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Claire Hédon a été nommée par Emmanuel Macron à la fonction de Défenseur des droits en juillet 2020
Claire Hédon a été nommée par Emmanuel Macron à la fonction de Défenseur des droits en juillet 2020
AFP

La Défenseure des droits : des paroles et peu d’actes

Et concrètement ?

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Claire Hédon, la Défenseure des droits a annoncé hier avoir été saisie de 65 cas de violences des forces de l’ordre depuis le début du mouvement contre la réforme des retraites. Mais la titulaire de la fonction créee par la réforme constitutionnelle de 2008 n'a en réalité que très peu de moyens pour faire aboutir ces plaintes.

« Il y a toujours une histoire de com' là-dedans… mais la défenseure des droits reste une institution, avec un certain statut ». C’est en ces termes mitigés que réagit l’ONG de défense des droits de l’homme ACAT-France, aux déclarations de la titulaire de la fonction, Claire Hédon, auprès du journal Le Monde . Selon l’ancienne directrice d’ATD-Quart monde, l’institution indépendante a été saisie 65 fois depuis le début du mouvement contre la réforme des retraites pour des faits de violences présumées commises par des policiers . Mais entre les déclarations et le passage à l’action, c’est le grand écart. Sur le plan matériel et juridique, la Défenseure des droits n’a que très peu de moyens d’agir. Quitte à n’être réduite qu’à un rôle purement déclaratif ?

Bien que la « DDD » se targue de s’être autosaisie d’un cas concernant une personne sans abri, « une personne vulnérable qui ne nous saisirait pas forcément », « l’histoire montre qu’aucune demande de sanction formulée auprès du ministère de l’Intérieur n’a jamais abouti en ce qui concerne les faits de violence policières » regrette le criminologue Sebastian Roché, directeur de recherche au CNRS et auteur de la Police en Démocratie.

Car ces saisines doivent théoriquement se muer en instruction, qui, une fois terminées, doit aboutir soit à des recommandations de sanctions auprès du ministère de l’Intérieur, soit à une transmission de preuves au Procureur de la république. Une procédure dont Claire Hédon précise qu'elle l'a déjà enclenchée depuis le début du mouvement social actuel, indiquant avoir « déjà envoyé des lettres au préfet de police de Paris, au directeur général de la police nationale, à des maires, [...] pour se fournir les pièces à conviction constitutives du dossier. »

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À cette étape de la procédure, nul doute en tout cas que la Défenseure des droits possède bien des pouvoirs d’enquête conséquents. Entre autres, la possibilité légale d’auditionner n’importe quel témoin, d’avoir accès à toute pièce administrative sans que ni le secret de l’enquête, ni le secret professionnel ne lui soient opposés. La panacée sur le papier. Seul hic, les enquêtes et les recommandations qui s'ensuivent sont rarement suivies d’effets : ses modalités d’action se retrouvent essentiellement réduites à « un rôle de médiation ou de recommandations ». Un pouvoir de parole donc, mais pas performative.

« C’est une bonne chose que l’institution soit pourvue de grands pouvoirs d’enquête » reconnaît Émilie Schmidt, chargée des dossiers touchant aux violences policières à l’ACAT-France, « Mais ce qu’il faudrait, c’est que les recommandations de sanctions deviennent contraignantes » assure-t-elle. « Lorsqu’un dossier arrive à son terme, et est transmis à la hiérarchie, c’est-à-dire au ministère de l’Intérieur, celui-ci n’est pas tenu d’accepter ses recommandations et de sanctionner l’agent ». Alors, la responsable associative anticipe déjà l’issue : « s'il y a des décisions avec des propositions de sanction, elles ne seront pas suivies ».

Ministère de la parole

« À vouloir faire quelque chose de très gros, on en a fait quelque chose de très impuissant » déplore une source du Conseil d’État. Car la super-institution créée par la réforme constitutionnelle de 2008 est en réalité une fusion de plusieurs autorités administratives indépendantes : le Médiateur de la République, le Défenseur des enfants, la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE) et la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS). Et aux grandes responsabilités, les grandes ambitions : défendre les personnes dont les droits ne sont pas respectés ; permettre l'égalité de tous et toutes dans l'accès aux droits. Mais à l'arrivée, « cela reste un ministère de la parole » raille-t-on au Palais-Royal.

Le deuxième défenseur des droits, Jacques Toubon, ancien du RPR converti aux thèses bourdieusiennes , en a d’ailleurs fait les frais. Au moment de quitter son mandat, il avait déploré que les propositions de sanctions transmises au ministère de l’Intérieur n’aient généralement pas été suivies après des violences policières, pourtant condamnées, commises lors du mouvement des gilets jaunes. Bon gré mal gré, la leçon a vite été apprise par sa successeur, qui quelques mois après sa nomination, reconnaissait l’impuissance de sa nouvelle fonction. « Nos demandes de poursuites ne sont jamais suivies d’effets dans le cas des violences policière » se désolait-elle auprès du journal la Croix , l’interlocuteur privilégié de cette catholique social.

« Un chien de garde… sans crocs bien acérés »

« Symboliquement, ce serait quelque chose de conférer un caractère contraignant aux propositions de sanction, mais ça ne corrigerait pas le système » estime toutefois Sebastian Roché, coauteur d’une enquête comparative inédite des institutions de contrôle externe des forces de l’ordre de vingt pays. « La priorité n’est pas de donner une contrainte légale, mais de donner des moyens conséquents pour mener à bien le travail d’enquête en amont » considère le spécialiste.

Car le grand enseignement de cette enquête inédite, s’apparente bien à un dilemme insoluble : soit un organisme est doté de moyens considérables et se révèle peu indépendant, soit il l’est, mais se retrouve privé de moyens. Et la France entre dans la seconde catégorie. « Très indépendante par rapport à la moyenne des autres organes de contrôle externe de la police de l’Union européenne, la défenseure des droits française ne dispose que de moyens très réduits, et occupe la dernière place du classement en termes de moyens qui lui sont dédiés », pointe encore Sébastien Roché. Il résume l'équation en une formule : « C’est un chien de garde », qui aboie « mais sans crocs bien acérés ».

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Plus d’une soixantaine de plaintes vont devoir être examinées par 13 agents, anciennement affiliés à l’ex-commission nationale de déontologie et de sécurité (CNDS). Et selon Sebastian Roché, « il faudrait multiplier par 100 les moyens de la Défenseur des droits pour traiter tous ces cas ». Alors cette interview dans Le Monde n’est-elle qu'une communication de chiffres ? « C’est surtout une tactique, pour se tourner vers les autorités budgétaires, et demander comment vais-je faire pour toutes les traiter ? »

L’indépendance judiciaire, c’est bien aussi

Mais pour une autre source de la prestigieuse administration du Palais Royal, il ne faudrait pas élargir les pouvoirs de la Défenseure des droits, au point de la substituer à l’autorité judiciaire.: « L’autorité judiciaire agit déjà, elle saisit l’IGPN quand cela est nécessaire et le juge d’instruction peut décider aux termes de l’enquête de poursuites ou non ». Et quant au besoin évoqué de se doter d’un organe de contrôle externe ; « dans le cas d’une saisine de l’IGPN par le parquet, l’enquête n’est pas vraiment interne, elle devient judiciaire ». « Le risque est de créer un doublon, avec un organe qui ne soit rattaché ni à l’autorité administrative, ni à l’autorité judiciaire », ajoute cette source.

L’autorité judiciaire peut faire valoir son indépendance. Tandis que selon ses détracteurs, l'approche adoptée par la Défenseure des droits serait biaisée. « La Défenseure des droits a une ligne de conduite très à charge envers les policiers depuis l’ère Toubon » dénonce ainsi Denis Jacob, secrétaire général du syndicat Alternative Police. « Maintenant, dès qu’il y a une sortie c’est à charge, sans jamais prendre en compte notre avis. Madame Hédon va au-delà de l’analyse, elle prend parti » poursuit son confrère Fabien Vanhemelryck, du syndicat majoritaire Alliance.

Pourtant, le préfet de Police de Paris Laurent Nunez avait tenté le rapprochement, en invitant officiellement la Défenseure des droits à se rendre dans la salle de commandement de la préfecture de police de Paris. « Madame Hédon n’aurait peut-être pas dû prétexter un déplacement à Bourges pour décliner l’invitation. C'est un mauvais signal envoyé à l’administration en interne » reproche-t-on au Conseil d'État.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne