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Assa Traoré, incarnation du Comité "Vérité pour Adama".
Assa Traoré, incarnation du Comité "Vérité pour Adama".
Hans Lucas via AFP

"Mon fils n’est pas un assassin" : les vérités dérangeantes sur l’affaire Adama Traoré

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Ecrit par la mère d’un des gendarmes mis en cause dans la mort d’Adama Traoré, en 2016 dans le Val-d’Oise, ce livre passe au crible le positionnement politique très changeant d’Assa Traoré, la bienveillance médiatique et politique dont elle a pu bénéficier et dévoile un élément troublant sur la santé du jeune homme.

C’est une parole qui tente de rééquilibrer la bataille médiatique dans le dossier Adama Traoré . Celle de Virginie Gautier, mère d’un des trois gendarmes mis en cause dans la mort du jeune homme, qui publie le livre Mon fils n’est pas un assassin aux éditions Robert Laffont, écrit avec le journaliste Erwan Seznec (ex-collaborateur à Marianne, désormais au Point).

Pour mémoire, le 19 juillet 2016, Adama Traoré mourait dans la cour de la gendarmerie de Persan (Val-d’Oise). Quelques minutes plus tôt, il avait été interpellé au terme d’une course-poursuite à pied sous une chaleur de plomb. Est-il mort à cause de l’intervention des forces de l'ordre ? Ou d’une pathologie cardiaque non détectée jusque-là ? Ou encore d’un cumul de plusieurs facteurs ? Six années après, jalonnées par une dizaine d’expertises ou contre-expertises, le grand public ne semble guère plus éclairé mais une pluie de personnalités politiques et de « people » ont déjà choisi leur thèse, celle d'une bavure.

Cette multiplication des rapports médicaux explique largement la longueur de la procédure. L’activisme de ceux qui défendent la mémoire d’Adama Traoré est une autre explication possible. En particulier le Comité « Vérité pour Adama », incarné par l’une des sœurs du défunt, Assa Traoré . Une personnalité clivante dont l’attitude aura nettement varié depuis le début de l’affaire. En 242 pages, Virginie Gautier et Erwan Seznec décryptent leur activisme politique et judiciaire. Décryptent ? Déconstruisent plutôt, tant leur charge est aussi minutieuse qu’implacable.

Une accusation très changeante

En six ans, les accusations contre les gendarmes responsables de l’interpellation d’Adama Traoré auront nettement varié dans la bouche des proches d’Adama Traoré. Ainsi, le 20 juillet 2016, soit le lendemain de la mort du jeune homme, le site Mediapart publie un article leur donnant la parole. Ces derniers accusent les forces de l’ordre d’avoir frappé le jeune homme. « Ils l’ont tapé pour le faire entrer de force dans la voiture et il a eu une crise (…) On nous a raconté qu’au poste, il était par terre, menotté, et qu’ils lui ont donné des coups sur la tête. Il a fait une crise mais ils ont continué à lui donner des coups. Il a succombé aux coups. » Le même jour à l’antenne diTélé, Assa Traoré reprend cette thèse, indiquant que son autre frère Bagui (également interpellé ce jour-là) « a vu Adama se faire frapper à la tête par un gendarme. Mon frère a voulu intervenir et ils l’ont envoyé à Cergy pour qu’il n’assiste pas à cet assassinat ».
Rien ne viendra étayer l’existence de ces coups et par la suite, les soutiens de la famille Traoré abandonneront – sans le dire – cette version.

C’est un autre scénario qui sera ensuite privilégié par Assa Traoré et ses soutiens : lors de son interpellation (qui a finalement eu lieu dans le logement d’un riverain où Adama s’était caché), les trois gendarmes auraient maintenu au sol le jeune homme en faisant poids de tout leur corps. Adama Traoré aurait donc été écrasé par « 250 kg », selon les chiffres martelés par l’avocat de la famille, Yassine Bouzrou. Une description cependant réfutée par les trois gendarmes.

Ultime flèche lancée par les parties civiles : en juin 2020, Yassine Bouzrou « s’interroge sur l’existence d’un passif » entre Adama Traoré et l’un des gendarmes chargés de l’interpeller. Interrogation sincère et tardive ou manœuvre pour faire durer encore l’instruction ?

Les revirements politiques d’Assa Traoré

Autre variation d’ampleur : les revendications politiques autour du dossier. En septembre 2016, Assa Traoré « balaie l’idée de racisme anti Noirs que certaines personnes ont pu évoquer (...) C’est un autre combat. Peut-être y a-t-il un lien , je ne sais pas. Mais ce n’est pas ce que je défends. Moi je veux juste la justice pour Adama. » Trois mois plus tard, elle confie à l’Obs : « Je parle exclusivement au nom des miens, et non de toutes les familles de victimes de bavures policières. » Un refus de globaliser sa cause qui ne durera pas.

Dans son livre Le combat Adama, écrit avec le sociologue et militant de la gauche radicale Geoffroy de Lagasnerie , publié en 2019 (et que Marianne a relu), elle déclare : « On peut te contrôler dix fois dans la journée et tu ne peux rien dire. Au temps de l’esclavage, c’était pareil. Ton corps appartenait à ton maître. » Ou encore : « Mon frère, quand il se fait attraper, trois gendarmes montent sur lui. Ça représente près de 250 kilos. Ç’aurait été un corps blanc, ils ne l’auraient pas fait. »

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En janvier 2021, nouveau changement de braquet, dans le média Vice : « Je refuse que l’on m’enferme dans un discours, et notamment un discours racial. Il ne s’agit pas d’un duel Blancs contre Noirs. » Le mois suivant, énième virage 180 degrés dans les colonnes de Jeune Afrique : « Les hommes noirs et arabes ne sont pas en sécurité en France. »

En revanche, lorsqu’il s’agit d’élargir le combat à d’autres familles, la machine se grippe. Le livre fait ainsi état d’une brouille entre Assa Traoré et Amal Bentounsi créatrice du collectif « Urgence notre police assassine » et sœur d’Amine, tué par un policier lors d’une course-poursuite, d’une balle dans le dos. A l’origine de cette brouille notamment, selon le livre, un désaccord sur la conception d’un visuel pour banderoles et T-shirts : Amal Bentounsi voulait y inscrire plusieurs noms de victimes présumées de violences policières, Assa Traoré ne voulait que celui de son frère.

Des soutiens politiques englués dans leurs contradictions

Comment expliquer de tels revirements ? Communication pas si maîtrisée ou influence d’acteurs beaucoup plus politisés ? Le livre éclaire quelques pistes en rappelant que la mort d’Adama Traoré a rapidement entraîné la venue de militants associatifs à Beaumont (Val-d’Oise), où vivait la famille du jeune homme. A l’image de Youcef Brakni, ex-membre des Indigènes de la République, surgi le lendemain avec Samir Baaloudj Elyes, lui-même issu du Mouvement de l’immigration et des banlieues (MIB). Autre figure autour d’Assa Traoré : Almamy Mam Kaounté, militant de la controversée Brigade antinégrophobie. « Ils ont agi comme des guides et des filtres » raconte Assa Traoré à Street Press en octobre 2018. On peut y ajouter par la suite le sociologue Geoffroy de Lagasnerie.

Des soutiens qui n’ont de cesse de dénoncer le « racisme d’État » mais qui ont en commun d’être précisément au service de l'État : Almamay Kanouté est employé d’un organisme social parapublic au service des collectivités, Brakni est enseignant. Quant à Geoffroy de Lagasnerie, il est professeur à l’Ecole nationale supérieure d’arts de Paris-Cergy.

Des relais médiatiques

Ces contradictions sont d’autant moins questionnées publiquement qu’une part conséquente des médias semble réceptive, sinon acquise, au combat d’Assa Traoré. Celle-ci a d’ailleurs signé un livre avec la journaliste de l’Obs, Elsa Vigoureux. Cet ouvrage avance ainsi comme une vérité établie que les 1 330 euros retrouvés dans la poche d’Adama Traoré, le jour de sa mort, lui avaient été donnés par ses proches pour son anniversaire. Pour les enquêteurs, la possibilité que l’argent ait été le fruit de trafic reste pourtant à creuser, d’autant que cet élément aurait pu expliquer pourquoi Adama Traoré avait cherché, ce jour tragique, à échapper aux forces de l’ordre.

Est-ce une forme de bienveillance qui explique aussi un silence de plomb autour de déclarations plus polémiques ? Comme lors de cette manifestation en 2018 à Paris où Assa Traoré appelle à « renverser » le Président Macron, comme « en Afrique ».

Fébrilité au sommet de l’État

Mais les représentants des pouvoirs publics ont semblé hésiter eux-mêmes dans leur attitude vis-à-vis d’Assa Traoré. Sur ses réseaux sociaux, en 2019, la militante a ainsi médiatisé sa venue dans trois lycées de la Seine-Saint-Denis, où elle est intervenue auprès des élèves. « Comment une femme qui prône le soulèvement des banlieues pour renverser le gouvernement en place peut-elle faire des interventions dans des lycées ? » s’interroge Virginie Gautier dans son ouvrage. Alerté par ses soins, le ministre de l’Education nationale d’alors, Jean-Michel Blanquer , a réagi et les interventions se sont arrêtées… mais pas totalement. En janvier 2020, un autre pilier du comité Vérité pour Adama, Almany Kanouté, s’est exprimé devant les élèves d’un lycée d’Armentières (Nord).

Autre signe de fébrilité au sommet de l’État, en juin 2020 : la proposition de la ministre de la Justice d’alors, Nicole Belloubet, de recevoir la famille Traoré. Etonnante initiative, à la demande d'Emmanuel Macron lui-même, pas franchement conforme au principe de séparation des pouvoirs, en pleine information judiciaire. Il faut dire que l’affaire George Floyd émeut alors l’opinion internationale et que le gouvernement semble chercher à calmer la mobilisation qui se lève contre les violences policières. Mais comble de l’humiliation pour l'éphémère garde des Sceaux et le Président : la famille Traoré déclinera finalement l’invitation.

Une pluie d’expertise…mais un oubli

En six ans, une dizaine d’expertises médicales aura été ordonnée par la justice ou bien commandée par la partie civile. Dès la deuxième, le docteur Rambaud identifie chez Traoré « un trait drépanocytaire », « des lésions d’allure infectieuse » touchant les deux poumons et le foie, ainsi qu’une « cardiopathie hypertrophique ». Or, l’hypertrophie est « un type de pathologie susceptible de donner lieu à une mort subite par le biais d’un trouble du rythme ». Trouble qu’on peut distinguer dans des « situations de stress ou encore d’exercice physique ou d’infection » détaille le rapport.

D’autres expertises suivront et au mois de mars 2021, une équipe rassemblée par le Comité « Verité pour Adama » rendra des conclusions identiques à la thèse soutenue par les proches du défunt. Son décès « est lié à un syndrome asphyxique traumatique mécanique par blocage de la respiration thoracique et abdominal dans les suites d’un placage ventral, aggravé par une hypoxémie d’effort ». Mais le livre Mon fils n’est pas un assassin rappelle qu’aucun de ces experts n’est agréé auprès des tribunaux. Or, parmi ceux-ci pointe Michael M. Baden, légiste américain ayant effectué une « contre-expertise » après la mort de George Floyd. Un nom qui résonne dans les médias... à défaut de résonner dans les palais de justice.

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Si la bataille judiciaire se mêle donc en permanence à celle de la communication, il est une information passée inaperçue en revanche et que révèle le livre.
Tardivement, en mars 2021, les enquêteurs entendent une conseillère en insertion de Pôle emploi dans le Val d’Oise. Celle-ci confie un épisode troublant sur la santé d’Adama Traoré, qu’elle situe entre 2012 et 2014. Marianne a d’ailleurs pu consulter l’intégralité de sa déposition. Selon elle, Adama Traoré suivait à cette époque une formation, en travaillant sur un chantier de déménagement. Or, un formateur encadrant l’avait alors alertée d’un problème : « Adama Traoré était essoufflé, il avait des vertiges et n’arrivait plus à monter et descendre les escaliers avec les meubles. » A tel point qu’il a alors été décidé de le réorienter sur « un chantier plus cool, le paysagisme ».

Faut-il y voir un signe d’un problème cardiaque d’Adama Traoré ? (…) « Ça m’avait marqué, se souvient la conseillère, parce qu’il y avait un décalage entre son physique et cette donnée d’essoufflement. (…) À l’époque, il était jeune, sportif, costaud. » Elle repensera d’ailleurs à cet épisode en apprenant les conditions de son décès, indiquant dans son audition avoir « fait le lien ». A l'heure actuelle, l'instruction sur la mort tragique d'Adama Traoré est toujours en cours.

Mon fils n'est pas un assassin de Virginie Gautier et Erwan Seznec, Editions Robert Laffont, 242 pages,

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne