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Covid : pourquoi le livre de Laurent Toubiana est à côté de la plaque
Laurent Toubiana (à gauche).
Capture d'écran Sud Radio

Covid : pourquoi le livre de Laurent Toubiana est à côté de la plaque

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Dans son ouvrage « Covid-19 : une autre vision de l’épidémie », l'épidémiologiste Laurent Toubiana revient sur les deux années de gestion de la pandémie de Covid-19… En énumérant le florilège d’arguments désormais habituels de la sphère « rassuriste », et en tapant à côté lorsqu'il s'agit de critiquer la politique sanitaire du gouvernement.

Ce doit être la 543ème – au moins – « autre narration » de la crise sanitaire qu’on nous propose depuis deux ans. Dans son livre paru le 20 avril aux éditions l’Artilleur, Covid-19 une autre vision de l’épidémie, l’épidémiologiste Laurent Toubiana, chercheur à l’Inserm et fondateur et directeur de l’Institut de recherche pour la valorisation des données de santé (IRSAN), entend donner des « clés de compréhension » de la gestion de la pandémie de Covid-19… Alors qu'il assurait en septembre 2020, au tout début de la deuxième vague que « ça crève les yeux, le virus ne circule pas ».

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Problème : on a déjà tellement lu, entendu, vu, cette « vision alternative de la réalité des événements », que la lassitude s'installe avant même de finir le livre. Les mêmes arguments reviennent : le covid est une grippe, les hôpitaux n’ont pas été surchargés… Des masques, aux confinements en passant par les médias : tout y passe… ou presque. Car l'auteur de l'ouvrage reste finalement peu bavard sur des manquements, pourtant réels, du gouvernement.

Le covid, c’est une grippe !

En 250 pages, l’épidémiologiste retrace les deux années et demie de crise sanitaire en expliquant à chaque étape les erreurs de la gestion politique selon lui. À commencer, bien sûr, par le premier confinement, résultat de « la confusion et la perte totale de repères ». Car comme son livre prétend le démontrer, « cette épidémie a été effectivement mineure », le Covid ayant eu « toutes les caractéristiques d’une virose relativement banale ». Avec l’argument massue, sans chiffres à l'appui, que le virus serait « équivalent à une grippe carabinée, un simple rhume et pour la majorité des cas rien du tout ».

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Combien d’études faudra-t-il pour que la comparaison avec la grippe disparaisse ? Déjà, en décembre 2020, des travaux menés par l’Inserm et le CHU de Dijon, montraient que le « Covid-19 entraîne 3 fois plus de décès à l’hôpital que la grippe saisonnière ». Est-il encore temps d’expliquer qu’un faible taux de mortalité accompagné d’une transmissibilité particulièrement élevée suffit à donner un grand nombre de morts ? Un nouveau bilan de l'Organisation mondiale de la Santé estime d’ailleurs que la pandémie a causé la mort « de 13,3 à 16,6 millions de morts » jusqu’à fin 2021, soit bien plus que le total des chiffres officiels des pays.

Mais il ne suffit pas de compter le nombre de morts : il faut se concentrer sur la surmortalité, tonne Laurent Toubiana avant de conclure que « l’épidémie de covid a eu exactement le même effet sur les mêmes classes d’âge que les autres événements sanitaires (grippes ou canicules) ». Mi-mars 2021, pourtant, des chercheurs de l’Institut national d’études démographiques (Ined) concluaient que si 68 000 décès ont été imputés à la pandémie de mars à la fin de décembre 2020, le nombre de morts observés en France n’a finalement augmenté « que » de 42 000 cette année-là. Si la différence s’explique bien par le fait qu’une partie des personnes ayant succombé à l’infection covid était à risque de décéder cette année-là, le bilan reste largement supérieur à celui d’une grippe, qui avoisine 10 000 décès annuels en moyenne dans l’Hexagone.

Le confinement, les tests, les vaccins, ça sert à rien !

Qu’importe, Laurent Toubiana sait ce qu’il fallait faire : suivre l’exemple de la Suède. Le pays a opté, en 2020, pour des mesures moins contraignantes. Mais comme Marianne l’explique dans cet article, la situation n’est pas comparable à celle de la France, ne serait-ce que parce que la densité de population y est beaucoup moins élevée. Plusieurs études ont montré que le confinement a permis de sauver un grand nombre de vies. Le chercheur controversé ressort aussi du formol l'argument de ne protéger que les personnes à risques, alors même que les études montrant les limites et conséquences de cette stratégie ne manquent plus. Une nouvelle modélisation publiée ce 26 avril dans Plos Global Public démontre une nouvelle fois qu’en ne confinant que les personnes à risque, le taux de décès est beaucoup plus élevé qu’en confinant temporairement la population.

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Vient ensuite la « testomania », qui décompte les « faux malades » que sont les asymptomatiques. Là aussi, combien de fois faudra-t-il expliquer que justement, la présence de porteurs du virus n’ayant aucune manifestation de la maladie rend la lutte contre sa propagation encore plus complexe, puisqu'elle limite la possibilité d’isoler tous les porteurs du virus dès que la maladie apparaît ? Bien sûr, la vaccination en prend aussi pour son grade : elle ne marche pas, accuse-t-il, puisque les cas positifs se sont multipliés après les débuts de la campagne. Les travaux scientifiques et journalistiques expliquant – même si c’est une immense déception – que les vaccins n’empêchent pas l'infection mais limitent le nombre de formes graves ne manquent pourtant pas.

Pire, Laurent Toubiana accumule les fausses informations au fil de ses pages, assurant par exemple que « de très nombreuses études scientifiques ont montré que les masques n’ont aucun effet sur la propagation des virus respiratoires ». C'est faux, rappelons-le. Ou encore que les tests PCR donneraient des résultats « peu fiables », alors que le débat sur leur sensibilité est tranché depuis longtemps. Et, enfin, l’épidémiologiste affirme qu’il n’y a pas eu de deuxième vague mais une résurgence saisonnière de l’épidémie. Quitte à oublier la troisième et la quatrième vague de Covid-19, survenues respectivement au printemps et à l’été 2021.

Pas d’erreurs pour Toubiana ?

« Ils ne pourront pas dire qu’ils ne savaient pas », promet le chercheur en sous-titre de son ouvrage. Qui ça, ils ? Évidemment, les dirigeants, les scientifiques « catastrophistes », les journalistes, qui « soi-disant, vérifient les faits ». Ou encore Santé Publique France, « une agence pour la mise en place de la politique de santé en France, biaise et dramatise systématiquement les informations en période de crise ».

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En réalité, son livre arrive soit trop tard, soit trop tôt. Trop tard, car ses démonstrations ont toutes déjà été démontées. Trop tôt, parce qu’il manque du recul nécessaire pour que les erreurs du gouvernement dans la gestion de la crise soient dénoncées avec des enquêtes et des études fiables. Le scientifique passe à côté des couacs du début de la campagne de vaccination, de l'illisibilité des mesures, notamment avec des règles de port du masque très fluctuantes, ou encore des annonces erronées du gouvernement au tout début de la crise, lorsque la ministre des Armées avait assuré que les Français rapatriés de Wuhan avaient tous été testés. Rien de très conséquent non plus dans l'ouvrage sur le sous financement de l'hôpital et de la recherche. Espérons que ces failles seront un jour pointées du doigt avec l’honnêteté intellectuelle qu'elles requièrent.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne