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Roman R., à Kiev : "J'en veux à nos amis qui nous faisaient croire qu’ils allaient nous soutenir"
Les habitants de Kiev se cachent dans le métro pour échapper aux bombes.
Anadolu Agency via AFP

Roman R., à Kiev : "J'en veux à nos amis qui nous faisaient croire qu’ils allaient nous soutenir"

Témoignage

Par Roman R.

Publié le

Roman R., un habitant de Kiev, la capitale d'Ukraine, a décidé de rester dans son pays, en dépit des bombardements russes. Au fil des heures, il fait parvenir son témoignage à « Marianne ». Alors que la population est contrainte de se cacher dans des abris anti-bombes et les métros, il dénonce l'inaction de l'Otan, de l'Europe et de la France.

Moi Roman R, qui suis resté à Kiev, j’en veux terriblement à tous nos amis, nos amis qui nous faisaient croire qu’ils allaient nous soutenir et qui nous laissent seuls aujourd’hui. Oui, la France, oui l’Europe oui l’Otan. Nous sommes seuls. S’il vous plaît, ne dites pas que l’Europe est en guerre. C’est nous qui sommes en guerre. Cette nuit (du 25 au 26), cela a commencé à 22 heures dès l'annonce du couvre-feu, sur les chaînes de télévision généralistes, qui ont annoncé, unanimes, une éventuelle attaque au missile. Les sirènes ont fonctionné constamment à partir de 22 h 00, les gens sont descendus plus consciemment dans les abris anti-bombes : personnes âgées, enfants, voitures d’enfants.

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Ma femme et moi nous sommes restés debout jusqu’à 4h du matin. Dans notre appartement. La nuit d’hier dans le métro était trop pénible. Et on ne savait pas s’il fallait agir rapidement ! Et puis la peur est derrière nous. Nous n’avons plus peur. Pendant notre court sommeil, nous avons été réveillés trois fois par des bombes. Nous descendons dans la rue au lever du jour. Avec nos deux Kalachnikov. On nous a montré en cinq minutes comment s’en servir. On a eu de la chance. Il n’y a plus d’armes légères. On ne les donne aujourd’hui qu’aux hommes qui peuvent prouver une expérience de tir. Place de Sebastopol, un immeuble entier est détruit par une roquette. Les dégâts semblent irréparables.

Avec le jour, nous entendons moins de bombes mais le bruit des fusillades s’étend partout dans la ville. Les Russes sont invisibles. Nous n’en voyons pas encore. La radio nous annonce un bombardement vers 13h. Qu’en savent-ils ? Nous descendons quand même dans le métro. Moins d’hommes, mais les vieillards, les femmes enceintes, celles qui allaitent, et des enfants n’en sortent plus. On leur a descendu des matelas et des bouteilles d’eau. Une amie de Moscou m’écrit : « Personne ne peut y croire. Plus personne ne veut parler à celles de leurs connaissances qui sont proches de Poutine. Hélas, il n’y a plus de solution avec cet homme, sinon qu’il s’endorme (sic). Personne ici ne lui pardonnera ces crimes.

Des battues dans les villages

Mon beau-père, chez qui se trouve mon fils, à une trentaine de kilomètres de Kiev, a organisé une battue - quel autre mot employer ? - avec les chasseurs de son village. Ils ont abattu plusieurs parachutistes russes en train de se poser. C’est affreux d’y penser. Quant à mon père, près de Zytomir, il transporte maintenant des caisses de munitions d’un dépôt à l’autre. Il a 69 ans. Il était pompier à Tchernobyl. Son aorte est faible. Il doit s’asseoir après chaque caisse. Je sais qu’il n’arrêtera pas malgré les pleurs de ma mère.

De la zone de Shulyavka où je me trouve, le long de la voie ferrée, les trains emmènent les gens hors des zones attaquées, les enfants pressent leurs peluches contre eux. Il est interdit de marcher dans la rue. Il y a deux unités militaires à proximité, des cibles potentielles. On nous demande de rechercher sur les murs des installations sensibles, des marques à infra-rouges, que des espions auraient pu poser pour guider des missiles. On les efface à l’eau, puis on repeint dessus. Quand on en trouve. Si ç'en est vraiment. Toujours pas de Russes dans la ville. Mais tout à l’heure, 17h, dans une heure, on prévoit une opération d’élimination des « saboteurs ». Tous les Ukrainiens doivent rentrer chez eux. Ceux qui resteront dehors seront considérés comme des ennemis ! Grâce à Dieu, nous avons l’électricité et les réseaux de téléphone fonctionnent encore.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne