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"La pression doit être mise sur la représentation elle-même, non pas par des journées de mobilisations éparses de douze jours entre le 19 et le 31 janvier mais en battant le fer tant qu’il est chaud. S'appuyer sur le débordement populaire de la première journée d’action permettra de mettre les députés devant leurs responsabilités : accepter ou refuser d’être les béquilles d’un pouvoir institutionnellement moribond qui les conduit en tant que représentation vers l’abîme."
"La pression doit être mise sur la représentation elle-même, non pas par des journées de mobilisations éparses de douze jours entre le 19 et le 31 janvier mais en battant le fer tant qu’il est chaud. S'appuyer sur le débordement populaire de la première journée d’action permettra de mettre les députés devant leurs responsabilités : accepter ou refuser d’être les béquilles d’un pouvoir institutionnellement moribond qui les conduit en tant que représentation vers l’abîme."
Chang Martin/SIPA

François Cocq : "La bataille des retraites, si elle est correctement menée, est décisive sur le plan social"

Tribune

Par François Cocq

Publié le

Pour François Cocq, enseignant, essayiste et membre du collectif « Les Constituants », il est important de se mobiliser contre une réforme impopulaire afin de freiner la monarchie présidentielle, comme il l'explique dans une tribune.

La confrontation sur la réforme des retraites est engagée. La première mobilisation du 19 janvier a exprimé avec force la colère et la contestation sous la forme d’un débordement populaire. Le nombre de grévistes et de manifestants était non seulement supérieur aux prévisions de l’exécutif, mais également au-delà des attentes des syndicats. Pour autant, rien n’est a priori joué. Si la mobilisation du 19 janvier place le mouvement de 2023 dans les étiages des grandes grèves de 2010, la loi Woerth contre les retraites avait été adoptée malgré cinq manifestations qui, entre septembre et octobre, avaient rassemblé chaque fois plus de 3 millions de manifestants selon les syndicats, 1,2 million selon le ministère de l’Intérieur.

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À l’époque, Nicolas Sarkozy avait théorisé et décliné la stratégie du passage en force : là où Alain Juppé avait dû reculer en 1995, où Dominique de Villepin avait remisé son CPE en 2006, Nicolas Sarkozy poussait à son paroxysme la monarchie présidentielle jusqu’à l’abus de pouvoir. Depuis, le petit Nicolas a fait école : François Hollande en 2016, puis Emmanuel Macron au fil de son premier quinquennat, s’en sont donné à cœur joie. Qu’est-ce qui pourrait donc empêcher ce dernier de récidiver alors même que le cadre de riposte proposé par les centrales syndicales, des journées d’action éparses à répétition, n’a pas évolué ?

Rupture de légitimé

Un changement dont on n’a pas fini de mesurer la portée sans doute : la monarchie présidentielle doit désormais composer avec la démocratie minoritaire, phénomène puissant dont elle s’accommode mal. Après que des blocages électoraux ont été imposés par les peuples à l’échelle du continent, en 2018, la moitié des pays de l’Union européenne, 14 sur 28, étaient dirigés par des gouvernements, y compris sous forme de coalition, minoritaires au sein de leur propre Parlement. La France a rejoint ce processus lors des élections législatives de juin 2022 qui n’ont pas donné de majorité au président Emmanuel Macron fraîchement élu. Monarchie présidentielle et démocratie minoritaire : les deux ont souvent été analysés séparément. Mais la conjonction des deux nous entraîne vers de nouveaux rivages.

« La démocratie minoritaire lui offre une porte de sortie. »

Reprenons le fil : la représentation nationale a été la première à souffrir d’une rupture dans la légitimité avec l’inversion du calendrier électoral de 2002 qui a consacré le régime présidentiel. Depuis, l’Assemblée nationale est largement dévitalisée, les députés ne devant plus leur élection qu’à celle du président dont elle procède. La monarchie présidentielle semblait avoir définitivement pris ses quartiers. Mais en 2018, les gilets jaunes ont mis à jour le hiatus de légitimité entre d’un côté la légitimité électorale, celle du président Emmanuel Macron, réelle, issue du scrutin de 2017, et de l’autre la souveraineté populaire, par nature permanente et inaliénable. Malmené et balbutiant, le président était servi par les évènements comme la crise du Covid-19 à rallonge, pour parvenir à achever son mandat en renforçant encore la verticalité avec des abus des Conseils de défense au détriment du Parlement. Emmanuel Macron savait toutefois devoir se relégitimer par sa réélection.

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Patatras : l’élection présidentielle de 2022, ersatz de celle de 2017 sans dynamique citoyenne cette fois, ne le lui aura pas permis. Une fois encore majoritaire électoralement parce qu'élu avec 58,55 % des votes exprimés au second tour de la présidentielle, Emmanuel Macron demeure minoritaire dans le peuple car seulement 20 % des inscrits ont voté au premier tour, 38,5 % au second. Il doit donc recourir à une légitimité de substitution que la représentation depuis longtemps dévitalisée ne pourrait plus prétendre lui fournir. Sauf que paradoxalement, la démocratie minoritaire lui offre une porte de sortie. En construisant une majorité parlementaire de circonstance sur les retraites, sujet marqueur, il pourrait ressusciter provisoirement la légitimité de la représentation mais au détriment de la volonté populaire. Il a d’ailleurs préparé le terrain en ce sens avec les accords de boutiques scellés avec LR et annoncés par Éric Ciotti dans le JDD du 15 janvie r. Ce n’est là par le moindre de ses coups de Trafalgar : laisser s’opérer un glissement du hiatus de légitimité non plus seulement entre le monarque et le peuple, mais entre la souveraineté populaire et la représentation. La fonction de représentation ne serait alors plus simplement déliée du peuple souverain, elle entrerait en confrontation avec lui.

Battre le fer tant qu'il est chaud

De là découlent les stratégies de lutte contre la réforme des retraites. La pression doit être mise sur la représentation elle-même, non pas par des journées de mobilisations éparses de douze jours entre le 19 et le 31 janvier mais en battant le fer tant qu’il est chaud. S'appuyer sur le débordement populaire de la première journée d’action permettra de mettre les députés devant leurs responsabilités : accepter ou refuser d’être les béquilles d’un pouvoir institutionnellement moribond qui les conduit en tant que représentation vers l’abîme.

« Les députés, notamment ceux de LR mais pas que, sont dans la main de Macron. »

Notons par ailleurs qu’en cas de majorité parlementaire de circonstance face à une forte mobilisation, le président Macron aurait le choix : soit capitaliser une victoire contre le peuple en entraînant avec lui l’Assemblée dans l’opprobre. Ou, de manière plus audacieuse, en profiter pour dégainer la dissolution qui lui brûle les doigts. Il pourrait en effet décider de se placer en arbitre et instrumentaliser cette confrontation entre les députés et la représentation pour renvoyer les uns et les autres dos à dos. Dans un cas comme dans l’autre, les députés, notamment ceux de LR mais pas que, sont dans la main de Macron. La bataille des retraites qui s’est ouverte est, si elle est correctement menée, une bataille décisive sur le plan social. Mais soyons assurés qu’elle ne l’est pas moins quant à l’évolution présente et future des champs institutionnels et politiques.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne