Accueil

Agora Entretiens et débats
Pourquoi il est urgent d'arrêter le porno (mais pas la masturbation)
Thérèse Hargot est essayiste, thérapeute de couple et sexologue

Pourquoi il est urgent d'arrêter le porno (mais pas la masturbation)

Entretien

Propos recueillis par

Publié le

Essayiste, thérapeute de couple et sexologue, Thérèse Hargot explique que l'éventuel blocage de cinq sites pornographiques français est une bonne occasion pour arrêter le porno. Qui tend à faire de nous des addicts en overdose de dopamine, incapables de désir sexuel véritable.

Le régulateur des médias, l'Arcom, a saisi la justice pour demander le blocage de cinq sites pornographiques – Pornhub, Tukif, Xhamster, Xvideos et Xnxx – sommés en vain depuis décembre d'empêcher l'accès des mineurs à leurs contenus, a annoncé l'organisation ce mardi 8 mars. Nous avons souhaité donner la parole à Thérèse Hargot, essayiste, thérapeute de couple et sexologue. De sensibilité catholique, rattachée au courant de l'alterféminisme, elle alerte sur les atteintes du porno à la vie sexuelle et le désir des Français.

Marianne : L’Arcom a annoncé saisir la justice pour demander le blocage de cinq sites pornographiques. Est-ce une bonne mesure ?

Thérèse Hargot : Non seulement c’est une bonne mesure, mais on l’attendait avec la plus grande impatience. Il était plus que temps de faire quelque chose, prendre ce problème à bras-le-corps, et mettre en place un système pour protéger les mineurs.

En quoi la pornographie est-elle particulièrement néfaste pour les jeunes ?

L’industrie pornographique fabrique un produit addictif. Au-delà des jeunes, la diffusion massive de pornographie pose un problème de santé mentale pour la population dans son ensemble. Le plaisir vécu en regardant des images pornographiques – et en se masturbant sur celles-ci – procure un shoot de dopamine auquel le cerveau s’accoutume. C'est particulièrement néfaste pour les enfants exposés à des images pornographiques avant même d'avoir expérimenté un véritable désir sexuel dans « la vraie vie » : ils vivent l’excitation du porno – et son corollaire l'addiction – avant l’éducation sexuelle et la découverte de l’érotisme. Dis autrement, l’exposition des mineurs à la pornographie fonctionne comme un abus sexuel : une expérience sexuelle avant l’âge de pouvoir poser son consentement et d’exercer sa liberté. Protéger les mineurs est donc un impératif.

« On ne regarde pas du porno une tasse de thé à la main, c’est son sexe qu’on tient. »

L’enfant ressent une expérience agréable sans savoir pourquoi il l’a ressenti, il va donc retourner regarder du porno, et rentrer dans un mécanisme d’addiction. Or l’objectif de la pornographie n’est pas d’apprendre aux enfants à faire l’amour mais de les rendre dépendants. Jusqu’à les conduire à en consommer régulièrement à l’âge adulte. Quelques chiffres : un quart des Français consomment régulièrement du porno, c’est-à-dire une à plusieurs fois par semaine, voire tous les jours. À 12 ans, près d’un enfant sur trois a déjà été exposé à la pornographie. La pornographie représente un tiers du trafic mondial sur Internet. Chez les 18-24 ans, 93 % des garçons et 56 % des filles ont déjà vu un film porno.

A LIRE AUSSI : Pornographie : la justice saisie pour bloquer cinq sites accessibles aux mineurs

La pornographie est aussi un problème en ceci qu’elle change la vision de la sexualité, et ce à tous les âges…

Elle véhicule en effet une vision de la sexualité qui influence nos questionnements, nos fantasmes, nos pratiques. Elle impose des codes brutaux, sans dimension érotique, comme si le sexe sans affect à la lumière du jour était la norme. Exemple trivial ; toute personne qui regarde Koh-Lanta va à un moment se poser une question bête : « Aimerais-je faire Koh-Lanta ? ». Le simple fait de regarder une émission conduit à s’y immerger. Pour le porno, c’est similaire : « Aimerais-je avoir telle ou telle pratique sexuelle ? ». Et ce bien que toute personne qui regarde de la pornographie se dise qu’elle est en capacité de faire la part des choses. Car c’est faux. Regarder, c’est déjà faire. Regarder de la pornographie n’est pas, comme certains le pensent en se rassurant, un acte de catharsis anodin, étranger à sa sexualité. On ne regarde pas du porno une tasse de thé à la main, c’est son sexe qu’on tient.

« On assiste, chez les adultes, et même les adolescents, à des dysfonctions sexuelles. »

C’est donc un acte sexuel en soi, autant qu'un acte sexuel à deux. Si vous croyez faire la part des choses, votre cerveau, lui, ne le fait pas. Il ne distingue pas plaisir sexuel « dans la vraie vie » et plaisir sexuel sur un site porno. L’information envoyée au cerveau est ainsi brouillée. Une accoutumance s’installe pour un certain type de plaisir, puis certaines pratiques sexuelles sont reproduites dans la sphère conjugale. Sauf que ces pratiques ne conduisent pas à magnifier ni à aimer davantage son partenaire mais à l'insérer dans la liste insatiablement renouvelée de ses petits fantasmes bassement libidinaux. À rebours de la communion sexuelle et érotique qui alimente l'érotisme du couple.

Vous témoignez, via vos consultations, de patients en overdose de pornographie, devenus incapable de plaisir sexuel dans leur couple, car accoutumés à la dopamine du porno…

On assiste, chez les adultes, et même les adolescents, à des dysfonctions sexuelles. une dépendance qui pose des problèmes dans leur sphère conjugale mais aussi professionnelle. Certaines personnes vont jusqu’à consulter fréquemment des prostituées, produit dérivé de la pornographie. Car le porno incite les jeunes adultes à consommer de la prostitution : il y a un continuum entre le porno – prostitution filmée – et la prostitution en général. Encore cette semaine, j’ai eu affaire à un jeune homme, bien éduqué, surdiplômé, bien payé, qui témoignait avoir un problème avec le sexe et s’être fait arnaquer par une escort-girl sur Tinder. Le lien avec sa consommation de pornographie depuis ses onze ans est évident.

Faites-vous un lien entre la masturbation en général et le porno ? Autrement dit, le problème est-il simplement l’addiction au porno, ou à la masturbation ?

Je fais une différence fondamentale entre la pornographie et la masturbation. La masturbation est une fonction naturelle de l’être humain, une capacité à se donner du plaisir. La pornographie est une industrie qui cherche à faire du profit. On fait souvent la confusion, car la pornographie est un support à la masturbation. Or on peut se masturber sans pornographie – ce que j’encourage – et sortir de cette dépendance à l’industrie. Certains pensent qu’il faut arrêter la masturbation pour arrêter la pornographie, ils se trompent.

La masturbation est un problème quand elle devient addictive, si on y recourt à chaque fois qu’on a des émotions négatives (colère, angoisse, tristesse...)., quand le plaisir sexuel ne vient pas résoudre la cause de ces émotions, et que l’addiction s’installe. Si c’est compulsif, c'est problématique.

Avez-vous des conseils pratiques à donner pour arrêter la pornographie ?

J’ai créé un parcours digital thérapeutique solution-porno, accessible ici. Il y a des méthodes pour arrêter. Le conseil que je donne d’abord est d’en parler, librement, à quelqu’un de confiance. Il n’y a rien de honteux. Concrètement, ce qui aide est de sortir de l’émotion de culpabilité des premières fois où l’on a été exposé au porno. L'engrenage culpabilité de la première fois-rapport silencieux à cette consommation-addiction. Tout le travail est de décomplexifier le rapport au porno, penser son addiction et sortir de la culpabilité.

Et remettre en valeur le pouvoir érotique de l'imagination...

Exactement. J’incite beaucoup à faire fonctionner son propre imaginaire, imaginer par soi-même ce qui nous fait fantasmer : nous avons la capacité à le faire. Il faut se demander quel érotisme peut-être bon pour stimuler son couple ; et quel fantasme ? J’ai plutôt tendance à proposer à imaginer des choses à deux, plutôt que tout seul, mais heureux sont les couples qui arrivent à utiliser les fantasmes extérieurs pour enrichir leur vie sexuelle.

Individuellement, j'encourage à fantasmer sur des personnes fictives idéales et attirantes : par exemple une personne grande, brune, avec tels attributs physiques. Le fait d’introduire une vraie personne que l'on connaît, autre que son partenaire, peut biaiser le principe de fidélité. Ensuite, libre à chaque couple de faire comment il préfère. Pour ma part, je suis très ferme sur l’exposition des mineurs à la pornographie, quant aux fantasmes et à l’érotisme, nécessaires à la vie heureuse, je pense qu’il faut introduire une dose de liberté. Et crois qu’il faut réhabiliter l’érotisme pour provoquer le désir sexuel, profond et durable, là où la pornographie ne touche qu’à la pulsion sexuelle, courte et ephèmere. Vive l’érotisme !

Votre abonnement nous engage

En vous abonnant, vous soutenez le projet de la rédaction de Marianne : un journalisme libre, ni partisan, ni pactisant, toujours engagé ; un journalisme à la fois critique et force de proposition.

Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne