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Covid : "l'année 2021 nous a appris que tout miser sur une immunité vaccinale était illusoire"
"2021 est aussi une année de l’échec, l’échec d’une stratégie qui, sur le papier, s’avérait simple consistant à vacciner les gens avec deux doses de vaccin contre le Covid"
Hans Lucas via AFP

Covid : "l'année 2021 nous a appris que tout miser sur une immunité vaccinale était illusoire"

Entretien

Propos recueillis par

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Que nous a appris l'année 2021 sur le coronavirus et qu'en retenir pour les mois à venir ? Pour tenter d'y voir plus clair « Marianne » s'est longuement entretenu avec le Docteur Benjamin Davido, infectiologue à l'hôpital Raymond-Poincaré.

Deux ans après sa découverte en Chine, le Covid-19 continue de bouleverser nos vies, malgré l'importante campagne de vaccination. Et les doutes quant à l'efficacité de la vaccination semblent monter. Ce mercredi 29 décembre, le ministre de la Santé, Olivier Véran expliquait que la cinquième vague épidémique qui frappe l'Hexagone s'était muée en « raz-de-marée ». Difficile donc de voir la lumière au bout du tunnel et pourtant d'après l'infectiologue Benjamin Davido, il y a des signes d'espoir.

Marianne : Qu’a-t-on appris d’important sur le Covid-19 en 2021 ?

Benjamin Davido : Tout d’abord, l’année 2021 est l’année de la découverte des variants, on a été confrontés à de nouvelles techniques comme le séquençage en temps réel et on a appris que l’histoire naturelle des virus était beaucoup plus dynamique que ce que l’on pensait. 2021 a aussi été l’année de la vaccination qui a débuté fin décembre 2020 au Royaume-Uni puis au début de l’année en Europe et aux États-Unis. On a compris que le virus était malheureusement capable de déjouer nos stratégies. Lorsqu’une pandémie touche le monde entier, il est impossible de se reposer uniquement sur les pays riches, il faut une politique de santé publique globale et c’est d’ailleurs le principe de l’OMS. Mais il est très difficile d'orchestrer les différences de moyens, de mise en œuvre et d’investissements entre les pays pour la protection sanitaire.

« En deux ans, grâce à la vaccination qui protège de la mort, l'immunité collective ne me semble pas impossible, à condition qu'elle soit à la fois vaccinale et naturelle. »

Enfin, je pense que 2021 est une année de l’échec, l’échec d’une stratégie qui, sur le papier, s’avérait simple, consistant à vacciner les gens avec deux doses de vaccin et puis s’en vont. C’est l’année de la résilience car on a admis que le virus était là pour durer et rester avec nous comme le sont d’autres virus saisonniers. Tout cela n’était pas forcément écrit en décembre 2020, beaucoup pensaient qu’en mars 2021 ce serait terminé. Or, malgré l'absence de confinement – celui de mars/avril n'en ayant pas vraiment été un – il y a eu paradoxalement plus de vagues. Finalement, 2021 se termine presque là où elle a commencé.

Quant à savoir si 2022 sera l’année de l’immunité collective : vaccinale et naturelle… en tout cas, moi j’y crois.

Israël a récemment annoncé la suspension de la 4e dose de vaccin car le variant Omicron, plus transmissible, favoriserait l’immunité collective et donc l'éradication du virus. Qu’en pensez-vous ?

L’immunité collective est un scénario que je défends. Si l’on prend l’exemple indien, on se rend compte que l’immunité collective a toujours existé. En revanche, cette dernière n’a jamais été atteinte dans les pays riches, où il faut du temps. C’est peut-être l’histoire des autres coronavirus, dont le fameux OC43 ou la « grippe russe » et la grippe espagnole, des maladies qui ont duré quatre à cinq ans avec des vagues meurtrières. Au détour de ces grandes vagues, une immunité collective s’est installée mais cela ne signifie pas que l'on ne peut pas se réinfecter car le corona OC43 sévit toujours chaque hiver.

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Certes, penser que l’on peut atteindre l'immunité collective en six mois paraît ubuesque. Mais en deux ans, grâce à la vaccination qui protège de la mort, cela ne me semble pas impossible, à condition qu'elle soit à la fois vaccinale et naturelle. L’année 2021 nous a peut-être appris que tout miser sur une immunité vaccinale semble illusoire.

Alors que le nombre de cas de Covid-19 augmente de manière fulgurante avec près d’un million de cas en une semaine, le gouvernement a fait le choix de ne pas instaurer de couvre-feu ou de confinement. Aurait-il été plus efficace pour freiner la propagation du virus ?

Les Français prennent souvent les médecins pour des « enfermistes », ils pensent que l’on veut à tout prix confiner la population. Il me semble qu’à un moment donné ce type de mesure n’est plus envisageable. On a besoin de mesures pérennes permettant de diminuer les contacts sociaux. Les Pays-Bas par exemple, ont deux fois moins d’infrastructures médicales que la France et ont ordonné un confinement partiel de la population. Alors que l’Allemagne, elle, dispose de trois fois plus d’infrastructures médicales que la France et a opté pour le confinement. Chaque pays à sa propre stratégie : un confinement m’aurait paru étonnant en France alors que plus de 30 % de la population a eu trois doses et que dix millions de Français déjà infectés n’ont plus qu’1 % de chance de réinfection. Certes, il n’aurait pas fait de mal à l’hôpital mais il me semble trop prétentieux de dire que cette mesure aurait suffi pour enrayer la vague. Ça ne veut pas dire pour autant que si l’hôpital s’effondre, on ne sera pas amené à reconfiner.

Hier mercredi, le directeur de l’OMS alertait sur le risque d'un effondrement des systèmes de santé. L’hôpital français va-t-il tenir ?

L’effondrement du système de santé français date d’il y a dix ans. En mars 2020, je me souviens avoir dit, sur un plateau de télévision, une phrase qui a été reprise : « L’hôpital est malade du covid car on a dû lui mettre des échafaudages pour le soutenir ». J’avais dit craindre, que lorsqu’on enlève les échafaudages, en cas de nouvelle vague, l’hôpital ne s’en remette pas. C’est une triste réalité, mais lorsque l’on ne fait rien et qu’il n’y a pas de remèdes, la situation s’aggrave. L’hôpital était déjà malade, mais la crise sanitaire n’a fait qu’éroder ses faiblesses. Il doit être repensé car jusqu’à aujourd’hui, la médecine de santé publique se résumait aux accidents cardiovasculaires, au cancer, et à la maladie d'alzheimer.

« La prochaine étape sera la saisonnalité du virus qui va trouver le meilleur moment pour frapper le plus de gens : en principe, le début de l'hiver. Le premier signal de son atténuation virale sera l’absence de résurgence au printemps et de vagues en été. »

Avec le Covid, on a découvert que lorsque la maladie infectieuse frappe lors d’une pandémie, elle anéantit les systèmes de santé, si aucun échafaudage n’est prévu. Cela doit nous ouvrir les yeux : face à une maladie qui dure, il faut considérer les pathologies infectieuses comme un axe prioritaire de la prévention en matière de santé publique. Jusqu’alors les pays riches ne conduisaient des politiques de prévention que dans les pays pauvres en pensant que le piédestal de leur richesse suffisait à les protéger.

Dans la mesure où deux variants importants sont apparus en Afrique du Sud où le taux de vaccination est très faible, doit-on s’attendre à des rappels ad vitam aeternam jusqu’à ce que ce pays soit entièrement vacciné ?

Ce n’est que lorsqu’on aura suffisamment vacciné et suffisamment rencontré l’agent infectieux qu’on aura une sorte d'effet bouclier de protection qui, de mon point de vue, ne sera pas large à long terme. Je pense que le virus va se saisonnaliser dans le temps et toucher des personnes fragiles plus au moins vaccinées annuellement. On continue d’opposer l’immunité vaccinale à l’immunité naturelle, or c’est probablement l’association de ces deux opérations et tragiquement la sélection naturelle qui mèneront à une atténuation du virus.

« La seule façon de combattre les antivax c’est qu’ils soient confrontés à la dureté de la vie voire la mort. »

Il n’est pour l’instant pas possible de prédire qu’Omicron sera le dernier variant. En revanche, on peut supposer que l’accélération des contaminations et l'efficacité du vaccin contre le variant entraîneront cette atténuation virale. La prochaine étape sera la saisonnalité du virus qui va trouver le meilleur moment pour frapper le plus de gens. Pour le coronavirus, il s’agit en principe du début de l’hiver. Le premier signal de son atténuation virale sera l’absence de résurgence au printemps et de vagues en été.

En France, le taux de vaccination est moins élevé dans certains territoires comme le Sud-Est ou la Seine-Saint-Denis. Comment augmenter ce taux ?

C’est triste à dire mais je pense qu’il n’y a rien à faire. Il n'y a pas de problème d'accès à l'hôpital ou aux médecins, ce serait une vision caricaturale et excessive, on chercherait à trouver des excuses aux gens. Nous sommes dans une société hypermédiatisée donc ces populations ont accès à l'information via les réseaux sociaux ou les médias, donc ils savent très bien où se trouvent les centres de vaccination.

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La seule façon de combattre les antivax c’est qu’ils soient confrontés à la dureté de la vie voire la mort. Certains pensent que nous sommes dans un jeu vidéo, que si l’on meurt on peut appuyer sur le bouton START… On ne peut pas vacciner les gens de force.

En revanche, je pense qu’il nous faut des ambassadeurs pour inciter les jeunes de 25 ans car ce sont eux qui sont les moins vaccinés.

Ne faudrait-il une régionalisation des mesures dans la mesure où e variant Omicron circule davantage dans certaines régions que d’autres ?

Surtout pas ! On a généré des mouvements de population à tort, car on a fait croire aux gens qu’il y avait moins de risques de contamination dans certains endroits de France. Artificiellement, on a créé des conditions propices à la diffusion du virus. La réelle différence géographique, c’est qu’on ne dispose pas de la même force de frappe pour suivre une épidémie dans une grande métropole que dans une région moins peuplée.

Olivier Véran s’est dit favorable à l’instauration d’un passe sanitaire lors des meetings politiques qui devraient se multiplier avec la campagne présidentielle. Qu’en pensez-vous ?

Il faut que ce qui s’applique à l’ensemble des Français s’applique sur l’ensemble des lieux en intérieur : que ce soit un meeting politique ou philanthropique, personne n’est invulnérable face à la maladie. La même règle doit s’appliquer à tous et partout.

Au début de la campagne vaccinale, on a vu à la télévision des publicités montrant des grands-parents serrant leurs petits enfants dans leurs bras après avoir été vacciné. En réalité, malgré la vaccination cela n’est toujours pas possible. La publicité a-t-elle été mensongère ?

La publicité a pour but d’être pédagogique, elle vise à inciter. Je ne pense pas que ces publicités ont été mensongères, au contraire, elles ont été réalistes du temps de la souche originelle mais l’arrivée des variants a compliqué les choses. En revanche, je pense que ce qui a été maladroit c’est la stigmatisation des grands-parents et de leurs petits enfants. Ce n’étaient pas les cibles de la campagne vaccination dans la mesure où la vaccination n’était pas ouverte aux enfants et que les personnes âgées se faisaient, pour la plupart, vacciner.

Le délai pour faire sa dose de rappel a été raccourci à trois mois après la dernière injection. Va-t-on, un jour, devoir se faire vacciner tous les mois ?

On ne peut pas remonter le temps mais on peut remonter les doses. Ce délai de raccourcissement de l’injection vise uniquement à augmenter le nombre de personnes que l’on va protéger et qui deviendront asymptomatiques. Non, il ne sera jamais question d’une vaccination mensuelle et d’ailleurs la vaccination trimestrielle ne sera pas tenable. On ne pourra pas vacciner des jeunes tous les trois mois. Si l’on continue dans ce sens, cela signifierait qu’on n’a peut-être pas le bon vaccin. Il faudrait alors un vaccin spécifique au variant Omicron qui utilise une autre technologie. C’est là qu’on se demande où se trouve le vaccin Sanofi…

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne