Accueil

Culture Cinéma
Avec "Tel Aviv-Beyrouth", la cinéaste continue de s’interroger sur l’exil, la transmission et sur les identités nationales à géométrie variable. Son obstination de cinéaste mérite d’être saluée deux fois plutôt qu’une.
Avec "Tel Aviv-Beyrouth", la cinéaste continue de s’interroger sur l’exil, la transmission et sur les identités nationales à géométrie variable. Son obstination de cinéaste mérite d’être saluée deux fois plutôt qu’une.
Sophie Dulac Distribution

"Aftersun" et "Tel Aviv - Beyrouth" : deux pépites en guise de contre-programmation à "Astérix"

Sortie en salles

Par

Publié le

Le tumulte promotionnel sur la sortie du dernier « Astérix » donne peu de chances aux autres films d’exister. Certains méritent pourtant d’être honorés comme « Aftersun », petite merveille impressionniste sur les relations père- fille, et « Tel Aviv - Beyrouth », le film historique de Michale Boganim qui met en scène deux familles, l’une israélienne et l’autre libanaise.

« Aftersun » : les fragments de la mémoire

Deux personnages en tout et pour tout, un dispositif dramatique minimaliste et une mise en scène économe de ses effets… Dans Aftersun, son premier film, la débutante écossaise Charlotte Wells joue la carte de l’épure et de la discrétion. Cette modestie ne l’empêche pas de crouler sous les honneurs : de sa sélection en mai dernier au Festival de Cannes (dans la section La semaine de la critique) à sa présence le 13 mars prochain à la cérémonie des Oscars où son acteur principal, Paul Mescal (vu dans la série Normal People), sera en lice pour le prix du meilleur acteur.

Dans cette fiction impressionniste, la cinéaste retrace un été dans la vie de Sophie, une gamine de onze ans, et de Calum, son jeune père, un homme divorcé qui chérit sa progéniture et entretient de tendres relations avec elle. Dans une station balnéaire de Turquie au début des années quatre-vingt-dix, les deux personnages britanniques s’adonnent à des activités banales : séances de bronzage à la piscine, initiation à la plongée, parties de billard, karaoké…

Le film aligne les séquences de villégiature a priori anodines et rend compte de la complicité entre un père et une fille qui n’ont pas besoin de beaucoup se parler pour se comprendre. Mais, dans ce tableau a priori idyllique et ce quotidien sans nuage, la mise en scène tout en suggestions et délicatesse de Charlotte Wells signale que « quelque chose » cloche : des attitudes de Calum trahissent parfois une fragilité douloureuse, le regard de Sophie est envahi par instants par une indicible tristesse comme si elle pressentait que ces vacances en compagnie de son père étaient peut-être les dernières…

Un été et une énigme

Il serait criminel de dévoiler les ressorts scénaristiques de cette fiction ténue et sensible qui fuit l’insistance, le pathos et rappelle parfois, sans jamais s’abîmer dans l’imitation, d’autres films évoquant les relations père-fille comme Alice dans les villes, de Wim Wenders ou Somewhere, de Sofia Coppola. On se contentera d’indiquer que Aftersun, derrière ses allures de chronique familiale, invite le spectateur à découvrir un subtil jeu mémoriel : celui de Sophie qui, vingt ans après les faits, se souvient de ces quelques jours de vacances en Turquie et cherche à reconstituer le puzzle de l’identité de son père adoré, cet homme aimant et énigmatique. Le voyage en leur compagnie en vaut vraiment la peine.

À LIRE AUSSI : "Interdit aux chiens et aux Italiens" : une histoire d’immigration et de pâte à modeler

***

« Tel Aviv - Beyrouth » : les frontières et l’exil

Changement d’horizon géographique et de genre avec ce film qui évoque les tumultes de la grande histoire. Michale Boganim, la cinéaste israélienne, ne cesse d’évoquer l’exil et la quête identitaire dans sa carrière. Après La terre outragée (sur la catastrophe de Tchernobyl) et Odessa… Odessa !, un documentaire remarquable sur l’exil subi par les juifs originaires de cette ville, la réalisatrice creuse son sillon dans Tel Aviv - Beyrouth, une fiction qui retrace sur deux décennies les existences de deux familles, l’une israélienne et l’autre libanaise.

En 1984, alors que la guerre du Liban fait rage, un jeune soldat de Tsahal, Yossi, combat à Beyrouth alors que sa compagne, Myriam, d’origine française, est sur le point d’accoucher de l’autre côté de la frontière. Dans cette ville martyrisée où le danger impose partout ses lois, Yossi rencontre Fouad, un autochtone qui collabore avec l’armée israélienne pour lutter contre l’influence du Hezbollah. Les deux hommes entretiennent une vague amitié, bientôt mise à mal par les réalités funestes du conflit. L’épouse de Fouad, une civile parmi d’autres, décède suite à un tir de roquette. Et ce dernier, suite au départ précipité de l’armée israélienne qui abandonne derrière elle ses « collaborateurs », doit quitter en urgence Beyrouth pour Israël avec l’une de ses filles pour échapper à une condamnation à mort certaine par ses « frères » libanais.

L’identité en souffrance

De 1984 à 2006, au gré des combats récurrents qui endeuillent la région, Michale Boganim suit à la trace et sans manichéisme plusieurs personnages emblématiques de leur époque. Elle s’intéresse tout particulièrement au sort des Tsadal, ces Libanais qui ont combattu en leur temps avec l’armée israélienne et dont le destin est à bien des égards comparable à celui des harkis de la guerre d’Algérie, considérés comme des traîtres et des parias dans leur pays natal et méprisés sur une terre d’accueil qui porte mal son nom.

À LIRE AUSSI : "Brillantes", de Sylvie Gautier, au cinéma : debout les damnées de la terre !

Installés en Israël et traités comme des citoyens de seconde zone, les Tsadal, raconte la cinéaste, « attendent depuis des décennies une paix intérieure et politique qu’ils ne connaîtront peut-être jamais ». À travers le portrait émouvant de Tanya, la fille de Fouad qui refuse de céder à la désespérance, Tel Aviv-Beyrouth, donne à voir les déchirements et contradictions qui affligent cette communauté de déracinés, jusqu’alors ignorés par le cinéma de fiction.

L’an passé, Michale Boganim signait un précieux documentaire intime et historique : Mizrahim, les oubliés de la terre promise, où elle évoquait l’histoire de son père, un militant politique radical, et celle des juifs venus d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient et souvent victimes de discriminations à leur arrivée en Israël. Avec Tel Aviv-Beyrouth, la cinéaste continue de s’interroger sur l’exil, la transmission et sur les identités nationales à géométrie variable. Son obstination de cinéaste mérite d’être saluée deux fois plutôt qu’une.

Aftersun, de Charlotte Wells et Tel-Aviv Beyrouth, de Michale Boganim. Sortie le 1er février.

Votre abonnement nous engage

En vous abonnant, vous soutenez le projet de la rédaction de Marianne : un journalisme libre, ni partisan, ni pactisant, toujours engagé ; un journalisme à la fois critique et force de proposition.

Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne