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Quand les États-Unis somment leurs alliés de rapatrier leurs djihadistes
Antony Blinken
AFP

Quand les États-Unis somment leurs alliés de rapatrier leurs djihadistes

Drôle de leçon

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La Maison Blanche a trouvé la solution pour régler le problème des combattants djihadistes détenus en Syrie : elle propose aux Occidentaux de les rapatrier chez eux ! Et si elle balayait plutôt devant sa porte ?

Lors d’une réunion à Rome, le secrétaire d’État américain Antony Blinken a rappelé qu’environ 10 000 combattants de l’État islamique étaient toujours détenus en Syrie dans des camps gérés par les Forces démocratiques syriennes (FDS), majoritairement constituées de miliciens kurdes. À ses yeux, cette situation est « intenable ». Dans la foulée, il a lancé : « Les États-Unis exhortent les pays d’origine, y compris les partenaires de la coalition, à rapatrier, réhabiliter et, le cas échéant, poursuivre en justice leurs citoyens. » Pour Antony Blinken, ce serait la meilleure solution pour ne pas voir Daech renaître de ses cendres.

Voilà qui est pour le moins (d)étonnant. L’hypothèse de la « réhabilitation » de terroristes relève de la plaisanterie de mauvais goût. Même les fous de Dieu les plus allumés n’avaient pas osé aller jusque-là. Passons. Quant au rapatriement, le secrétaire d’État américain en parle avec d’autant plus de légèreté que son pays n’est pas concerné, pour des raisons géographiques que l’on comprend aisément. Il est très facile de faire la leçon aux autres dès lors que l’on s’en lave les mains.

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Certes, dans un passé récent, les États-Unis se sont vantés d’avoir rapatrié les djihadistes américains. Mais cela impliquait en tout et pour tout 27 ressortissants « made in USA », à comparer avec ceux qui restent sur le sol syrien. Au-delà de ce constat mathématique qui reflète l’ampleur du problème, on se demande en quoi Antony Blinken est fondé à dicter aux Européens (puisqu’il s’agit surtout d’eux) ce qu’ils doivent faire.

Guantánamo, goulag tropical

S’il s’agit de considérations humanitaires, que les États-Unis commencent par rapatrier sur leur sol les prisonniers encore présents dans le camp de Guantánamo, sans jamais avoir été jugés, mais après avoir été torturés. Cette prison a été ouverte en 2002 pour y enfermer des membres présumés d’Al-Qaida en liaison avec les attaques du 11 septembre 2001. Elle a compté jusqu’à 800 prisonniers, dont une immense majorité de non coupables. Il en reste 40, enfermés dans un goulag tropical que Barack Obama devait fermer et qui est toujours en activité.

S’il s’agit de prévenir une éventuelle reprise du djihadisme, les États-Unis seraient bien inspirés d’en finir avec les bombardements auxquels ils procèdent à leur guise au Proche-Orient, au risque de nourrir une haine de l’Occident qui fait le jeu de l’islamisme radical.

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L’Irak et la Syrie y ont droit à intervalles réguliers. À chaque fois, la Maison Blanche assure qu’elle ne vise que des milices chiites liées à l’Iran, comme le fait également Israël. Certes, l’accusation est parfois fondée. Mais elle ne donne aucune légitimité à des opérations militaires violant la souveraineté des pays concernés et laissant sur le sol des victimes innocentes aussitôt oubliées. Ou alors il faut arrêter de dénoncer la Russie lorsqu’elle en fait de même au nom de la lutte contre le djihadisme et du soutien au régime syrien.

Les Kurdes oubliés

S’il s’agit de trouver une porte de sortie pour les miliciens Kurdes qui se retrouvent avec des djihadistes à surveiller pour une durée indéterminée, dans des camps qui sont souvent des passoires, l’intention est louable. Mais dans ce cas, Antony Blinken devrait commencer par se tourner vers son ami Erdogan, sultan revendiqué d’un pays qui traque plus facilement les Kurdes que les djihadistes, joignant souvent le geste à la parole. Sur le terrain, la Turquie pratique un dangereux double jeu que les États-Unis ne veulent pas voir, afin de réintroduire Ankara dans leur dispositif géostratégique, quitte à abandonner des miliciens Kurdes qui ont été aux avant-postes du combat contre Daech.

Autant dire que le sort des djihadistes emprisonnés au Proche-Orient ne peut être traité à la légère, en battant sa coulpe sur la poitrine d’autrui, comme le fait Antony Blinken. Comme d’autres, la France a été meurtrie dans sa chair par les attentats terroristes, et nul ne peut lui demander de passer l’éponge à la légère.

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Cela ne signifie pas qu’il faille mettre tout le monde dans le même panier, terroristes, femmes de terroristes, enfants de terroristes. Mais cela nécessite de la prudence, de la retenue et de l’esprit de responsabilité, toutes choses que semble oublier le secrétaire d’État américain, qui se lave les mains en oubliant les éventuelles conséquences de ses préconisations.

Puisqu'Antony Blinken, qui a longtemps vécu en France, manie parfaitement la langue de Voltaire, on lui conseillera de balayer devant sa porte avant de donner des conseils de propreté.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne