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Streptocoque A : la hausse des infections à la bactérie "mangeuse de chair" est-elle une menace mondiale ?
La hausse des cas d'infections au streptocoque inquiète au Japon.
Yomiuri / AFP

Streptocoque A : la hausse des infections à la bactérie "mangeuse de chair" est-elle une menace mondiale ?

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Depuis 2023, le Japon a connu une forte hausse du nombre de décès causés par des infections au streptocoque A. Le gouvernement a dû réagir pour rassurer l'opinion publique, quelques années après la pandémie du Covid-19. L'Europe doit-elle se préparer à une flambée similaire ? Quatre questions sur la bactérie qui inquiète.

La pandémie de Covid-19 a-t-elle rendu nos sociétés paranoïaques ? Depuis quelques jours, un vent de 2020 plane sur les rubriques santé des rédactions : en cause, l’étonnante montée en puissance de la « bactérie mangeuse de chair » au Japon. Depuis 2023, les cas d’infections par un streptocoque du groupe A (SGA) sont en forte augmentation, avec une inflation qui se poursuit en 2024. La reprise de l’actualité sanitaire nippone par la presse mondiale a obligé Tokyo à tenir un point presse, vendredi 22 mars, pour rassurer l’opinion publique sur les dangers de cette bactérie et de ses symptômes. La veille, Pyongyang avait fait savoir qu’ils s’opposaient à la rencontre entre la Corée du Nord et le Japon dans le cadre des tours qualificatifs pour la Coupe du Monde 2026.

Depuis le 1er janvier 2024, 474 cas de syndrome de choc toxique streptococcique (SCTS) ont été recensés sur l’archipel, selon l’Institut national des maladies infectieuses au Japon. Un chiffre surprenant, puisque sur toute l’année civile 2023, 941 personnes avaient été touchées, ce qui constituait déjà un record.

Qu’est-ce que cette infection ?

Abusivement comparée à la crise du Covid-19, la panique sanitaire liée au streptocoque n’a pourtant que peu de points communs avec le virus mondialement connu. La première des différences, c’est notre connaissance du sujet. « Le streptocoque est quelque chose qu'on connaît depuis presque autant de temps que les bactéries », relève Asmaa Tazi, bactériologue, qui dirige le Centre national de référence des streptocoques.

Parmi les rapprochements que nous pouvons faire avec le virus qui a hanté les années 2020, il y a son mode de transmission. Le SGA se transmet principalement par des gouttelettes, mais aussi par contacts directs avec des lésions infectées ou cutanées. Plus rarement, il se transmet aussi par les selles. Les gestes barrières les plus élémentaires sont donc à maintenir en cas d’exposition.

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Dans certains cas plus rares d’infection graves, environ 10 %, un syndrome de choc toxique streptococcique (SCTS) peut survenir. Il crée une libération de toxines qui peuvent entraîner de nombreux symptômes : maux de gorge, fièvre, diarrhée, vomissements et léthargie. Les données qui nous proviennent du Japon permettent de comprendre qu’actuellement, dans un tiers des cas, ce SCTS est létal. Autre forme aiguë de complication qui peut intervenir dans certains cas précis : la dermohypodermite ou fasciite nécrosante, qui détruit les tissus mous, d’où le nom de « bactérie mangeuse de chair ». D’après les données de Santé Publique France, cette deuxième forme de complication est mortelle dans 20 à 45 % des cas.

Qui est touché ?

Différence majeure avec le SARS-CoV-2, cette infection est strictement humaine, aucune trace n’a jamais été détectée chez l’animal. Elle est, par contre, très répandue chez les enfants. « 10 % d’entre eux sont porteurs, au niveau de la gorge », explique la chercheuse, qui indique que les conséquences sont, dans 80 % des cas, absolument bénignes, voire inexistantes. Elles se traduisent souvent chez les plus jeunes par une angine ou un impétigo.

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Pourtant, si la « colonisation » est très importante chez les enfants, c’est l’infection qui inquiète, et celle-ci est plus fréquente chez les personnes vulnérables, nourrissons ou personnes âgées. « Il y a d'autres facteurs de vulnérabilité comme des infections sous-jacentes d'autres pathologies, le diabète, ou encore la grossesse », ajoute Asmaa Tazi.

Pourquoi une hausse soudaine ?

Mais si cette maladie est connue depuis bien longtemps, pourquoi nous interpelle-t-elle aujourd’hui ? Si le Covid-19 reprenait du poil de la bête régulièrement à la faveur de l’apparition de nouveaux variants, la bactériologie favorise le mot de « clone ». L’archipel nippon est actuellement touché par un clone plus favorable au fameux choc toxique streptococcique. « Le Japon est touché par l’expansion d’un clone de type M1, ce qui crée mécaniquement une augmentation du nombre de chocs », explique la biologiste.

Cette hausse serait, selon la principale hypothèse avancée, une conséquence de la pandémie de Covid-19, durant laquelle les infections liées à la bactérie streptocoque ont grandement diminué, en raison du renforcement des gestes barrières. « La population est moins immunisée, c’est le concept de dette immunitaire, donc il y a eu une recirculation et donc un rebond épidémique. »

La France est-elle menacée ?

Alors l’Europe et la France suivront-elles la voie du Japon sur le chemin bactériologique ? Peu probable, car la France a déjà connu une telle flambée des cas il y a peu de temps. « Nous avons eu un pic épidémique de décembre 2022 à janvier 2023. Depuis, nous avons une diminution constante du nombre d’infections sévères », rappelle Asmaa Tazi.

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À l’heure actuelle, la dirigeante du Centre national de référence des streptocoques indique qu’aucun chiffre ne confirme une hausse des cas sur le territoire national. Une petite augmentation, observée cet hiver, s’explique par la saisonnalité inhérente à ce genre d’infections. Doit-on pour autant se préparer à une arrivée du clone japonais ? « Quand un nouveau clone survient, il est généralement remplacé par un autre avec le phénomène d’immunité collective qui se met en place naturellement. On compte plus de 250 clones de types M connus. Ils disparaissent et émergent régulièrement. » En cas d’infections, les traitements classiques aux antibiotiques fonctionnent. En revanche, si des affichettes de prévention fleurissent dans les aéroports, souvenez-vous des gestes barrières.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne