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"Les huit montagnes" au cinéma : prendre de la hauteur, mode d’emploi
Les deux enfants, au gré de plusieurs étés des années 80, deviennent amis, malgré des différences sociales et culturelles qui s’apparentent à des gouffres. Cette amitié, essentielle et vitale, s’affirme au fil des ans et des décennies, sans que l’homosexualité ne soit de mise, du moins consciemment.
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"Les huit montagnes" au cinéma : prendre de la hauteur, mode d’emploi

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Dans les sublimes décors naturels du Val d’Aoste, Felix Van Groeningen et Charlotte Vandermeersch suivent à la trace deux hommes unis par une amitié indéfectible. « Les huit montagnes », inspiré par le roman éponyme de l’écrivain italien Paolo Cognetti et récompensé par un prix du jury en mai dernier au Festival de Cannes, invite en douceur à une méditation profonde sur l’existence et bannit les clichés. Une double bonne nouvelle.

Quelques jours avant Noël, les cinéastes internationaux, fâchés avec les distractions frivoles, misent sur l’exotisme rude et sur des voyages dans des contrées où le dénuement physique et psychologique impose ses lois impitoyables. Dans l’impressionnant Godland (en salles cette semaine), le réalisateur islandais Hlynur Palmason met ainsi en scène, à la fin du XIXe siècle, un jeune prêtre danois qui traverse une Islande inhospitalière pour bâtir une église et prendre en photo les habitants du cru. Sur son chemin (de croix), certaines tentations l’éloigneront peut-être de sa mission évangélique.

Plus près de nous géographiquement et temporellement, le duo de cinéastes belges Felix Van Groeningen (déjà auteur de Alabama Monroe et La merditude des choses) et Charlotte Vandermeersch, plus connue en tant qu’actrice, adaptent le roman Les huit montagnes de l’écrivain italien Paolo Cognetti, honoré par le prix Médicis étranger en 2017. Dans le film comme dans le roman, deux personnages (très) principaux : Pietro, le fils d’une famille aisée de Turin qui, l’été venu, aime passer ses vacances dans un coin perdu du Val d’Aoste, et Bruno, un gamin issu d’une famille modeste et né dans ces montagnes qu’il chérit dès son plus jeune âge. Le père de Pietro, soucieux d’initier son fils aux joies de la randonnée extrême, l’oblige à le suivre dans de longues marches en montagne où Bruno les accompagne. Mais si ce dernier aime s’adonner à ces parcours à hauts risques en altitude, Pietro, lui, rechigne à l’exercice.

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Les deux enfants, au gré de plusieurs étés des années 80, deviennent amis, malgré des différences sociales et culturelles qui s’apparentent à des gouffres. Cette amitié, essentielle et vitale, s’affirme au fil des ans et des décennies, sans que l’homosexualité ne soit de mise, du moins consciemment. Et si Bruno, fidèle à « sa » terre, y demeure envers et contre tout, au risque de perdre la raison, Pietro, lui, n’y revient que par intermittence, cherchant sa voie existentielle et amoureuse un peu partout sur la planète, jusqu’au Népal.

En quête de sens

« Pietro est l’archétype du chercheur, du nomade, jamais satisfait, toujours curieux. Bruno est l’homme qui escalade sans relâche la même montagne immense, concentré, obstiné, tout entier à sa tâche », racontent les cinéastes pour caractériser leurs personnages. En filmant les relations entre ces deux hommes que l’existence cherche plusieurs fois à séparer sans jamais y parvenir, Felix Van Groeningen et Charlotte Vandermeersch évoquent le lien vital à la nature (sans trémolo écolo), le rapport problématique à la figure du père (sans facilités pseudo-psychanalytiques) et mettent en scène une amitié pudique et bouleversante entre deux personnages qui, chacun à leur manière, tentent de trouver un sens à leur vie.

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Le duo de réalisateurs tire le meilleur profit des somptueux décors naturels du Val d’Aoste, mais, fidèles à leur exigence, ils bannissent de leur grammaire cinématographique la surenchère esthétisante et le petit jeu de la carte postale sur grand écran. Récit à la fois ample et intimiste mis en scène dans un environnement qui remet l’homme à son humble place, Les huit montagnes impose sans ostentation sa poésie entêtante et sa mélancolie tenace. Une sorte de must pour les longues soirées d’hiver.

« Les huit montagnes », de Felix Van Groeningen et Charlotte Vandermeersch. Sortie le 21 décembre.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne