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L'adolescent soupçonné du meurtre, ce mardi 25 avril, d'une fillette de cinq ans à Rambervillers, dans les Vosges, avait déjà été mis en examen pour viol sur mineur en février 2022.
L'adolescent soupçonné du meurtre, ce mardi 25 avril, d'une fillette de cinq ans à Rambervillers, dans les Vosges, avait déjà été mis en examen pour viol sur mineur en février 2022.
AFP / Jean-Christophe Verhaegen

Meurtre d’une fillette dans les Vosges : "La pédopsychiatrie est sinistrée"

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L'adolescent soupçonné du meurtre d'une fillette de cinq ans à Rambervillers, dans les Vosges, avait déjà été mis en examen pour viol sur mineur en février 2022 et faisait l'objet d'une surveillance en raison de son comportement. Cet évènement pose la question de la difficulté du diagnostic psychiatrique et de l’efficacité de la justice des mineurs en France. Tabou ou défaillance de l’État ? Analyse.

Aurait-on pu éviter le pire ? La question revient bien souvent après un fait-divers . Ce mardi 25 avril, le corps sans vie d’une fillette de cinq ans a été découvert dans un sac plastique à l’intérieur d’un appartement de la commune de Rambervillers (Vosges). Un adolescent de 15 ans, soupçonné d’être à l’origine du meurtre, se trouvait sur place. Déjà mis en examen pour viol sur mineur l'an dernier, le jeune garçon a aussitôt été interpellé et placé en garde à vue du chef de meurtre sur un mineur a indiqué le procureur de la République d'Épinal, Frédéric Nahon, lors d'une conférence de presse ce jeudi 27 avril. Lors de ce point face aux journalistes, le magistrat, citant un rapport provisoire d'expert, a évoqué l'"altération du discernement" du suspect, et sa "dangerosité pour les autres".

Malgré l'absence de toute condamnation dans son casier judiciaire, l'adolescent avait déjà été mis en examen puis placé sous contrôle judiciaire, il y a un an, dans le cadre d'une information judiciaire, « des chefs de séquestration sans libération volontaire, viol et agression sexuelle sur mineur », pour des faits remontant à février 2022, a précisé le procureur. À cette époque, il aurait notamment ligoté à un arbre avec du scotch puis violenté deux enfants et tenté de les brûler avant qu’ils ne parviennent à s'enfuir. Une riveraine a confié avoir déposé plainte pour ces faits. Mais comment le jeune homme a-t-il pu alors retrouver sa liberté ?

Aucun incident

Dans le cadre de cette procédure, l’adolescent avait été placé en centre éducatif fermé (CEF) jusqu'en février 2023, date à laquelle « il est revenu au domicile familial » de Rambervillers, selon le parquet. Jusqu’au jour du drame, il faisait l'objet d'un suivi par la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). « Il n’y a pas eu le moindre incident pendant le CEF d’un an, donc ceux qui suivaient sa situation ont estimé qu’il n’y avait pas besoin d’une mesure éducative supplémentaire impliquant un séjour en internat, explique à Marianne, Jean-Pierre Rosenczveig, magistrat et ancien président du tribunal pour enfants de Bobigny (Seine-Saint-Denis). Le retour en famille a été jugé possible quitte à ce qu’il soit strict. » Si des troubles du comportement avaient été détectés lorsque cette année en CEF, « ils auraient de toute évidence influé sur la décision des magistrats », ajoute le magistrat. Le jeune homme aurait par exemple pu être renvoyé dans un centre éducatif renforcé (CER), une structure qui prend en charge des mineurs délinquants multirécidivistes en grande difficulté ou en voie de marginalisation.

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Mais peu de temps après son retour à Rambervillers, le jeune homme a de nouveau commencé à inquiéter les habitants. La police municipale était d’ailleurs « attentive » à son comportement, a déclaré à l'AFP le maire de la ville, Jean-Pierre Michel. Plusieurs riverains décrivent un jeune homme provocateur, voire menaçant, très identifié dans la commune. L’un d’entre eux rapporte une « altercation » qui s’est produite l'an dernier. « Il avait dit à ma petite-fille de 11 ans "je vais te violer " », a ainsi raconté Mario, un brocanteur âgé de 55 ans, à l’AFP. D’autres décrivent un adolescent qui « traînait, insultait tout le monde » et « importunait tous les enfants ». Dans Le Parisien une habitante se souvient quant à elle de cette fois où elle a vu le jeune homme verser de l’essence sur son vélo, et l’avoir entendu expliquer qu’il « faisait le plein ». Pourtant, selon le procureur de la République, « une expertise psychiatrique précédemment ordonnée » avait conclu à l'époque à « l'absence de troubles mentaux ». Une évaluation réfutée, par conséquent, par le rapport dévoilé ce jeudi, pointant la « dangerosité avérée » du suspect.

Diagnostic subjectif

Alors comment justifier ce changement d’attitude entre son séjour au CEF et son retour à Rambervillers ? « Lors de l’expertise, le patient n'a certainement montré aucun trouble. Or, l’expert n’est pas devin. Certes, il met en parallèle les faits reprochés mais il ne peut pas le diagnostiquer malade si le jour de l’expertise, le mineur se comporte absolument normalement », observe auprès de Marianne la pédopsychiatre Christine Barois. La psychiatrie est aussi par définition une matière très subjective : d’un expert à l’autre, le diagnostic peut parfois varier. Si les témoignages des Rambuvetais semblent « aller dans le sens d’un trouble psychiatrique » d’après la pédopsychiatre, « c’est toujours facile a posteriori de réécrire l’histoire », nuance le magistrat Jean-Pierre Rosenczveig. « Il arrive que du jour au lendemain, des gens se fassent agresser par leur voisin de palier avec qui ils s’entendaient pourtant. Comment aurait-on pu le prédire ? On est dans un domaine délicat à manier, on fait au moins mal. Il faut repérer les situations, les traiter et poser un diagnostic, ce qui est complexe. »

Le traitement est encore plus difficile chez les plus jeunes. D’abord car la justice des mineurs est longue et minutieuse. « On a compris que chez eux, la répression ne fonctionnait pas, il ne suffit donc pas de s’attaquer aux causes, il faut les connaître. L’objectif est d’éviter que ces jeunes personnes repassent à l’acte », détaille Jean-Pierre Rosenczveig. L’incarcération des mineurs demeure par ailleurs compliquée, car ils doivent faire l’objet d’un encadrement strict. « Il y a une réticence des magistrats à les mettre en prison et ça se comprend. Aucune structure n'est vraiment capable de les accueillir, estime Christine Barois. Et puis, comment un mineur peut-il construire une vie sociale et professionnelle adaptée s’il commence sa vie en prison ? Il faut essayer par tous les moyens de passer par autre chose, c’est très compliqué d’être dans l’absolu vis-à-vis des enfants. Et parfois la société fait des erreurs… »

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Mais finalement, l’État a-t-il vraiment les moyens de détecter la dangerosité d’un adolescent ? « Certainement pas » selon les deux experts interrogés par Marianne. « La psychiatrie est sinistrée, elle manque terriblement de moyens, ce qui rend difficile l’accès aux soins, précise Christine Barois. Et il n’y a pas de solutions intermédiaires entre le placement familial, l’hospitalisation à temps plein en pédopsychiatrie et la détention des mineurs. J’ai quitté l’hôpital depuis vingt ans et visiblement, la situation ne s’est pas arrangée… » Dans un rapport publié fin mars, la Cour des comptes préconise en effet de doubler le nombre d'étudiants formés à la psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent. Selon elle, 1,6 million d'enfants et d'adolescents souffrent d'un trouble psychique en France, dont 600 000 à 800 000 de « troubles plus sévères ». Or, en dix ans, le nombre de pédopsychiatres a diminué de plus d'un tiers, selon les Sages de la rue Cambon.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne