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Renault "une boîte qui a toujours protégé ses gens" selon de Meo… mais qui supprime 4 600 emplois
Luca de Meo
LUDOVIC MARIN / POOL / AFP

Renault "une boîte qui a toujours protégé ses gens" selon de Meo… mais qui supprime 4 600 emplois

Losange de la mort

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Renault est « est une boîte qui a toujours protégé ses gens », affirme son directeur général, Luca de Meo, ce mardi 29 juin sur France Inter. La marque au losange annonçait pourtant, en 2020, la suppression de 4 600 emplois en France, tout en profitant des aides de l'État pendant la pandémie.

Mélangez une pincée de paternalisme, une louche d’avidité et un soupçon de cynisme : vous obtiendrez l’interview du directeur général de Renault, Luca de Meo, invité de France Inter ce mardi 29 juin. Vous apprendrez ainsi que la marque au losange, qui annonçait en 2020 la suppression sur trois ans de 14 000 emplois dans le monde, dont 4 600, en France, « est une boîte qui a toujours protégé ses gens ».

« On part du principe que toutes les actions que nous on va entamer pour mettre la boîte dans de bonnes conditions ne vont pas être faites nécessairement au prix de la casse sociale », explique le directeur général. Mais pas nécessairement sans, donc. Qu’on s’rassure, il ne s’agit pas de « licenciements secs », puisque toute la panoplie d’amortissement du choc social est de sortie : départs volontaires, retraite anticipée, etc. Après tout, on ne fait pas d’omelette sans chasser des vieux.

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Les affaires sont les affaires, explique Luca de Meo : « C’est vrai qu’il y a des décisions à prendre, il y a des business qui ne sont pas profitables », avance-t-il. Ou encore : « On est là pour gérer une boîte qui économiquement marche, parce que dans le long terme, si vous ne le faites pas, après vous avez vraiment des problèmes. » Une politique du plus grand bien… pour les actionnaires ? Après tout, peut-on reprocher à une entreprise privée de rechercher le profit ? Oui, quand ladite entreprise supprime des emplois en ayant bénéficié d’un prêt garanti par l’État de 4,5 milliards d’euros, du chômage partiel et du plan automobile de 8 milliards d’euros décidé par le gouvernement pour soutenir la filière.

Le « sens de l'Histoire »

Soyons philosophes : à quoi bon s’émouvoir du sort des salariés qui perdront leurs emplois au nom du « business profitable » ? Du haut de son Olympe capitaliste, le grand manitou de Renault voit la « big picture ». « Nos estimations nous disent que la partie 'traditionnelle' de la chaîne de la valeur dans les dix prochaines années va baisser en termes de taille de 25 %. Mais la nouvelle chaîne de valeur, le software [logiciel], les plateformes de mobilité, ça va se multiplier par 9. Donc, c'est là qu'il faut essayer de mettre notre attention et notre argent pour saisir des opportunités », révèle-t-il. « Il y aura un coût social », mais aussi « des grandes, très grandes opportunités qu'il faut saisir ». Qu’importe le tâcheron, pourvu qu’on ait la fraîche…

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Lorsqu’on l’interroge sur le sort de la fonderie MBF, sous-traitant de Renault à Saint-Claude, dans le Jura, sur le point de disparaître avec 270 salariés, Luca de Meo ne fait même pas l’effort de dissimuler son darwinisme économique : « C’est malheureusement le sens de l’Histoire. Je le dis tout le temps : on ne pourra jamais penser dans le futur avoir un métier toute la vie. Il faudra avoir la capacité de se transformer », sermonne-t-il. S’adapter ou mourir, en somme. Le directeur général pointe en outre ce qu’il estime être une contradiction : « On ne peut pas d’un côté souhaiter arrêter les voitures à combustion dans dix ans, et de l’autre se plaindre qu’il y ait certaines conséquences sur le système. » Certainement conforté dans cette opinion par la mollesse du gouvernement, Luca de Meo semble en revanche convaincu qu’on peut profiter dudit système sans qu’aucune contrepartie sociale ne soit exigée.

« Presque du racisme »

On pourra toujours, en guise de contre-exemple, brandir la création de « l’ElectriCity » de Renault en contre-exemple, qui devrait permettre la création de 700 emplois entre 2022 et 2024 dans trois usines des Hauts-de-France, à Maubeuge, Douai et Ruitz. Luca de Meo ne manque d’ailleurs pas de faire : « vous savez, il y a 12 mois quand je suis arrivé, sur la carte de France, il y avait beaucoup de points d’interrogation : Maubeuge, Douai, Flins, Choisy-le-Roi, Dieppe. Pour chacune de ces usines, en douze mois, on est arrivé à trouver des solutions. Notamment le projet qu’on a présenté hier, c’est une solution pour les trois usines du Nord », se félicite-t-il.

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Reste que, pour l'usine de batteries électriques de Douai, Renault va s'appuyer sur l'entreprise japonaise de batteries AESC, détenue depuis 2018 par le géant chinois Envision. Ce dernier profitera-t-il au bout du compte des aides de l’État français ? Ne serait-il pas préférable qu’une entreprise française prenne en main cette production stratégique ? Poser ces questions au nom de la souveraineté économique française et de la critique de la mondialisation est le symptôme d’une dangereuse dérive nationaliste, à entendre Luca de Meo. « C’est une forme presque de racisme au contraire toute cette histoire, s’indigne le directeur général. Envision c’est une boîte mondiale, très internationale, qui a des usines partout. » Ce qui, comme chacun sait, est un gage infaillible de respectabilité. Et le capitaine d’industrie de conclure : « Les gens qui vont être ici, ça ne va pas être que des Chinois. Ça va être des dirigeants français, ça va être des gens de Renault. » Au moins jusqu’au prochain plan social.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne