Ce 1er avril, 64 salariés quittent définitivement l'usine de chimie de l'entreprise Solvay à Salindres, dans le Gard, la boule au ventre. En septembre dernier, outre l'annonce de leur licenciement économique, un rapport a confirmé leur surexposition à des polluants éternels et l'absence de protection. Inquiets pour leur santé, plusieurs d'entre eux témoignent auprès de « Marianne ».
C'est l'histoire d'une fermeture d'usine entachée par des problèmes sanitaires. En septembre dernier, Solvay, acteur majeur de la chimie, a annoncé fermer son site de Salindres dans le Gard. Spécialisés dans la production d'acide trifluoroacétique (TFA) et des dérivés fluorés (autrement dit des « polluants éternels »), 64 employés quittent définitivement les lieux à la suite de licenciements économiques ce 1er avril – ne resteront que 35 autres salariés avant fermeture définitive à l'automne. Exposés durant des années à ces substances toxiques, les salariés s'inquiètent de conséquences néfastes sur leur santé.
Pour rappel, les per- et polyfluoroalkylées, plus connus sous le nom de PFAS, sont des substances chimiques extrêmement persistants et ne se dégradent pas dans l'environnement. Ils polluent l'eau, l'air, les sols et les sédiments. Les TFA, utilisés dans la fabrication de pesticides, produits pharmaceutiques et des batteries électriques, en font partie. Inquiets après avoir été exposés à ces substances, des anciens employés témoignent auprès de Marianne.
Protections insuffisantes
En février 2024, un rapport de l'association Générations futures suscite les interrogations de la part des salariés. Damien Orly, délégué syndical CGT raconte : « Cette publication révèle les risques de l'exposition aux PFAS, dont font partie les TFA. Deux semaines après, ces produits ont été classés comme toxiques. Le CSE de Salindres a ensuite demandé un rapport sur les risques graves liés à ces micropolluants. »
Les conclusions de ce document, réalisé par le cabinet Cidecos en septembre 2024, sont sans appel : l'exposition régulière à ces polluants entraîne des risques importants pour les reins, l'estomac, le foie, et la reproduction. Elles confirment, par ailleurs, que les salariés de Solvay à Salindres y étaient « fréquemment exposés » et les mesures de protection « insuffisantes, voire absentes ». Face à de tels résultats, Cédric Cozo, technicien de fabrication, déplore : « Le rapport est accablant. On en a respiré tous les jours, pas des quantités énormes mais quand même. »
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Alarmés, les syndicalistes ont demandé une analyse de sang et d'urine des employés afin de mesurer la présence de TFA dans leur organisme. Le technicien explique : « La direction s'était engagée à faire ces analyses. Elle a fait la démarche de trouver un laboratoire avant de faire marche arrière. Ils sont annoncés les licenciements, une grève a suivi. Puis, il ne s'est plus rien passé "parce que l’usine est à l’arrêt les résultats ne seraient pas représentatifs" d'après la direction. » Pourtant, si l'usine était bel et bien à l'arrêt depuis septembre, des employés s'y rendaient encore et étaient toujours exposés aux substances nocives.
Concernant les conditions de travail, Cédric Cozo précise : « L'entreprise respecte les EPI standards [mesures de protection]. Mais ils ne prennent pas en compte que l'on travaille avec un produit cancérigène. » La réglementation sur les PFAS étant récente et peu documentée, les normes ne sont pour l'heure qu'indicatives. Il existe des valeurs limites d'exposition professionnelle – l'entreprise a mandaté un laboratoire pour qu'elles les établissent – mais la société n'est pas légalement tenue de les respecter.
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Sophian Anous, opérateur fabrication, rapporte à son tour : « On se protégeait seulement du TFA car il était corrosif. On utilisait des gants, des lunettes, un masque. On s’est toujours méfié du caractère aigu du produit mais pas de son caractère chronique. » Avant d'ajouter : « Il y a aussi les dérivés, d'autres PFAS, pour lesquels on n’avait aucun moyen de protection. » Une inquiétude confirmée par les analyses réalisées par Générations futures en janvier et juin 2024. L'association a, en effet, détecté 14 PFAS différents, toutes au-dessus des Normes de Qualité Environnementale européenne. Côté TFA, les conclusions indiquent que les concentrations « détectées (…) dépassent de loin les valeurs observées dans d’autres régions touchées par des pollutions aux PFAS ».
Fausses couches tardives
L'inquiétude des salariés est renforcée par le recul soudain de l'entreprise pour la réalisation des tests. Damien Orly s'en désole : « Les employés ont peur de se retrouver d'ici 15 ans avec une maladie ou un cancer. Nous avons eu très peu de réponses de la part de la direction qui a toujours minimisé les risques. »
À ce jour, aucune enquête ne permet d'établir le lien entre les maladies des employés et les polluants. Les salariés observent, toutefois, des maux physiques. Cédric Cozo, directement exposé aux substances polluantes, témoigne : « Aujourd'hui, j'ai du cholestérol et un problème au foie. C'est compliqué d'établir le lien entre les deux mais on est 2-3 dans l'entreprise à avoir le même souci tout en étant assez jeune. Il y a deux ans, un collègue est parti du jour au lendemain. Il s'est retrouvé en soin intensif. Lorsqu'il a listé les produits, les docteurs ont dit qu'il est fort probable qu'ils y soient pour quelque chose. »
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Les travailleurs considérés les plus à risque sont ceux qui travaillent en fabrication et en conditionnement. Toutefois, Sophian Anous estime que la présence de ces polluants ne se limite pas aux murs de l'usine : « Il y a beaucoup de problèmes de santé autour de nous et notamment des fausses couches tardives. La femme d’un collègue en a fait une au bout de sept mois. Quand on s’est rendu compte du phénomène j’ai fait analyser au laboratoire un morceau de tissu d’une chaise du réfectoire, il en est sorti toutes sortes de produits. On en ramenait chez nous. »
Inquiet, Sophian Anous ajoute : « On parle de seuil de dangerosité à très faible dose ». Parmi les angoisses, se trouve le glioblastome, un cancer du cerveau foudroyant, qui a touché trois plus de riverains dans le secteur de Salindres que dans le reste du pays entre 2006 et 2015. Trois études conduites par l'Agence régionale de santé (ARS) entre 2006 et 2020 confirment ces chiffres excessifs, sans établir une cause ou de lien avec les polluants éternels pour autant.
Selon une directive européenne datée de 2020, les ARS auront l'obligation à compter de janvier 2026 de contrôler la présence de 20 PFAS dans l'eau. Les TFA n'en font pas partie. Les conclusions de deux études sont toutefois attendues pour fin 2025. L'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) est, en effet, mandatée pour analyser plusieurs centaines d'échantillons d'eau prélevés sur l'ensemble du territoire national. 34 PFAS sont recherchés, dont le TFA. D'autre part, l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) réexamine les valeurs maximales recommandées d'exposition aux TFA. Cédric Cozo a, quant à lui, déjà un avis sur les conclusions de ces études : « La consommation de TFA est plus élevée chez nous parce qu'on en fabrique, mais il y en a partout en France. »