez les sarkozystes et… au Parti socialiste. Dans un billet, le quotidien social-démocrate dénonçait déjà une « fausse bonne idée ». Qu’en est-il ?

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Liêm Hoang-Ngoc, ancien eurodéputé du Parti socialiste et un temps proche de La France insoumise, avec laquelle il a rompu il y a sept ans, est économiste, maître de conférences en sciences économiques à l'Université Paris I Panthéon-Sorbonne, auteur d’Un insoumis devrait dire ça… aux Éditions du Cerf (2017), et prochainement de L'Europe, ennemie de la République ? chez PUF. Pour Marianne, il revient sur la pertinence de l’idée de supprimer le CDD, et les pièges qui jalonnent cette idée à l’apparence alléchante pour les travailleurs précaires.

Marianne : La suppression du CDD, prônée par certains économistes, est-elle en fait par nature une atteinte au CDI ?

Liêm Hoang-Ngoc : La suppression du CDD prônée par certains économistes est l’alibi de l’assouplissement du CDI qu’ils recommandent. Certains font la promotion de la « flexicurité », combinant CDI assoupli et périodes de « transition » indemnisées, comme dans le modèle danois. L'économiste, professeur associé à Sciences Po, Stéphane Carcillo, a ainsi pu défendre ce modèle, à ceci près qu’il prône désormais la réduction de la durée et du montant des indemnités chômages, ce qui est contradictoire avec le cas danois où les indemnités sont « généreuses » : 90 % du salaire de référence pendant deux ans…

Il n’y a pas un chemin de crête possible pour supprimer le CDD sans attaquer les droits des travailleurs en CDI ?

Le CDD a une utilité particulière dans un modèle où la norme est l’emploi à temps plein et à durée indéterminée, où les entreprises recourent au travail temporaire pour « boucher les trous » en cas de maladie ou de pic saisonnier.

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Ce modèle fonctionne encore très bien. Les données n’ont pas bougé sur le long terme. Le stock des emplois stables en CDI représente près de 85 % de l’emploi total. La durée moyenne d’ancienneté dans l’emploi est toujours supérieure à 11 ans. L’emploi ne s’est pas vraiment flexibilisé. C’est son volume total qui croît à un rythme plus lent, d’où la persistance du chômage. Mais le stock d’emplois atypiques – comprenant les CDD, l’intérim et le travail indépendant ubérisé – ne représente toujours que 15 % du stock total d’emplois.

Il faudrait donc, plutôt qu’une suppression, un renforcement du CDD ?

Renforcer le CDD n’est pas nécessaire dès lors que sa finalité est d’octroyer de la souplesse aux employeurs pour combler les manques conjoncturels de l’entreprise, où la norme reste le CDI. Le problème en France n’est pas tant la structure de l’emploi que son volume, devenu insuffisant en raison des choix économiques et industriels opérés au cours des trois dernières décennies.

Le CDI de chantier, qui dure tout le temps d'une opération ou d'un « chantier », était proposé par certains comme une alternative. Est-elle valable ?

Le CDI de chantier est une variante de ce que prônent les chantres de la flexibilisation du CDI. À partir du moment où vous voulez supprimer le CDD et assouplir le CDI, vous ouvrez la porte à toute une gamme de CDI flexibles.

L’Espagne, en 2022, a choisi de rendre plus compliqué l’emploi en CDD. Les contrats à durée déterminée sont limités à 18 mois au total et ne peuvent pas excéder une période continue de six mois. En conséquence, le nombre de CDI a bondi, jusqu’à atteindre près de 800 000 nouvelles signatures de contrats à durée indéterminées en juin 2022. Est-ce un modèle pertinent ?

La période 2021-2022 coïncide surtout avec la sortie de la crise du Covid-19, au cours de laquelle les entreprises ont anticipé une reprise forte et durable, soutenue par les politiques publiques. Elles ont donc multiplié les embauches en CDI. Ce mouvement n’est pas propre à l’Espagne. Il explique le recul du chômage en Europe au cours de cette période, jusqu’au retour de l’austérité… La meilleure protection pour les salariés est de maintenir une législation protectrice de l’emploi à temps plein et à durée indéterminée, en limitant le recours au CDD pour des périodes ponctuelles.

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Au fond, pourquoi l'assouplissement du CDI est une idée si populaire à droite ?

Flexibiliser le marché du travail est une idée populaire à droite parce que les milieux conservateurs sont allergiques à la législation sociale. Mais ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de règles que l’économie crée plus d’emplois. Au cours de la grande dépression des années 1930, le marché du travail était extrêmement flexible. Il n’y avait ni Code du travail, ni salaire minimum, ni allocations-chômage et pourtant, l’emploi est resté dégradé dans une économie déprimée, jusqu’à la Seconde Guerre mondiale…