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La sensibilité romantique, par exemple, ou la sensibilité viennoise, celle de Freud, justement, n’est plus la nôtre.
La sensibilité romantique, par exemple, ou la sensibilité viennoise, celle de Freud, justement, n’est plus la nôtre.
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Psychanalyse : on a lu "L’inconscient ou l’oubli de l’histoire" de Hervé Mazurel

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Et si l’inconscient lui-même n’échappait pas à l’histoire ? C’est la thèse défendue par Hervé Mazurel, historien des sensibilités et des imaginaires, dans « L’inconscient ou l’oubli de l’histoire » (La Découverte), un livre foisonnant. Explications.

Hervé Mazurel, né en 1977, est une sorte de flibustier de la recherche qui se sent à l’étroit dans sa propre discipline. Explorer les souterrains de la vie psychique et plonger dans les obscures profondeurs de la vie mentale sont ses maîtres mots. Son dernier livre, qui paraît cette rentrée, en apporte la preuve.

L’auteur y explose et étend son champ d’investigation avec une somme de presque 600 pages, dont le titre peut impressionner : L’inconscient ou l’oubli de l’histoire (La Découverte). Mais quand on sait qu’il souhaitait être philosophe dans sa jeunesse, on n’est pas surpris. Les philosophes sont des « toutologues », ils aiment embrasser la totalité de l’humaine condition, et nombre d’historiens aujourd’hui leur emboîtent le pas.

Inconscient social

Hervé Mazurel appartient à cette fiévreuse génération qui s’est frottée à l’histoire des mentalités, des sensibilités, des violences de guerre et des évènements paroxystiques qui ont jalonné l’histoire de l’Occident. C’est un homme de son temps qui se débat au milieu d’héritages convulsifs. Éclectique, curieux, gourmand, boulimique de lectures, il étonne et surprend.

L’an passé, il a publié un livre étonnant sur l’enfant sauvage Kaspar Hauser (1812-1833) qui est apparu épuisé un jour de 1828 sur une place de Nuremberg après avoir passé son enfance prostré dans un cachot. Il est parvenu à nous faire comprendre ce que cet enfant de la nuit ressentait. À présent, dans un essai lumineux, il s’attaque aux liens complexes et forcément tourmentés entre la connaissance historique et la science de la psyché : la mal-aimée, psychanalyse.

« Si personne ne peut rêver à la place d’un autre, il est raisonnable de penser que nos rêves et nos comportements sont dictés par notre environnement social. »

Que le lecteur se rassure, Hervé Mazurel écrit sans fioritures. Il avance à visage découvert. C’est un véritable historien des affects et des imaginaires, qui ne sort pas indemne de ses incursions dans le monde enfoui des pulsions, des interdits et des seuils de tolérance qui permettent à une société de tenir debout. C’est un sensible qui se frotte à la part d’ombre de la vie humaine. Il respire les temps passés, leur atmosphère, avec élégance. Ce qui fait que la sensibilité romantique, par exemple, ou la sensibilité viennoise, celle de Freud, justement, n’est plus la nôtre.

Il s’est donc attaqué à ce monument peu prisé des historiens : l’inconscient. Car si personne ne peut rêver à la place d’un autre, il est raisonnable de penser que nos rêves et nos comportements sont dictés par notre environnement social. Qu’il n’est pas tout à fait fou d’affirmer, que l’inconscient, a une histoire, que la raison n’a pas toujours le dernier mot. Qu’il convient de se pencher sur l’inconscient social qui préside à notre vie commune.

Décloisonner les disciplines

Contre Freud, qui pensait que l’Œdipe était un complexe invariant que l’on pouvait appliquer à toutes les époques. Mais aussi avec lui, qui a ouvert les voies d’une réflexion approfondie sur le destin de notre civilisation, il accorde une large place à celui qui fut son admirateur et contradicteur le plus consciencieux, Norbert Élias (1897-1990), l’auteur de La civilisation des mœurs (1973). Il convoque dans la foulée, celles et ceux qui se sont expliqués avec l’auteur de Malaise dans la culture (1930), et, à leur suite, qui des historiens, qui des anthropologues, qui des sociologues.

Il s’efforce de décloisonner les disciplines, de faire parler les corps, les souffrances, les traumatismes, les silences, les rêves, qui tissent notre historicité. C’est osé, c’est risqué, mais cela permet de respirer. De ne pas être collé comme des mouches à une vitre à la part la plus voyante de l’Histoire.

* Hervé Mazurel, L’inconscient ou l’oubli de l’histoire, La Découverte, 590 p. 29 euros.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne