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Avant la présidentielle, la gauche tente (enfin) de rompre avec la stratégie Terra Nova
Olivier Faure, Martine Aubry, Anne Hidalgo et Bernard Cazeneuve à Lille le 23 octobre 2021.
THOMAS LO PRESTI / AFP

Avant la présidentielle, la gauche tente (enfin) de rompre avec la stratégie Terra Nova

Mieux vaut tard que jamais

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Plus de dix ans après la parution de la note, tristement célèbre, qui dessinait le divorce de la gauche et de la classe ouvrière, plusieurs figures du Parti socialiste prennent la parole pour préconiser un retour aux fondamentaux et reconquérir les classes populaires.

« Une erreur funeste » pour Bernard Cazeneuve. En 2011, le think tank Terra Nova publiait une note, restée dans les mémoires, qui dessinait un nouvel électorat pour la gauche. Fini la « coalition historique fondée sur la classe ouvrière », vive « la France de demain » articulée autour des tenants du libéralisme culturel : les jeunes, les diplômés, les femmes ou les minorités.

Une analyse reçue, à l’époque, comme un aveu d’abandon des classes populaires par le Parti socialiste (PS). Dix ans après, à quelques mois de la présidentielle, plusieurs voix à gauche s’en prennent à la note de Terra Nova et semblent (enfin) acter l’échec de sa stratégie.

« Désarrimage entre la gauche et les classes populaires »

Publiée le 10 mai 2011, intitulée « Gauche : quelle majorité électorale pour 2012 ? », le texte de Terra Nova, devenu au fil des ans un brûlot tant il a suscité d’attaques, tentait d'esquisser la stratégie du PS pour la prochaine présidentielle. D’après les auteurs de la note « la coalition historique qui a porté la gauche depuis près d’un siècle, fondée sur la classe ouvrière » était alors « en déclin ». La faute, selon eux, à un « rétrécissement démographique de la classe ouvrière » et, surtout, aux ouvriers eux-mêmes qui ne seraient pas en phase avec le libéralisme culturel adopté par la gauche depuis 1968. En somme, des ouvriers pas assez nombreux et trop conservateurs.

Le rapport préconise donc de se tourner vers une nouvelle coalition : « la France de demain » composée des « diplômés », des « jeunes », des « minorités » et des « femmes ». « L’identité de la coalition historique était à trouver dans la logique de classe, la recomposition en cours se structure autour du rapport à l’avenir » pointe Terra Nova. À la poubelle ces vieilles idées marxistes de lutte des classes qu’il ne faudrait surtout pas essayer de ressusciter, car pas assez intéressantes électoralement. « Le point d’aboutissement du désarrimage entre la gauche et les classes populaires enclenché de manière plus ou moins consciente depuis une trentaine d’années » analysait le politologue Jérôme Fourquet en mai dernier dans Marianne.

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À l’époque déjà, le rapport avait fait bondir. Un « cynisme électoral » pour l’UMP (ex Les Républicains), un « sabordage idéologique » pour le Parti communiste. Au PS, on s'affronta en interne entre partisans de la ligne strausskahnienne d’un côté et soutiens d’une gauche populaire, proches de Montebourg, de l’autre. François Hollande tenta de les réconcilier un temps, prônant à la fois le mariage pour tous et désignant la finance comme son ennemi. Renvoyant aux calendes grecques, dans le registre de la « synthèse » chère à l’ex premier secrétaire, la clarification sur la ligne idéologique.

Une « erreur funeste »

Dix ans après la publication de la note, alors que la gauche patauge dans les profondeurs des sondages à quelques mois de la présidentielle, ce moment est peut-être venu. Plusieurs interventions dans la presse ces derniers jours le laissent penser. Fidèle à la ligne des communistes, Ian Brossat, directeur de campagne de Fabien Roussel, alertait ce 29 décembre dans Libération : « si [la gauche] veut gagner, elle doit reconquérir les ouvriers, les employés, le monde du travail ».

Mais surtout, même chez les « éléphants » du PS, on s’en prend désormais ouvertement à cette note. Dans un entretien paru dans le numéro d'hiver de la revue Le Droit de vivre, Bernard Cazeneuve entreprend une violente charge, sans citer la structure, contre la stratégie Terra Nova. « En 2012, un think tank avait théorisé l’idée que la disparition des classes populaires devait conduire à leur substituer les minorités comme autant de catégories de référence » estime l’ex Premier ministre de François Hollande. Pour lui, pas de doute, il s’agissait d’une « erreur funeste », « car un parti politique n’a pas à parler à des segments en particulier de la société, mais à la Nation tout entière ».

« On court désespérément derrière des minorités comme après autant de clientèles, en cherchant à tout prix à les séduire, avec la préoccupation d’un bénéfice électoral à court terme. [...] La conviction est pour moi ce qui permet à la politique de s’ancrer dans le temps long, alors que la séduction est toujours déceptive » tranche celui qui était un temps pressenti pour représenter le PS aux prochaines présidentielles, à la place d’Anne Hidalgo.

Virage au PS ?

Jusque dans l’écurie de la maire de Paris, pourtant elle aussi réputée pour son ancrage bien social-démocrate, on n’hésite pas à critiquer la note Terra Nova. Encore dans Libération, un membre de l’équipe de la candidate est décrit comme « assumant le label anti Terra Nova » et plaide pour reconquérir « ces gens qui travaillent mais ont l’impression de ne plus réussir à vivre dignement ».

En août dernier, aux universités d’été du PS, c’est Olivier Faure lui-même qui prenait ses distances. « Il y a, paraît-il, une note qui depuis des années nous poursuit, une note de Terra Nova, présentée comme étant la source de notre inspiration stratégique, avançait le premier secrétaire du parti socialiste. Nous aurions fait, nous, le choix d'abandonner les catégories populaires pour nous appuyer exclusivement sur quelques minorités actives. Aujourd’hui, je veux tordre le cou à cette fable. Je ne me sens aucun lien avec cette note, c’est simple, c’est clair ! »

Reconquérir les classes populaires

Clair, surtout, qu’en panne sèche dans les sondages, la gauche ne peut plus vraiment faire l’économie des catégories populaires pour tenter de reconquérir l’Élysée. D’où l’accent mis depuis le début de la campagne par les candidats de gauche sur des thématiques socio-économiques, comme le travail, l’industrie ou le pouvoir d’achat. D’où, aussi, la volonté de Christiane Taubira, perçue comme la figure même de la « gauche sociétale », d’insister sur la lutte contre les « inégalités », le « désarmement industriel » ou les « services publics » dans sa tribune publiée dans Le Monde. Pas sûr néanmoins que ce retour aux fondamentaux à quelques mois du scrutin, que certains jugeront sans nul doute opportun, permette à la gauche de sauver la donne.

Difficile pour autant de faire autrement. Et c’est même… Terra Nova qui le dit. S’il défend dans une analyse parue en novembre dernier que « contrairement à ce que prétend aujourd’hui Arnaud Montebourg, [la note de 2011] ne recommandait pas à la gauche "d’abandonner les classes moyennes et populaires" au profit d’une "bourgeoisie libérale et optimiste" », le directeur actuel du think tank Thierry Pech reconnaît : « il était certainement inopportun et même franchement déplacé, à l’orée d’une campagne présidentielle, d’envoyer le signal que la gauche devait se détourner d’une partie de la société, et de qualifier la nouvelle coalition de « France de demain » en suggérant que ceux qui n’en étaient pas appartenaient de fait au passé et entreraient bientôt dans les livres d’histoire. » Dont acte.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne