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François Fillon le 15 novembre 2021.
François Fillon le 15 novembre 2021.
AFP

Procès Fillon : cinq ans, dont un ferme, requis contre l'ancien Premier ministre

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Plus de trois heures durant, ce lundi 29 novembre, le parquet général a démoli la défense Fillon au procès en appel de l’ancien Premier ministre et de son épouse. Cinq ans de prison, dont un an ferme - soit un an de moins que la condamnation de première instance – ont été réclamés à son encontre. On reste cependant très loin de la relaxe que réclame le camp Fillon.

Ils sont assis côte à côte au premier rang. François Fillon prend des notes nerveusement et hoche la tête négativement. Les demandes de peines par le parquet général tombent. Il est 16 h 55. À l'encontre de l’ancien chef du gouvernement, l’avocat général Bruno Revel réclame cinq ans de prison dont un an ferme sous bracelet électronique, 375 000 euros d’amende et dix ans d’inéligibilité. Deux ans de prison avec sursis sont requis à l’encontre de son épouse, ainsi que deux ans d’inéligibilité et 100 000 euros d’amende. Trois ans avec sursis et cinq ans d’inéligibilité sont réclamés contre son suppléant Marc Joulaud.

« Nous considérons que madame Fillon a adhéré pleinement à cette entreprise de détournement de fonds publics et sociaux », assène l’avocat général Bruno Revel, évoquant une somme d’un million d'euros qui aurait été récupérée par le couple Fillon via quatre emplois fictifs successifs. « Madame Fillon ne saurait être considérée comme la dupe de son mari. Elle a été un instrument consentant. Monsieur Joulaud non plus n’a été la dupe de personne. Il a adhéré pleinement. Nous pensons que la fidélité et la reconnaissance peuvent expliquer ces errements », estime l’avocat général. Revenant à l’auteur principal, Bruno Revel fustige « monsieur Fillon, à l’origine de cette captation des crédits collaborateurs ». Il évoque une entreprise étendue, patrimoniale, ancienne, tout laissant à penser qu’elle remonte à son premier mandat de député, en 1981.

Sale après-midi pour l’ancien Premier ministre donc. Dès 13 h 30, les deux avocats généraux du parquet général de la cour d’appel de Paris se relayent pour détailler l’accusation à son encontre. La charge est rude. Les flèches tombent, drues, sur la défense de l’ancien Premier ministre. Un feu roulant d’artillerie qui met en pièces méticuleusement les arguments défensifs de l’ancien favori de la dernière présidentielle. Le premier à tirer, Yves Micolet, s’emploie à réfuter « le procès du Parquet national financier » (PNF) qui se serait invité dans la campagne.

L'attaque contre le PNF : un leurre

François Fillon en personne, à la barre, a déploré cette enquête lancée trois mois avant l’élection, estimant qu’elle aurait dû être ajournée. « Mais que n’aurait-on dit ? », lui répond le parquet général. « Au nom de quoi le PNF aurait dû attendre ? Mais attendre quoi ? » Évoquant deux pays, Israël et l’Italie, où la justice a accroché des chefs de gouvernement en exercice, Yves Micolet se félicite au contraire de l’enquête lancée par le PNF en janvier 2017, au lendemain d’un article du Canard Enchaîné.

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« En trois mois, monsieur Fillon a eu la possibilité de montrer son innocence », estime le magistrat, qui justifie les investigations judiciaires. Yves Micolet imagine aussi l’élection à l’Élysée du candidat LR, si une enquête judiciaire avait été « mise en suspens » et « le poids du soupçon qui n’aurait pas manqué de peser sur ce futur président ». Le magistrat du parquet raille l’idée « d’une sorte de trêve électorale » qu’aurait à respecter la justice. « Mais des élections, il y en a tout le temps ! La présidentielle, les législatives, les cantonales, les régionales. On ne pourrait jamais enquêter ! L’attaque contre le PNF est un leurre pour masquer la gravité des faits », conclut-il sur ce premier point.

Deuxième argument de la défense que l’avocat général entend démolir : l’atteinte à la séparation des pouvoirs. Selon François Fillon et ses avocats, qui l’ont martelé lors du premier procès et à la barre de la cour d’appel, la justice n’aurait pas les capacités de contrôler le travail d’un assistant parlementaire. Là encore, le parquet général évoque « une contre-vérité ». « Dans ce dossier d’une grande simplicité, la justice a fait son devoir, tonne Yves Micolet. Il n’est pas reproché à François Fillon d’avoir embauché son épouse comme assistante parlementaire, il lui est reproché la fictivité de cet emploi. »

Employeur par procuration

Troisième zone de déminage pour l’accusation, les questions de prescriptions. Selon l’avocat général, dans les quatre emplois présumés fictifs reprochés à Penelope Fillon, il a toujours été trouvé des signes de « dissimulation » sur fond de « grande opacité ». À son tour, Bruno Revel, le second avocat général, pilonne les explications soutenues par les prévenus à la barre. Bruno Revel raille les traces minimes du travail de l’épouse de l’ancien Premier ministre. Il évoque « une recherche du vide » et « la constatation du néant ». « Il est inexact d’affirmer que les investigations ont été menées à charge. Il se trouve que lors des perquisitions, aucune trace des emplois de madame Fillon n’a été trouvée », avance le second magistrat du parquet.

Aucun mot, aucune lettre manuscrite, aucune annotation en marge. Rien non plus à Solesmes, le domicile sarthois des Fillon. Une constante en revanche dans tous les témoignages, celui de la « discrétion » de Penelope Fillon, que ce soit auprès de son mari ou de son suppléant, Marc Joulaud, de 2012 à 2017, période où François Fillon était Premier ministre. « Nous avons là une situation extravagante, raille Bruno Revel, où l’emploi de madame Fillon se voit imposé à un monsieur Joulaud, décrit comme un homme de paille de monsieur Fillon, un employeur par procuration ». L’avocat général évoque « une conception mercantile » de la part de François Fillon, dont l’épouse, à sa demande, « perçoit même un salaire supérieur à celui du député suppléant ». À la barre, les époux Fillon et Marc Joulaud, de concert, ont évoqué une cellule locale au sein de laquelle Penelope Fillon aurait prodigué des conseils au suppléant Joulaud. « Cette cellule n’a de réalité que le nom, tonne Bruno Revel. Monsieur Joulaud n’avait nul besoin de l’apport de madame Fillon. »

Revenus familiaux

La charge se veut accablante. « Il y a aussi ces détails dans lesquels le diable gît, comme l’absence de congés maternité, et l’absence de congés payés », poursuit le magistrat, qui souligne au passage qu’à la fin de ses contrats à l’Assemblée, Penelope Fillon a eu droit à des versements de congés payés. « Vous êtes face à un faisceau d’indices, un ensemble d’éléments raisonnables et convergents suffisants pour caractériser une infraction », conclut Bruno Revel, demandant à la cour d’appel d’écarter les « éléments » apportées par la défense, comme des participations de Penelope Fillon à des concerts ou des cérémonies locales. Si le magistrat admet ces participations de Penelope Fillon, c’est « au titre d’épouse et d’investissement social » mais « cela ne saurait être assimilé à un emploi d’assistant parlementaire à temps plein ! »

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Là encore, même position du parquet général que du PNF en première instance et des juges d’instruction. Comme si jusque-là, après le premier procès qui lui a valu une condamnation lourde à cinq ans de prison dont deux fermes, 375 000 euros d’amende, et dix ans d’inéligibilité, François Fillon n’avait pas vraiment marqué de point. Le parquet général décortique ensuite l’emploi de Penelope Fillon à la Revue des deux mondes de Marc Ladreit de Lacharrière. « J’avoue avoir été décontenancé du système de défense adopté par madame Fillon », reprend Yves Micolet avant d’aborder ce volet.

« D’un côté, nous avons une personne, Penelope Fillon, qui a les capacités juridiques et techniques, et de l’autre une personne évanescente qui va signer des contrats sans se préoccuper de rien. C’est son mari qui négocie, c’est son mari qui définit les conditions de travail, et on a l’impression, qu’elle, cela ne l’intéresse guère ». Yves Micolet, pour autant, ne voit pas Penelope Fillon en simple « femme soumise », mais décrit ses revenus comme « des revenus familiaux » : « Il fallait financer l’entretien du manoir de Solesmes, l’éducation des cinq enfants, la location d’un appartement à Paris », poursuit le magistrat.

Déballage

Penelope Fillon est également embauchée auprès de la Revue des deux mondes sous son nom de jeune fille, dans des conditions de grande discrétion, et via « un système de dissimulation ». Tout va, là encore, selon le parquet général, dans le sens d’un emploi fictif. Yves Micolet raille « les explications artificielles » de la défense des époux Fillon. Admettant une « douzaine de notes de lectures » écrites pour la Revue, l’avocat général veut bien être « magnanime » et « envisager 10 % du travail effectué ce qui entre encore dans la jurisprudence de la Cour de cassation d’un salaire disproportionné ». Yves Micolet qualifie cet emploi « d’emploi de complaisance » et remarque qu’il est aussi mis fin au contrat de Penelope Fillon « dans la discrétion la plus totale ». Le magistrat rapproche même la date de cette fin de contrat avec celle du scandale Cahuzac et le « risque de révélation ».

Reste, pour finir, les deux contrats au Sénat des deux enfants Fillon, Marie et Charles. « Nous sommes toujours dans une logique d’enrichissement », assène le parquet général, revenant sur les flux financiers de la famille et le reversement de fonds des deux enfants en direction du compte commun du couple. « Comment peut-on s’enrichir sur le dos de ses enfants ? C’est assez surprenant, grince le magistrat. Sauf si ces emplois, fictifs, ont fait que les enfants ne se sont pas sentis le droit de demander un salaire indu. » Sur leur banc du premier rang, les époux Fillon noircissent des pages de notes. Têtes baissées. Regards droits devant. Que dire devant un tel déballage de leurs finances familiales sur fonds publics ?

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne