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Laïcité : "Le proviseur du lycée Maurice-Ravel est parti usé, épuisé, usé par cette ambiance de tensions"
La ministre de l'Éducation nationale et de la Jeunesse, Nicole Belloubet est venue apporter son soutien au proviseur, cible de menaces de mort après avoir demandé a des élèves de retirer leur voile dans l'établissement du lycée Maurice-Ravel a Paris. La ministre est entourée de Valérie Baglin-Le Goff, directrice académique, et de Laurent Nuñez, préfet de police de Paris.
Serge Tenani / Hans Lucas

Laïcité : "Le proviseur du lycée Maurice-Ravel est parti usé, épuisé, usé par cette ambiance de tensions"

Entretien

Propos recueillis par

Publié le

Secrétaire général du Conseil des Sages de la laïcité au ministère de l'Éducation nationale, Alain Seksig rappelle que l'école est la première cible des islamistes.

Marianne : Comment analysez-vous le départ du proviseur du lycée Ravel, à Paris ?

Alain Seksig :Le proviseur – que je connais bien et qui est quelqu’un de tout à fait honorable – est parti parce qu’il n’en peut plus, ce qui peut se comprendre. Je ne juge pas. Il n’a pas démissionné comme on peut le lire ici et là. Il a été placé en autorisation spéciale d’absence (ASA) à sa demande pour quelques semaines, avec l’autorisation de l’administration, le temps de prendre sa retraite cet été comme c’était prévu. L’affaire du lycée Ravel est connue : le proviseur a été victime de menaces de mort répétées sur divers réseaux sociaux en février. Des menaces directement liées à une altercation qu’il a eue, le 28 février, avec une jeune fille de l’établissement, laquelle avait refusé d’ôter son voile alors qu’elle traversait une cour de récréation.

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Le rectorat a évoqué des « raisons personnelles », le proviseur un départ pour des raisons de « sécurité ». Pourquoi une telle divergence dans cette présentation des faits ?

Cette communication du rectorat a effectivement embrouillé l’esprit de tout le monde et on peut le regretter. Il est évidemment parti parce qu’il est épuisé, usé par cette ambiance de tensions permanentes qui a suivi l’altercation de février. C’est évidemment une question de sécurité. C’est la conséquence directe de cette affaire. Pour autant, ce n’est pas lié à des faits nouveaux.

Cela signifie-t-il qu’il n’a pas été suffisamment soutenu, protégé ? L’État a-t-il pris la mesure de ce qui se passait ?

Les forces de l’ordre ont assuré la protection du proviseur et la sécurité de l’établissement. Des équipages de police ont été mobilisés autour de l’établissement. Les équipes mobiles de sécurité ont assuré également une présence. La ministre de l’Éducation, Nicole Belloubet, s’était rendue immédiatement sur place peu après l’agression. Elle tient des propos extrêmement clairs, très fermes sur la laïcité, j’ai pu le constater. Le proviseur a tout de suite obtenu la « protection fonctionnelle », a porté plainte, a été accompagné. L’État, pas plus que le gouvernement, n’a pas été défaillant dans cette affaire. Le Premier ministre lui-même vient de le recevoir.

Est-ce bien utile que l’État porte plainte pour « dénonciation calomnieuse » contre cette jeune fille, comme l'a annoncé Gabriel Attal alors que le proviseur a déjà porté plainte contre elle « pour actes d’intimidation ». Et qu’une seconde avait déjà été ouverte pour « cyberharcèlement » ?

Rien n’empêche l’État de porter plainte à son tour pour témoigner de son soutien. Même si le geste est symbolique, les symboles sont importants. Le parquet a fait état du fait que la plainte de la jeune fille avait en revanche été classée sans suite.

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La majorité des proviseurs parisiens a manifesté récemment pour protester contre une recrudescence de violences, d’agressions et d’atteintes à la laïcité. Le 6 mars, un rapport sénatorial soulignait « la terrible solitude vécue par les membres du personnel éducatif » face aux menaces. Que se passe-t-il ?

Ces atteintes à la laïcité ne vont hélas pas s’arrêter. Elles sont permanentes, partout en France. D’autres proviseurs ont été récemment menacés dans le Val-de-Marne, à Amiens, etc. Regardez par ailleurs ces messages haineux et ces vidéos de décapitation diffusées dans des centaines d’établissements ces derniers jours via les ENT (espaces numériques de travail).

Nous savons que l’école est la cible privilégiée des islamistes. C’est une menace qui vise l’ensemble de la République. Il faut prendre la mesure de ce qui se passe et résister. L’école fait déjà beaucoup mais ne peut pas tout. Un cours hebdomadaire d’éducation morale et civique ne lutte pas à armes égales face aux vidéos TikTok que les élèves peuvent visionner des heures. Des élèves, désormais, menacent leurs enseignants en leur disant : « Je vais te faire une Samuel Paty ».

Cette prise de conscience est-elle désormais avérée ?

On part de tellement loin. En 1989, peu de monde acceptait de comprendre ce qui se passait. Il n'a pourtant jamais été question de renvoyer chez elles les jeunes filles qui portaient le voile. Beaucoup de politiques et de médias analysaient alors cela comme une passade adolescente. On paye notre retard et notre déni sur ces sujets. Mais oui, ça a changé : Jean-Michel Blanquer a créé le Conseil des sages de la laïcité, des équipes mobiles prêtes à intervenir. Et le discours et l’attention des ministres ont changé. Il est bien plus ferme.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne