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Jugé pour "viols par surprise", le retraité se faisait passer pour un play-boy de 37 ans
Il séduisait sur Internet sous une fausse identité.
APA-PictureDesk via AFP

Jugé pour "viols par surprise", le retraité se faisait passer pour un play-boy de 37 ans

L'affaire du dimanche

Par Martin Mollet

Publié le

Sur des sites de rencontres, Jack Sion, 68 ans se faisait passer pour un play-boy de 37 ans. Il attirait chez lui de nombreuses jeunes femmes et leur demandait de se bander les yeux avant d’avoir des rapports sexuels. Il sera jugé pour « viols par surprise », à Montpellier, ce lundi 25 octobre.

Juin 2014. Devant la porte entrouverte d’un appartement, situé sur la promenade des Anglais, à Nice, Océane (*) ressent comme un mélange de gêne et d’excitation. Cette jolie jeune femme de 33 ans, s’apprête à accomplir un acte qu’elle pensait ne jamais oser faire… Elle tape doucement à la porte de ce logement, entièrement plongé dans le noir. « Entre ! Ferme la porte ! Déshabille-toi ! », lui intime une voix grave. Océane hésite un instant. Elle n’est pas coutumière de cette ambiance digne du best-seller érotique, 50 nuances de Grey. Habituellement, cette brune aux longs cheveux est plutôt timide.

Trois mois plus tôt, Océane a eu un coup de foudre, sur le site de rencontres « Tilt ». Sur ses photos de profil, visibles sur l'application, un certain Anthony Laroche arborait un regard d’un bleu profond, une mâchoire carrée, des muscles saillants… Elle a entamé la conversation. « C’est bien toi sur les photos ? » a-t-elle demandé plusieurs fois, étonnée qu’un si bel homme ne soit pas déjà en couple. « Oui c’est moi, c’est un copain photographe qui a pris les clichés », a répondu le « prince charmant ».

Alors Océane a craqué. Pendant des semaines elle a discuté par messagerie, puis au téléphone, avec cet homme, qui disait avoir 37 ans. Elle s’est confiée sur son passé, sur les attouchements sexuels dont elle a été victime très jeune. Anthony Laroche a su la rassurer. Les coups de fil sont devenus quotidiens. Le trentenaire disait travailler à Monaco, comme architecte d’intérieur. Il parlait souvent d’arts. Océane aimait sa culture. Au téléphone avec lui, par le seul son de sa voix, elle se sentait en sécurité.

« Il faut que notre première rencontre soit magique. »

Plusieurs fois elle a demandé une rencontre, une vraie. Elle s’imaginait prendre un verre dans un bar, aller au restaurant ou cinéma, l’une de ses passions. Mais Anthony refusait à chaque fois. « Il faut que notre première rencontre soit magique. Magique comme notre relation », répondait-il en guise d’excuse.

C’est lui qui avait eu l’idée de cette première rencontre aux allures de film érotique. Après quelques réticences, Océane, en confiance, a fini par accepter.

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- « Déshabille-toi et approche ! »
Dans l’obscurité, la voix d’Anthony se montre maintenant plus insistante. Océane respire un grand coup et laisse sa timidité de côté. Elle dépose ses vêtements sur le sol. Comme convenu dans le scénario « magique », inventé par Anthony, elle prend un bandeau posé là et l’appose sur ses yeux.

Nue et aveugle, elle se laisse guider par la voix d’Anthony. Mais l’acte sexuel est loin d’être aussi « magique » qu’elle l’espérait. Pas d’étreinte amoureuse. Pas de tendresse. L’homme lui interdit de le toucher. Lorsqu’elle tente de le faire, il lève la voix.

Deux noms sur la boîte aux lettres

En quelques secondes, Océane se retrouve attachée au pied du lit et subit un rapport sexuel plus brutal que tendre. Lorsque cela s’arrête enfin, Océane retire son bandeau. Dans la pénombre elle aperçoit pour la première fois ce mannequin du net. La jeune femme est prise de panique. Anthony Laroche ne ressemble pas du tout aux images qu’elle a pu voir de lui sur le site de rencontres. Elle se trouve face à un homme âgé, à la peau fripée, au ventre bedonnant.

La jeune femme se sent mal, se rhabille en vitesse, descend les escaliers à toute allure. Sur la sonnette devant l’immeuble, deux noms sont inscrits : « Laroche » et « Sion ». Elle comprend. Elle a été manipulée. Anthony Laroche n’existe pas. Les mots doux et les projets d’avenir que le faux mannequin lui susurrait au téléphone étaient un piège. Quelques jours plus tard, courant juillet 2014, elle pousse les portes du commissariat de Nice et dépose plainte pour viol.

Comment qualifier de viol une situation dans laquelle les victimes ne disent jamais non et acceptent de leur plein gré de se mettre en bandeau sur les yeux ?

Les policiers niçois prennent l’affaire très au sérieux. Ils n’ont aucun mal à découvrir la vraie identité d’Anthony Laroche. Le faux mannequin du web, s’appelle, en réalité, Jack Sion. Il a 68 ans. C’est un ancien publicitaire à la retraite et ses infidélités lui ont coûté trois divorces.

Jack Sion est déjà connu des services de police. En 2009 et 2013, deux femmes avaient déposé plainte contre lui, pour le même type de faits. Mais à l’époque, la justice n’avait pas trouvé les arguments juridiques pour le poursuivre. Car, comment qualifier de viol une situation dans laquelle les victimes ne disent jamais non et acceptent de leur plein gré de se mettre en bandeau sur les yeux ?

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Le 19 novembre 2014, après la plainte d’Océane, les policiers placent Sion en garde à vue. Dès sa première audition le retraité semble certain de ressortir. Il affirme avoir agi dans son bon droit et se dit « halluciné » de se retrouver devant les enquêteurs pour cela. Il reconnaît immédiatement avoir utilisé un faux profil, sans que cela ne semble lui poser le moindre problème de conscience et répond à toutes les questions. La photo du mannequin ? Il l'a piquée sur le site d’une célèbre marque de vêtements. Le consentement d’Océane ? Comment aurait-il pu se douter qu’elle ne voulait pas de lui alors qu’ils avaient conversé pendant des mois au téléphone ? Pour Jack Sion tout est clair : comme les autres, Océane était d’accord pour avoir des relations sexuelles avec lui, un point c’est tout.

350 prénoms de femme

Mais cette fois les enquêteurs n’ont pas envie de le laisser s’en sortir si facilement. Ils mènent une enquête minutieuse. Ils se rendent à son domicile. Dans ses différents meubles vieillots, ils saisissent son matériel informatique ainsi que le bandeau et les liens servant à attacher les femmes au lit. Ils embarquent également un petit carnet de notes.

Alors que Jack Sion est laissé libre, les policiers épluchent le contenu de son ordinateur. Ils y découvrent 200 dossiers portant le prénom des femmes. Certains dossiers contiennent des photographies intimes de ces jeunes femmes. Elles ont parfois les yeux bandés et sont attachées au lit de l’intéressé. Le petit carnet, quant à lui, servait visiblement à consigner des informations sur ces femmes : 350 noms y apparaissent. Ils sont classés selon des critères intimes ou familiaux.

Les enquêteurs auditionnent alors ces femmes qui se sont rendues chez Jack Sion, pensant avoir affaire à Anthony Laroche. La plupart racontent le même scénario que les plaignantes. Elles expliquent elles aussi s’être senties flouées et manipulées mais peu désirent porter plainte, par honte peut-être. Les auditions s’enchaînent.

L'appel qui fait basculer l'enquête

Le 16 mars 2015, l’affaire prend un nouveau tournant. Ce jour-là, en début de soirée, une jeune femme appelle le commissariat en pleurs. Elle dit se trouver au pied d’un immeuble dans lequel se trouve son violeur, sur la promenade des Anglais. Les policiers se rendent sur place sirènes hurlantes et se retrouvent une nouvelle fois face à Jack Sion. Malgré l’enquête en cours, l’homme vient de récidiver. Tout recommence : garde à vue, explications douteuses, sentiment d’être intouchable. Sauf que cette fois le parquet décide d’ouvrir une information judiciaire pour viols. Un juge d’instruction prend les choses en main. Les deux dernières victimes se constituent partie civile. Jack Sion est placé en détention.

Au total les enquêteurs identifieront 24 femmes qui se sont rendues au domicile du retraité. Ils parviendront à en entendre 16. Cinq d’entre elles déposeront plainte au cours de la procédure. Le 8 avril 2015, Jack Sion fait une demande de libération. La justice accepte de le placer sous contrôle judiciaire jusqu’à la fin de l’instruction. La police nationale poursuit son enquête. Les témoignages de femmes qui disent avoir été dupées s’accumulent.

En 2017, la chambre de l’instruction de Nice ordonne le renvoi de Jack Sion devant la cour d’assises des Alpes-Maritimes. Les dés semblent jetés. Pourtant un nouveau combat commence.

La loi change

L’avocat de Jack Sion, Maître Laurent Poumarède passe à l’offensive et fait appel de cette mise en accusation. Il estime que son client ne s’est jamais mis dans l’illégalité. Il plaide que les victimes avaient le moyen de se rendre compte que le profil d’Anthony Laroche était faux. Selon lui, aucune charge ne peut être retenue contre son client. La cour d’appel d’Aix en Provence examine le dossier et donne raison à la défense. Les poursuites sont abandonnées.

Mais Mohamed Maktouf, avocat des victimes, retourne au combat. Il forme un pourvoi en cassation et démontre que le consentement de ses clientes a été « vicié ». Selon le pénaliste niçois, en plus du faux profil et du faux nom sur sa boîte aux lettres, Jack Sion a su manipuler ces femmes en s’appuyant sur leurs faiblesses. Il explique que, comme Océane, certaines étaient facilement manipulables, déjà fragilisées par des violences sexuelles subies pendant l’enfance, d’autres étaient en dépression au moment des faits.

Le 23 janvier 2019, la Cour de cassation se prononce enfin et met fin à la bataille en adaptant la loi. Dans son arrêt elle étend le « viol par surprise », déjà présent dans le Code pénal, aux nouvelles technologies et l’usage d’Internet.
L’utilisation du faux profil de Jack Sion, pour tromper ces femmes, devient alors pénalement répréhensible. Le faux playboy sera bel et bien jugé. Son procès doit s’ouvrir ce lundi 25 octobre 2021, devant la cour criminelle de Montpellier.

(*) Le prénom a été modifié

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