Accueil

Politique Gouvernement
Au congrès de la FNSEA, Marc Fesneau s'est montré rassurant avec les agriculteurs.
Au congrès de la FNSEA, Marc Fesneau s'est montré rassurant avec les agriculteurs.
AFP

Plan eau : "Marc Fesneau a douché le mince espoir apporté par Macron sur l’évolution du modèle agricole"

Dissonance

Propos recueillis par

Publié le

Enfin un bon point ! Lors de la présentation de son plan eau jeudi, Macron a évoqué la nécessité de changer de modèle agricole pour lutter contre les pénuries en eau. Mais la lueur d’espoir a été balayée dès le lendemain par le ministre de l'Agriculture, Marc Fesneau, regrette Alexis Guilpart, animateur du réseau Eau et Milieux aquatiques pour France Nature Environnement.

On aurait presque cru que les alertes des scientifiques étaient enfin arrivées aux oreilles d’Emmanuel Macron. Si son « Plan eau », présenté ce 30 mars, comporte certes plusieurs faiblesses , le Président de la République a eu le mérite d’évoquer la nécessité « d’adapter nos modèles d’agriculture » au dérèglement climatique. Car alors que les sécheresses sont amenées à se répéter et s’intensifier, l’agriculture est sans commune mesure le secteur le plus gourmand en eau de l’Hexagone. D’après les chiffres publiés fin mars par le ministère de la Transition écologique, l’irrigation représente 58 % de la consommation d’eau, contre 45 % lors de la précédente estimation. Qui l’eut cru, le chef de l’État a même repris l’un des piliers de l’agroécologie en évoquant « des sols en meilleure santé avec plus d’arbres, qui stockent mieux l’eau et qui favorisent la recharge des nappes ».

À LIRE AUSSI : Eaux usées, tarification, agriculture… Les annonces de Macron sur l'eau, un ruisseau contre la sécheresse ?

C’était sans compter sur la sortie du ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, présent au même moment à la clôture du congrès de la fédération agricole majoritaire, la FNSEA. Le ministre a alors assuré que les agriculteurs n’auraient pas à fournir « d’effort supplémentaire ». Autrement dit, le secteur agricole n’aura pas à baisser ses prélèvements servant à arroser les cultures. Une promesse qui contrebalance fortement la volonté affichée quelques instants plus tôt par Emmanuel Macron de faire évoluer les pratiques et de réfléchir à une agriculture moins consommatrice. Et qui montre que le chemin pour arriver à une production durable est encore long, déplore Alexis Guilpart, animateur du réseau Eau et Milieux aquatiques pour France Nature Environnement. Entretien.

Marianne : Vous avez eu le sentiment d’une contradiction entre les propos d’Emmanuel Macron et ceux de Marc Fesneau en voyant la prise de parole du ministre devant la FNSEA ?

Alexis Guilpart : Oui, et on est désagréablement surpris et très déçus de cette ambivalence. Déjà, que Marc Fesneau soit le même jour au congrès de la FNSEA, c’est compréhensible, il doit être auprès de la profession. Mais ça empêchait une prise de parole conjointe avec le Président. Et sa position décrédibilise la parole présidentielle. Alors que pour une fois, Emmanuel Macron semblait conscient des enjeux - même si ses propos restent un peu faibles et le discours d’hier n’apporte pas de mesures contraignantes. Il a tout de même parlé de sobriété, de changement de modèle, de stockage de l’eau dans le sol. Quand il a dit ça, on a été étonnés avec une envie d’y croire - bien sûr sans naïveté puisque c’était au milieu d’un paquet de mesures.

À LIRE AUSSI : Annonce du "plan eau" : l'opération de com' rodée de Macron

On s’est dit qu’un message était passé, tout cela va dans le sens de ce que nous portons, ce qui est d’autant plus surprenant que le gouvernement est souvent plus proche de la position de la FNSEA. Mais la sortie du ministre revient complètement là-dessus. Il semble ne pas vouloir mettre un terme à l’irrigation intensive. Marc Fesneau a douché le mince espoir apporté hier par Macron sur le modèle agricole, il a détruit la bonne orientation.

Mais en conservant les mêmes niveaux de prélèvements, comme évoqué par Marc Fesneau, certains agriculteurs devront tout de même repenser leur système d’irrigation, puisque les surfaces agricoles s’agrandissent chaque année.

Oui, si les prélèvements d’eau doivent rester à volume constant, cela revient à utiliser moins d’eau pour chaque culture. Si un agriculteur double sa surface et qu’il a autant d’eau avant et après cet élargissement, il sera obligé de revoir ses pratiques. Mais cela n’impose pas forcément de changer de modèle. Pourtant, aujourd'hui, on sait que certains ne pourront pas faire l’économie d’économie d’eau : les précipitations vont baisser, la ressource va devenir insuffisante même pour garder le niveau actuel de prélèvement, donc il faudrait bien diminuer sa consommation.

À LIRE AUSSI : Plan de l'exécutif contre la sécheresse : "Maîtriser l’eau, c’est marquer le territoire"

C’est le cas en sur une large partie de l’Occitanie, en Nouvelle Aquitaine et Provence Alpes Côte d’Azur, où les sécheresses sont particulièrement problématiques. Un avis de l’autorité environnementale montre que dans certains territoires, pour faire face au dérèglement climatique, les agriculteurs devront forcément amorcer une transition forte. Un ministre doit prendre en compte un avis comme celui-là, d’une autorité compétente. Et se rattacher à ce qu’a dit le président. Concrètement, sans réduire la consommation agricole, on expose les populations à un manque d’eau potable. Et on laisse mourir les écosystèmes et les rivières.

Plus largement, d'autres positions de Marc Fesneau vous ont-elles déçues à propos de la transition du modèle agricole ?

Toujours hier, au congrès de la FNSEA, il a dit vouloir demander à l'Agence française de sécurité sanitaire (ANSES) de revenir sur sa volonté d’interdire les principaux usages d’un herbicide, le S-métolachlore. Mi-février, l’Agence avait annoncé vouloir proscrire son utilisation car les dérivés du produit ont été détectés au-delà des limites autorisées dans des nappes phréatiques, or c’est un produit dangereux et classé comme cancérogène suspecté. Donc Marc Fesneau conteste même les positions de l’Anses ! Quelque part, cela revient à dire aux agriculteurs que rien ne changera. Il les rassure.

En quoi ce positionnement du Ministre vous paraît particulièrement inquiétant pour les mois qui viennent ?

Dans les prochains mois, Marc Fesneau portera la loi d’orientation agricole, elle est prévue entre maintenant et la fin de l’année. Elle devrait inclure énormément de points différents, et nous espérons qu’elle comportera des points essentiels sur la gestion et qualité de l’eau, ou encore des élevages. Le descriptif du Plan eau présenté par Macron mentionne d'ailleurs que c’est cette loi qui portera les ambitions décrites hier, pendant le discours, en matière de démarche agroécologique et d’agriculture biologique. Mais si Marc Fesneau maintient sa position, le texte risque de ne pas être ambitieux.

Cela nous montre qu’il faudra redoubler d’investissement pour peser dans les prochains mois pour sortir de l'immobilisme et du statu quo que revendique in fine le Ministre. Ce que nous voulons, c’est une agriculture qui fonctionne autrement, avec des cultures moins gourmandes en eau. Pour ça, on peut faire migrer des essences, en implanter certaines dans d’autres régions si on sait qu'elles en supporteront mieux le climat. L’autre nécessité est de diversifier les plantations sur une même parcelle, d’arrêter les monocultures, et retrouver des sols vivants. C’est sur ces points que nous insisterons afin qu’ils soient pris en compte dans la loi.

Votre abonnement nous engage

En vous abonnant, vous soutenez le projet de la rédaction de Marianne : un journalisme libre, ni partisan, ni pactisant, toujours engagé ; un journalisme à la fois critique et force de proposition.

Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne