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Julien Bayou en retrait d'EELV : cinq questions sur les accusations visant l'ex-patron des Verts
Sandrine Rousseau à la fête de L'Humanite 2022 sur la Base 217 au Plessis-Pate, Bretigny-Sur-Orge, le 10 Septembre 2022.
MPP/SIPA

Julien Bayou en retrait d'EELV : cinq questions sur les accusations visant l'ex-patron des Verts

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La militante écologiste Sandrine Rousseau a rapporté en direct à la télévision des accusations de « comportements de nature à briser la santé morale des femmes » imputés au secrétaire national d'EELV Julien Bayou. L'affaire était déjà connue de la cellule d'écoute et d'enquête sur les violences sexistes et sexuelles du parti et Julien Bayou s'était déjà exprimé à ce sujet en juillet auprès du « Figaro ». Pour comprendre l'enjeu posé par les propos de Sandrine Rousseau, « Marianne » répond à cinq questions.

La députée et finaliste de la primaire écologiste Sandrine Rousseau a rapporté lundi 19 septembre sur France 5, dans l'émission « C à vous », avoir reçu chez elle une femme accusant le secrétaire national d'EELV Julien Bayou de « comportements de nature à briser la santé morale des femmes ». Les faits présumés, sur lesquels Julien Bayou s'est déjà exprimé en juillet dernier dans les colonnes du Figaro, ont entraîné le retrait politique du secrétaire national du parti. Pour tout comprendre de cette affaire, de sa chronologie et de ses conséquences, Marianne répond à cinq questions.

De quoi Julien Bayou est-il accusé ?

À ce stade, les accusations visant le patron des écologistes restent floues : sur le plateau de France 5, Sandrine Rousseau a expliqué qu'elle basait ses informations sur le témoignage de l'ex-compagne de Julien Bayou, qu'elle a longuement rencontrée. La députée a évoqué « des comportements de nature à briser la santé morale des femmes », ajoutant que l'ancienne petite amie du secrétaire nationale avait « d'ailleurs fait une tentative de suicide quelques semaines après tellement elle allait mal ».

Sur le volet judiciaire, l'affaire semble mince : aucun signalement au parquet n'a été effectué, la victime présumée n'a pas non plus été accompagnée auprès des forces de l'ordre, et la seule enquête en cours est « journalistique ». Autre aveu de Sandrine Rousseau, réalisé micro coupé mais relaté par le journaliste Patrick Cohen : « Le problème, c'est qu'il n'y a rien de pénalement répréhensible dans cette histoire ». Conclusion de l'ancien présentateur de France Inter : « Autrement dit, le chef des Verts n'aurait commis aucun délit mais dans l'esprit de Sandrine Rousseau, son comportement conjugal mérite la honte et l'opprobre du déballage de sa vie privée, et sans doute une sanction politique. »

Pourquoi l'affaire éclate-t-elle maintenant ?

Julien Bayou s'est déjà expliqué en juillet dernier sur ces accusations de violences sans s'attirer, à l'époque, les foudres de Sandrine Rousseau. Au Figaro, il confirmait que « la commission a été saisie », selon lui dans un contexte de « rupture douloureuse et difficile », évoquant « une rancœur qu’elle ne cache pas puisqu’elle m’a clairement écrit, trois jours après avoir saisi la commission interne d’EELV : “Inquiète-toi. Je vais revenir et en force. (…) La chute va être douloureuse” ». Il attendait à l'époque d’être auditionné par les membres de la commission « dans les meilleurs délais sur ce qui ne constitue en rien des violences sexistes ou sexuelles ni des comportements inappropriés envers quiconque », assurait-il.

Alors pourquoi revenir sur cette affaire maintenant ? Sandrine Rousseau fait part du témoignage de l'ex-compagne de Julien Bayou alors qu'elle est invitée à réagir au retrait d'Adrien Quatennens de ses fonctions au sein de la France insoumise,après qu'il a admis avoir été violent envers sa compagne. En fin d'émission, la présentatrice de « C à vous » l'interroge sur un tweet publié par Mathilde – une militante féministe du collectif NousToutes – plus tôt dans l'après-midi, dans lequel la militante interpelle les cadres de EELV au sujet de Julien Bayou.

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C'est alors que Sandrine Rousseau répond en déroulant le témoignage qu'elle affirme avoir recueilli directement de la part d'une ex-compagne de Julien Bayou. Sandrine Rousseau poursuit : « [Les victimes présumées ] sont manifestement plusieurs, moi je n'ai entendu qu'un seul témoignage. »

Interrogée par Mediapart, Sandrine Rousseau a expliqué avoir décidé d'évoquer ce témoignage parce que « depuis trois mois, cette femme n’a toujours pas été auditionnée…Cela pose un problème de fond : le cas de Julien Bayou ne peut pas être réglé par une cellule interne à son parti. Cela marche pour un militant, mais pas pour un secrétaire national ». Juste avant l'émission, ayant pris connaissance du tweet de Mathilde (qui qualifie par ailleurs Sandrine Rousseau de « sœur de lutte »), l'écolo affirme avoir appelé l'ex-compagne de Julien Bayou pour s'assurer de son accord : « Elle m’a autorisée à dire ce que j’ai dit. »

Sandrine Rousseau explique également à Mediapart avoir ressenti une forme de pression à s'exprimer : « Je suis interpellée non stop sur ce que j’ai fait, pas fait. Dès qu’il y a un problème de violences, c’est moi. C’est pour ça que j’ai dit la vérité de ce que je savais. Sinon j’aurais menti, on aurait dit que j’avais couvert… et ça, ce n’est pas possible. »

Comment expliquer le retrait ?

Juste avant de rendre l'antenne, les journalistes de « C à vous » interrogent Sandrine Rousseau sur l'éventuel retrait de Julien Bayou. « Ça fait partie des questions qui vont venir sur la table » au parti, répond-elle. « On verra, step by step. » Comprendre : « chaque chose en son temps ». Le lendemain, c'est pourtant déjà chose faite : Julien Bayou se retire de ses fonctions à la direction d'Europe Ecologie-Les Verts.

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Pour Sandra Regol, la vice-présidente du groupe écologiste à l'Assemblée nationale, ce retrait est nécessaire pour « envoyer un signal » aux femmes : « Face au questionnement légitime des femmes, des féministes, des personnes qui ont été victimes et qui se sentent blessées à chaque fois qu'une histoire de ce type sort dans les milieux politiques, nous avons un devoir supérieur, un devoir de représentativité » en tant qu'« élus du peuple français », a expliqué sur franceinfo la députée EELV pour justifier cette « décision collective ». « A partir du moment où la rumeur part, il est important d'arriver à clarifier pour Julien, pour son ex-compagne », a-t-elle complété.

Pourquoi la commission n'a-t-elle pas statué ?

Mais alors, pourquoi le cas de Julien Bayou n’a-t-il pas été réglé par la « cellule d’enquête interne et de sanctions » du parti écologiste, lancée en 2016 dans le sillage des accusations d’agressions sexuelles contre Denis Baupin ? C’est l’une des inconnues à ce stade. Dans un communiqué publié ce mardi, EELV indique que cette cellule a « été saisie au mois de juillet 2022 pour un signalement concernant Julien Bayou », ce qui confirme l’information révélée alors par Le Figaro. Le flou demeure sur ce qui s’est passé par la suite.

Le protocole de fonctionnement de cette cellule, accessible sur le site du parti, ne définit pas précisément tout ce que peut recouvrir le spectre des « violences sexuelles et sexistes » dont elle peut être saisie, se bornant à rappeler les définitions légales du viol, du harcèlement sexuel et de l'agression sexuelle. Rien n'indique, donc, que cette cellule ne traiterait uniquement de faits qui pourraient avoir un caractère pénal. Elle prescrit par ailleurs que ses « membres s’astreignent à une stricte confidentialité sur les cas traités ». Une obligation qui est répétée plusieurs fois dans ce guide. La liste des membres de cette cellule est publique : Sandrine Rousseau n’en fait pas partie. Ce n’est donc pas dans le cadre de cette cellule qu’elle a rencontré l’ancienne compagne de Julien Bayou.

Selon Mediapart, la cellule aurait donné suite au message de l’ancienne compagne de Julien Bayou en lui proposant plusieurs dates pour convenir d’un entretien. Une rencontre que la victime présumée aurait déclinée, préférant se tourner vers une autre structure, l'AVFT (Association de lutte contre les violences faites aux femmes au travail), en indiquant qu’elle ne faisait pas confiance à la cellule du parti écologiste. Selon Sandrine Rousseau, interrogée par Mediapart, c’est ce point qui l’aurait motivé à s’exprimer sur France 5. Pourtant, dans son communiqué, le parti écologiste maintient que « la cellule d’enquête doit continuer son travail en toute indépendance et sérénité » et qu'elle suivra ses recommandations. Signe d'une divergence d'appréciation de la situation au sein d'EELV qui contribue à la diffusion d'informations éparses et incomplètes.

Pourquoi c'est important pour l'avenir d'EELV ?

La controverse survient alors que les différents courants de l'écologie politique s'apprêtent à s'affronter au congrès du parti qui se tiendra en décembre. L'objectif : élire son prochain secrétaire national. Si ni Julien Bayou ni Sandrine Rousseau ne peuvent se présenter – ils sont tous deux députés et le règlement du parti interdit le cumul – leurs courants sont eux bien déterminés à asseoir leur hégémonie au sein d'EELV. Sandrine Rousseau et son aile éco-féministe, jusqu'ici relativement en marge de l'appareil pourraient soutenir Mélissa Camara, une élue écologiste lilloise. Julien Bayou, le secrétaire national sortant, devrait soutenir Marine Tondelier : la conseillère municipale d'Hénin-Beaumont, initiatrice d'un collectif interne nommé « La Suite », a quasiment fait acte de candidature en publiant à la fin de l'été une tribune appelant à la refondation d'EELV, appuyée par plusieurs centaines de cadres. Yannick Jadot a signé ce texte, mais n'est pas encore fixé quant à l'identité du candidat qu'il soutiendra lors du congrès, alors que d'autres concurrents devraient se présenter sur la ligne de départ — l'adjoint à la mairie de Paris David Belliard et le porte-parole Alain Coulombel y songent, notamment. La lutte entre Sandrine Rousseau et Julien Bayou s'opère donc sur fond de compétition électorale en vue de la conquête du parti écologiste.

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En parallèle, les douze mille adhérents du parti sont invités cette semaine à se prononcer sur un référendum d'initiative militante (RIM) porté par Marine Tondelier, qui entend succéder à Julien Bayou comme secrétaire national. Le scrutin vise à remodeler profondément l'organisation du parti en en modifiant les statuts, notamment pour donner plus de marge de manœuvre à ses dirigeants, dans un parti historiquement porté sur l'horizontalité et l'engagement des militants. Selon Politico, Julien Bayou est favorable à cette initiative. De même source, un contre référendum, porté par Henri Arévalo, le président du Conseil fédéral du parti, est en préparation, soutenu par des représentants de la sensibilité de Sandrine Rousseau. Avant que l'affaire Bayou ne revienne sur le devant de la scène médiatique, c'était ce débat-là qui animait les cadres d'EELV.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne