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Les activistes écologistes qui s’en sont pris à la Jeune fille à la perle de Vermeer à la Haye.
Les activistes écologistes qui s’en sont pris à la Jeune fille à la perle de Vermeer à la Haye.
© Capture d'écran

"C’est le châtiment ! Faites pénitence ! Les nouveaux iconoclastes sont arrivés !"

Billet

Par Jean-Yves Chevalier

Publié le

Les attributs de la religion sont là (langage, acteurs, sermons, prières, cérémonies et sacrifices), estime Jean-Yves Chevalier, médiologue, ancien professeur en classe préparatoire au lycée Henri-IV, au sujet des récentes actions coup de poing des activistes écologistes.

« Dans la cité la plus connue et la plus éminente d’Afrique, à Carthage, Gaudentius et Jovius renversèrent les temples des faux dieux et brisèrent leurs statues ». Les activistes écologistes qui s’en sont pris à la Jeune fille à la perle de Vermeer à La Haye après ceux qui, en Allemagne, avaient enduit de purée Les Meules de Monet et ceux qui avaient couvert de soupe à la tomate les Tournesols de Van Gogh, à Londres, n’ont certainement pas lu Saint Augustin. On les surprendrait sans doute en associant leur action à la destruction des idoles par les chrétiens dans l’Empire romain finissant. D’ailleurs ils ne détruisent rien puisque les œuvres sont protégées par des vitres. Pour l’instant, du moins, un accident est vite arrivé et on ne voit pas bien pourquoi, foutu pour foutu, on ne détruirait pas ce qui, de toute façon, finira avec le reste.

La religion de la Nature

Religieux ces gestes ? « Militants » répondent en chœur leurs auteurs. Sauf qu’on n’a jamais vu un militant communiste asperger de purée la Joconde ou se coller au mur, à côté d’elle. Régis Debray, dans Le siècle vert, nous a avertis. La formule attribuée à Malraux (« Le vingt-et-unième siècle sera religieux ou ne sera pas ») était pertinente, mais on imaginait mal la forme que prendrait le renouveau religieux.

Nous y sommes, la religion de la Nature submerge les formes anciennes de la civilisation. Nature contre Culture, l’attaque des tableaux les plus emblématiques est une parfaite illustration de ce basculement et, à ce titre, elle est à prendre au sérieux. Les païens, à Rome, se demandaient quels étaient ces écervelés qui couraient au martyre le sourire aux lèvres, nous regardons avec une surprise analogue ces adeptes de la Nature recouvrir des œuvres qui tenaient pour nous le rôle du « sacré ». Le monde païen a disparu, renversé par la promesse chrétienne, nous ne savons pas ce que deviendra le nôtre. On espère, toutefois, que nos jeunes exaltés n’iront pas jusqu’au martyre pour nous convaincre de la nécessité de nous convertir, on n’en est malheureusement pas sûr.

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À bien y réfléchir, les attributs de la religion sont là, langage, acteurs, sermons, prières, cérémonies et sacrifices mais nous refusons de les voir car nous ne voyons que les religions démonétisées du passé (et c’est parce qu’elles sont démonétisées que nous pouvons être lucides à leur égard). Nous applaudissons une jeune prêtresse du temple, Greta Thunberg, nous écoutons, stupéfaits, les prophètes de l’Apocalypse annoncer la fin du monde. À l’Opéra Bastille, un membre du collectif Dernière rénovation s’est attaché au décor pendant une représentation. Sur son tee-shirt était écrit (en anglais) « il nous reste 879 jours », une réplique des peurs millénaristes, des prêches des sectes diverses et variées qui fleurissent toujours dans les périodes de crise (sur un mode plus léger – et la chaleur aidant – on pense au Philippilus du Tintin de l’Étoile mystérieuse poursuivant le héros aux cris de « C’est le châtiment !.. Faites pénitence !.. La fin des temps est venue !.. »).

« Ton frigo pue la mort, deviens végan »

Car enfin de pénitence il est bien question, quand on nous culpabilise non pas de ce que l’on fait – changer ses habitudes est nécessaire – mais de ce qu’on a fait (dans l’ignorance complète qui était la nôtre des dommages qu’on causait). Les entreprises, c’est dans leur logique, envisagent plutôt la rédemption sous l’angle du commerce des Indulgences quand elles nous proposent, par exemple, de prendre l’avion, certes, mais en investissant dans la plantation de quelques arbres dans une forêt éloignée.

Il y a quelque temps, une affiche était apparue sur les murs de Paris : « Ton frigo pue la mort, deviens végan ». Cet autre appel à la conversion nous plongeait en plein cœur du XIIIe siècle. Pour les Cathares, le fait de tuer un animal était la commission d’un meurtre. Des Cathares ont été dénoncés à l’Inquisition car ils refusaient de tuer des poules (L214 pratique aussi la dénonciation, mais en sens inverse). Manger de la viande équivalait, en pays cathare, à être catholique (et évitait donc les graves ennuis, désormais s’attabler devant un steak est suspect). Ce végétarisme intransigeant n’est pas le seul signe d’un retour à un discours entendu, il y a bien longtemps, du côté de Montségur.

Un monde souillé par le péché

On est ainsi frappé d’entendre tant de jeunes souhaiter ne pas avoir d’enfants, afin de ne pas plonger ceux-ci au cœur d’une planète devenue invivable. Ils ignorent qu’ils ne sont nullement les premiers à rejeter l’enfantement dans un monde envahi par le « mal » (le CO2), et qu’ils sont les héritiers des parfaits cathares, eux aussi soucieux d’épargner aux éventuels nouveaux nés la confrontation à un monde souillé par le péché.

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Souligner les aspects religieux du discours et des actions de certains écologistes, repérer des traces du changement civilisationnel sous-jacent n’est, bien sûr, pas un moyen de minimiser les crises liées au changement climatique, à la perte de biodiversité ni de nier la nécessité et l’urgence d’une action résolue pour y répondre.

Mais cette action a besoin de relais politiques et militants, pas de sectaires. Elle a surtout besoin d’un apport scientifique déterminant, or la science vit de doute et de distance critique, pas de croyance magique. Prévoir est plus difficile que prophétiser. À la fin du dernier millénaire, nombreux étaient ceux qui annonçaient la fin des réserves de pétrole. Ce n’est pas la fin des réserves qui va mettre fin à l’ère pétrolière, c’est le caractère insoutenable de l’exploitation et les dommages causés (Sheikh Yamani, ministre saoudien du pétrole affirmait, lui, il y a plus de quarante ans, que « l’âge de pierre n’a pas pris fin par manque de pierres, et l’âge du pétrole ne prendra pas fin par manque de pétrole », il vaut toujours mieux faire confiance aux spécialistes).

Le sacrifice ?

La science n’est pas la seule à pratiquer la mise à distance critique, l’art y trouve sa raison d’être. S’attaquer aux meules de Monet ou aux tournesols de Van Gogh, c’est-à-dire à des représentations de la nature au nom de la préservation de la Nature, c’est se condamner à l’inefficacité, c’est s’engager dans une impasse où on ne voit pas des problèmes (à résoudre) mais un mal (à éradiquer). Notre culture a certes eu le grand tort de ne pas voir venir la dégradation de la planète, ce n’est pas une raison pour la jeter aux orties. C’est peut-être elle qui permettra de garder un peu de lucidité pour affronter les temps difficiles alors qu’il est peu probable que des incantations et des cérémonies sacrificielles nous aident beaucoup.

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« Je méprise à ce point les idoles que je les foule aux pieds et que je leur inflige tous les outrages, ne songeant nullement qu’elles sont quelque chose », écrivait Zacharie le scolastique, alors que les chrétiens s’apprêtaient à détruire le temple d’Isis de Ménouthis, en Égypte, au cinquième siècle. Espérons que nos apprentis iconoclastes ont encore suffisamment de jugement pour penser que les œuvres auxquelles ils s’en prennent sont « quelque chose », qu’ils reculeront devant le sacrifice.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne