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Maître Gims : "préceptes salafistes", business et contradictions
Maitre Gims
AFP

Maître Gims : "préceptes salafistes", business et contradictions

Salaf comme jamais

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Le rappeur Maître Gims a demandé à ses fans, et tout particulièrement aux musulmans, de ne pas lui souhaiter la bonne année. Une vision fondamentaliste et dévoyée de l'islam, qui ne correspond à aucune réalité théologique.

« Les frères, on ne fête pas ça. On ne fête pas ça, parce que c'est comme ça. » Casquette Chanel vissée sur le crâne, bien calfeutré derrière ses éternelles lunettes noires, Maître Gims s'est emporté contre sa communauté. En cause : les messages de « Bonne année » envoyés par ses fans, incompatibles selon le rappeur avec une bonne pratique de l'islam. « Les muslims (sic) arrêtez ça, on a les mêmes convictions ! C'est des muslims (sic) la plupart qui m'envoient ça ! », a-t-il précisé, incluant aussi les fêtes d'anniversaire dans cette interdiction supposée. « C'est un pas de plus vers la mort », s'émeut-il un peu plus tard. Cette vidéo, publiée sur son compte Instagram le 1er de l'an, a beaucoup fait réagir les internautes et la communauté du chanteur, peu préparée à ce type de déclarations.

La plupart des musulmans sont pourtant loin de partager les convictions du chanteur. Pour l'islamologue musulman franco-marrocain Rachid Benzine, les prescriptions de Maître Gims ont plutôt à voir avec une vision « salafiste » de l'islam. « Ce mouvement est né au XVIIIe siècle en Arabie, il prétend revenir à l’origine de l'islam, mais ce n'est rien d'autre qu'une prétention. Quand vous étudiez véritablement l'Histoire de l'islam, vous vous apercevez très vite que l'islam des origines n'a rien à voir avec ce type de prescriptions », explique le chercheur à Marianne.

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Également interrogée par Marianne, l'islamologue et auteure Kahina Bahloul abonde : « Non ça ne correspond à aucun précepte, absolument aucun. Si on revient aux sources fondatrices de la religion musulmane, c’est-à-dire le Coran, il n'y a absolument aucune interdiction de ce type. » L'auteure explique à Marianne qu'il s'agit d'un « travers » dans lequel tombent certains musulmans : « La lecture des courants fondamentalistes et intégristes qui utilisent une littérature posée deux siècles après la mort du prophète pour défendre des positions idéologiques et politiques. »

Gims, victime du Tabligh

En réécoutant quelques-uns des morceaux du groupe Sexion d'Assaut, par lequel il s'est fait connaître, on constate que ce type de prescriptions religieuses est déjà présent dans les textes du rappeur. Dans T'es le seul à rien foutre, Gims rappelle que « C’est ta foi qu’il faut muscler, toi tu t’éclates à coups de tractions » ; dans VQ2PQ, il rappelle aux femmes que si elles sont victimes de « barbarie, de descentes », la solution « se trouve dans un accoutrement plus décent ». Il s'en est d'ailleurs déjà pris à Noël dans 30 % : « Puis mes frères s’mettent à hâter la foutue fête des athées ». Pour la rime ?

En 2015, le chanteur a expliqué avoir appartenu, un temps, au mouvement du Tabligh, un courant islamique indo-pakistanais aux préceptes similaires aux salafistes. En 2005, il a même suspendu sa carrière dans le rap pour devenir prédicateur ambulant, sillonnant les routes de mosquée en mosquée, jusqu'en Italie, raconte en 2015 L’Express. « Quand je suis rentré dans cette religion, j'étais à la portée de n'importe quel gourou, j'étais un cœur pur et quelqu'un de mal intentionné peut te prendre sous son aile et faire de toi une arme », témoigne-t-il à l'époque. Il précise : « Il y avait des personnes qui ont fini en Irak, qui sont mortes, se sont suicidées. Des gens qui étaient à côté de moi. Et cela m'a fait flipper, je ne sais pas où j'aurais pu terminer. »

Un fondamentalisme à la carte

Douze ans après son passage par le Tabligh, Maître Gims semble donc toujours partager cette vision rigoriste de la tradition prophétique. Assez pour interroger ses fans, le 1er janvier : « Est-ce que les compagnons [du prophète] fêtaient ça ? » Une question qu'il ne semble pourtant pas s'être posé lorsqu'il participait, le 24 décembre 2021, à l'émission « Les Douze coups de Noël ». Les compagnons du prophète chantaient-ils pour Jean-Luc Reichmann ? Les sources historiques ne permettent pas d'en attester.

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« C'est assez intéressant analyse Rachid Benzine. Même dans la doctrine salafiste, les croyants font leur marché. Les gens arbitrent, rusent, contournent, c’est plutôt rassurant, ils sont contradictoires. L’homo islamicus n’existe pas. » Un arbitrage intéressant en effet : la vision rigoriste de la pratique religieuse défendue par Gims pour les fêtes de fin d'année ne s'applique ni à son choix de carrière – la musique est interdite – ni à son mode de vie occidental, ni à sa compagne notoirement non voilée, ni à son train de vie ultra-luxueux qu'il affiche sur les réseaux sociaux. Il ne s'adresse en réalité qu'à ses fans ; ces jeunes passionnés de rap, dont une partie d'entre eux est de culture arabo-musulmane. Les affaires sont les affaires.

Surenchère

« C'est ce qui m’attriste et m’inquiète le plus, dans cette histoire, déplore Kahina Bahloul. Gims fait partie de ces personnes qui ont une responsabilité, il a des fans, c'est un artiste mondialement connu. » Une inquiétude ravivée par la diffusion à très grande vitesse de cette vision ultra-rigoriste de l'islam en Europe ces quarante dernières années. « Ce courant rigoriste, qui est très identitaire, propose un kit de survie en contexte de postmodernité, estime Rachid Benzine. Les gens pensent qu’en ayant plus de règles, ça leur permettra d’être de meilleurs musulmans. Il y a une surenchère de normes : plus c’est normatif, plus il y a d’interdits et plus c’est islamique. »

Une vision ultra-normative qui touche beaucoup de jeunes. « On voit chez certains une vision comptable de la religion, pour s'arranger avec ces préceptes. Si je fais tant de mauvaises actions dans la journée, je peux les compenser avec tant de bonnes actions », témoigne Kahina Bahloul. Pour l'islamologue, la polémique déclenchée par Maître Gims est un cas d'école : « Les musulmans influencés par les préceptes d'un islamisme intégriste et identitaire le sont très souvent sans le savoir. Par méconnaissance de la théologie et de l'histoire de leur religion, ils considèrent qu'il s'agit du seul véritable islam. Ils se retrouvent alors à diffuser cette parole fondamentaliste, qui est avant tout politique, sans s'en rendre compte. » À l’instar de beaucoup de ses jeunes fans, le rappeur aux lunettes fumées est avant tout la victime de sa propre inculture religieuse.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne