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La Cité de la langue française dans le château de Villers-Cotterêts
La Cité de la langue française dans le château de Villers-Cotterêts
Amaury Cornu / AFP

Cité de la langue française: oui, il fallait restaurer le château de Villers-Cotterêts... Mais à cause de Napoléon

Tribune

Par Claude Ribbe

Publié le

Emmanuel Macron inaugure ce lundi 30 octobre la Cité internationale de la langue française au château de Villers-Cotterêts, là même où François Ier a édité les ordonnances ayant institué le français en langue officielle du droit et de l'administration. Claude Ribbe, écrivain, biographe du général Dumas et président des amis du général Dumas, approuve la restauration du château, nécessaire à la conservation du patrimoine. Non pas en raison de l'ordonnance toutefois, mais pour remédier à la ruine du château causée selon lui par la jalousie de Napoléon Ier à l'égard de l'officier.

La décision de restaurer le château de Villers-Cotterêts est utile pour la conservation de notre patrimoine, car il est, comme Écouen, une belle illustration de l’architecture française de la Renaissance. C’est aussi une initiative salutaire pour Villers-Cotterêts, une ville qui s’est construite autour des activités, hôtelières en particulier, que nécessitaient les séjours de la cour. Les travaux avaient été estimés au départ à une centaine de millions d’euros. Ils auront finalement coûté plus du double parce que, pour justifier la réparation du palais, il a été décidé d’y créer une nouvelle institution destinée à valoriser la langue française.

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Il était évidemment indispensable de trouver une raison qui permît d’expliquer aux Français la décision d’investir 200 millions d’argent public dans le rétablissement d’une demeure royale laissée à l’abandon depuis plus de deux siècles. La raison alléguée, c’est que François Ier, lors d’un séjour dans ce château, avait pris, dans les jours qui ont précédé et suivi le 15 août 1539, une ordonnance citée dans les manuels d’histoire. L’ordonnance de Villers-Cotterêts – entre autres mesures – a officialisé et rendu obligatoire une pratique déjà engagée au XIVe siècle, qui consistait à utiliser le français, qui était à l’époque la langue prestigieuse de la cour et des élites sociales et culturelles du nord de la France, plutôt que le latin ou les langues régionales, dans la rédaction des actes publics.

Un financement qui pose question

À partir de là, deux questions se posent. La justification de l’engagement, sur le budget de l’État, des frais de restauration du château de Villers-Cotterêts par le seul fait que François Ier séjournait dans cette demeure lorsqu’il a signé, il y a 484 ans, un texte imposant l’usage du français dans les actes administratifs, est-elle suffisante pour les Français et, partant, susceptible d’enthousiasmer le monde entier ? L’est-il également, le fait de fonder, sur la raison choisie pour expliquer l’engagement des travaux de restauration, la création, dans ce château, d’une cité internationale de la langue française, et donc non seulement de doubler les frais initialement prévus, mais aussi d’engager, à l’avenir, toujours sur le budget de l’État, des frais de fonctionnement importants ?

« L’état du château avant les travaux ne s’explique que par la haine de Napoléon à l’égard d’un homme particulièrement vertueux et talentueux. »

À ces deux questions, s’en ajoute une troisième : le projet, porté par le centre des monuments nationaux, qui consiste à utiliser une partie du château pour installer un auditorium, un café, une librairie, un « ciel lexical » (cent mots ou expressions suspendus à des tringles de métal dans une cour du château royal), des lieux d’expositions permanentes ou temporaires, a-t-il un intérêt national et, a fortiori, international ? Est-il susceptible d’attirer durablement des visiteurs, à plus d’une heure de route de Paris ?

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Plutôt que de répondre à ces trois questions – auxquelles l’intérêt ou le désintérêt du public pour la cité internationale de la langue française donnera certainement, tôt ou tard, une réponse – on peut en poser une quatrième : n’y avait-il pas une autre raison historique qui pût justifier l’engagement des frais de restauration de Villers-Cotterêts ? Cette fois, la réponse est facile à donner. L’état du château avant les travaux ne s’explique que par la haine de Napoléon à l’égard d’un homme particulièrement vertueux et talentueux, un républicain qui fut un moment son rival. Cet homme, c’est Alexandre Dumas, premier du nom qu’il avait librement choisi, lui qui était né esclave en 1762 dans la colonie française de Saint-Domingue, aujourd’hui république d’Haïti, fils d’une femme esclave et de son maître, le descendant noble d’un héros tué à la bataille d’Azincourt.

Un château devenu dépôt de mendicité, maison de retraite puis EHPAD

Hormis la jalousie et le fait que le général Dumas était un ardent républicain, l’exaspération de Bonaparte, qui rétablit l’esclavage en 1802 en Guadeloupe dans un bain de sang, et dont la tentative à Saint-Domingue entraîna une résistance victorieuse des anciens esclaves et la perte de la colonie, s’explique aussi par la part africaine des origines du général et la couleur de sa peau. Du fait de l’acharnement contre le général Dumas, qui avait pourtant été reçu à bras ouverts par la population de Villers-Cotterêts, s’y était installé et avait épousé une fille du pays, le château de Villers-Cotterêts, au lieu d’être pris en charge par l’État, comme les autres anciennes résidences royales, fut transformé par Napoléon, en 1808, en dépôt de mendicité de la ville de Paris, c’est-à-dire en un lieu carcéral où l’on allait déporter et enfermer les indésirables de la capitale : prostituées et clochards.

« Cette notoriété planétaire d’Alexandre Dumas est de toute évidence infiniment supérieure à celle de François 1er. »

Ainsi furent simultanément punis Villers-Cotterêts, qui avait eu le tort de donner l’hospitalité au héros, et la veuve du général, qui demandait obstinément justice, car la Légion d’honneur et un arriéré de solde avaient été refusés à ce nouveau chevalier Bayard, au vainqueur du petit Saint-Bernard, du Mont Cenis et de Brixen, à ce brave soldat, humaniste et fédérateur, qui avait épargné les Vendéens, mais serait mis à la retraite d’office par Bonaparte. Il en était mort de chagrin. Le dépôt de mendicité serait ensuite pudiquement rebaptisé « maison de retraite ».

En 2014, la « maison de retraite » a quitté les murs du château, l’abandonnant dans un état lamentable, et s’est transformée en un « EHPAD François Ier » très moderne, mais qui relève toujours, assez curieusement, du budget et de l’autorité de la ville de Paris. La décision de l’Empereur entraîna la ruine de la ville et celle aussi de la famille du général, ce qui aurait pour conséquence d’empêcher le futur écrivain Alexandre Dumas de faire des études. Si les effets de ce dommage se font encore sentir à Villers-Cotterêts, la cause n’en a pas été oubliée puisque, outre le fait qu’un très intéressant musée municipal est consacré au général Dumas et à ses deux illustres descendants, tous deux hommes de lettres internationalement connus, tous les 4 février, journée de l’abolition de l’esclavage par la Convention, la population de la petite cité rend officiellement hommage à la mémoire du géant.

Alexandre Dumas, ou comment justifier avec panache la réparation du château

Quand on sait que le futur général Dumas – qui était aussi un cousin de François Ier puisqu’ils avaient des ancêtres communs (entre autres Jean Ier d’Armagnac et Béatrice de Clermont) – rencontra sa future épouse dans la cour du château de Villers-Cotterêts le 15 août 1789, 250 ans jour pour jour après la fameuse ordonnance prise dans ce même château, et que le fruit de cette rencontre est l’écrivain français le plus lu dans le monde, dont les œuvres ont été les plus adaptées au cinéma.

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Quand on sait que le goût de l’illustre autodidacte pour l’histoire est indiscutablement lié au fait qu’il grandit et rêva dans les cours du castel délabré, choisissant la carrière des lettres sur l’exemple de ses illustres prédécesseurs axonais : Racine, La Fontaine, Condorcet ; quand on sait que derrière ce fameux écrivain, qui avait repris le nom de guerre du général, son père, s’en cache un autre, toujours sous le même pseudonyme, auteur de La Dame aux camélias, un succès mondial qui inspira La Traviata. Quand on sait enfin que Haïti, patrie dont les Dumas sont originaires, malgré un passé douloureux partagé avec la France, est le dernier bastion de la langue française en Amérique, et que la francophonie, un mot qui désigne aussi nos colonies perdues, c’est en grande partie l’Afrique, dont la France a largement profité, on peut se demander pourquoi le président de la République n’a pas choisi tout simplement de justifier avec panache la réparation du château de Villers-Cotterêts par la réparation d’une injustice, matérialisée par la ruine de l’édifice conçu par Philibert Delorme.

Du fait de la notoriété d’Alexandre Dumas, qui illustra superbement la langue française dans le monde entier, et qui lutta contre l’esclavage et le racisme, le monde entier l’aurait compris et les Français aussi, bien sûr ; même ceux qui admirent Napoléon, une grande figure historique, certainement, mais qui eut sa part d’ombre. Cette notoriété planétaire d’Alexandre Dumas est de toute évidence infiniment supérieure à celle de François Ier. Elle aurait été suffisante pour justifier la création d’un établissement public valorisant la langue française sous le nom glorieux d’Alexandre Dumas et pour attirer à Villers-Cotterêts des centaines de milliers de visiteurs. Mais pour ce que l’honneur et le bon sens commandent, il n’est jamais trop tard.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne