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"Alors oui, messieurs de gauche qui osez parler de « liberté », une femme peut parfaitement choisir en toute liberté de porter le voile, si on suppose une totale absence de pression. Mais on dirait que vous n’avez jamais ouvert un livre d’histoire, et singulièrement d’histoire des mœurs. La servitude volontaire, ça ne vous dit rien."
"Alors oui, messieurs de gauche qui osez parler de « liberté », une femme peut parfaitement choisir en toute liberté de porter le voile, si on suppose une totale absence de pression. Mais on dirait que vous n’avez jamais ouvert un livre d’histoire, et singulièrement d’histoire des mœurs. La servitude volontaire, ça ne vous dit rien."
ZUMA PRESS/MAXPPP

"Les femmes voilées en Occident choisissent l’oppresseur, la loi du mâle, contre la révolte des femmes"

Tribune

Par Pierre Jourde

Publié le

Écrivain, universitaire et critique, Pierre Jourde explique dans une tribune en quoi la gauche se trompe, selon lui, en évoquant la « liberté de ne pas porter le voile, liberté de pouvoir le porter ».

Depuis que les Iraniennes – et les Iraniens – se révoltent contre le port du voile, on entend en France, singulièrement à gauche, cette petite musique : liberté de ne pas porter le voile, liberté de pouvoir le porter. Comme si le voile était un simple vêtement qui n’avait pas de sens. Comme si être de gauche vous condamnait à rester aveugle au poids symbolique des choses. Et comme si, dans les rues de nos villes, dans nos universités, ce voile prétendument interdit n’était pas allègrement, et de plus en plus porté.

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Quand on pense au courage de ces femmes qui se révoltent et n’en peuvent plus d’arborer ce symbole d’oppression patriarcale et de soumission à la loi des hommes, non seulement en Iran, en Afghanistan et en Arabie où il est prescrit par la loi, mais en Algérie, en Tunisie, en Syrie, en Palestine, où c’est la pression sociale qui l’impose, on se dit que celles qui s’enveloppent dans des voiles qui les couvrent des cheveux aux chevilles alors que rien ne les y oblige devraient avoir honte. On a tué une femme pour un voile mal ajusté. Vous croyez qu’elles enlèveraient le leur, par simple solidarité ? Que non ! Les femmes voilées en Occident sont comme les « jaunes » dans les grèves : elles choisissent l’oppresseur, la loi du mâle, contre la révolte des femmes.

Vous qui parlez de liberté de porter le voile, avez-vous déjà vu un homme et deux garçons en short s’ébattre joyeusement dans la mer, tandis que la mère, empaquetée de voiles noirs, avançait difficilement dans l’eau ? Je vous assure que ça serre le cœur.

« Allez voir ces associations qui soutiennent les femmes qui aimeraient se libérer de ce signe d’asservissement. »

Vous qui parlez de liberté de porter le voile, avez-vous déjà visité un site de vente de tenues musulmanes pour femmes, où même les petites filles sont empaquetées jusqu’aux sourcils, où les visages sont masqués, oui, même ceux des petites filles, par souci de « modestie » et de « pudeur » ? En enlevant aux femmes leur identité, leur visage, on leur enlève leur humanité.

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Liberté ? Vraiment ? Quand, dans les banlieues françaises, on est une pute qui s’offre à tous les hommes dès qu’on ne porte pas le voile, c’est certain que le porter est un choix effectué en toute liberté. Liberté, vraiment ? Avec la pression familiale, l’imam local qui vous explique que les femmes qui ne portent pas le voile sont des femmes sans pudeur et sans conduite, c’est sûr qu’on est libre. Vous qui parlez de liberté, allez voir ces associations qui soutiennent les femmes qui aimeraient se libérer de ce signe d’asservissement, mais sont soumises à des pressions, à des violences, à des menaces de mort, ainsi que les associations qui les défendent.

Le voile disparaissait progressivement en Orient. Il est revenu dans les années 1970 comme un étendard de l’islamisme le plus radical, dans l’Iran de Khomeyni, dans l’Égypte des Frères musulmans, qui se servent aujourd’hui de la tolérance et de la liberté des pays démocratiques pour l’imposer, et crier à l’islamophobie dès lors qu’on y voit ce qu’il est vraiment : une allégeance assumée aux doctrines les plus rétrogrades.

« Comment ne pas voir que partout où il y a le voile obligatoire, il y a des lois qui considèrent les femmes comme mineures ? »

Mais comment ne pas voir qu’avant tout, le voile implique toute une conception de la femme ? On fait comme si le voile était un simple symbole religieux, comme une croix. On fait comme si ce n’était pas une discrimination sexuelle. Le corps de la femme, dans cette conception, est impudique par nature. S’il se montre, il va forcément exciter les hommes. Il faut le cacher au maximum, car le corps de la femme est exclusivement réservé à son mari. Et même celui des petites filles, réservé d’avance au futur mari. Le corps intact et invisible de la femme préserve l’honneur masculin.

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Comment ne pas voir que partout où il y a le voile obligatoire, il y a des lois qui considèrent les femmes comme mineures, qui condamnent les femmes adultères à la lapidation, même en cas de viol, qui leur interdisent de conduire ou de sortir sans être accompagnées, et que le voile est le symbole de l’acceptation de cet ordre ?

Alors oui, messieurs de gauche qui osez parler de « liberté », une femme peut parfaitement choisir en toute liberté de porter le voile, si on suppose une totale absence de pression. Mais on dirait que vous n’avez jamais ouvert un livre d’histoire, et singulièrement d’histoire des mœurs. La servitude volontaire, ça ne vous dit rien.

« La gauche s’est construite pendant plus de deux siècles sur l’anticléricalisme. »

Vous ignorez que les valeurs patriarcales étaient transmises par les femmes mêmes, aliénées au discours masculin dominant, que la mère les enseignait à sa fille. Oui, elles choisissaient d’être ces femmes soumises, réservées, cantonnées à leur rôle d’épouse et mère, et bien rares étaient celles qui parvenaient à s’arracher à ce poids du discours dominant. Elles choisissaient. Mais le mot « liberté » est obscène pour ce genre de choix.

Continuez à parler de « liberté de porter le voile », bons apôtres de gauche, qui affichez surtout par là votre mépris des femmes et des musulmanes, pendant qu’on meurt pour l’enlever. Vous n’avez peur de rien. La gauche s’est construite pendant plus de deux siècles sur l’anticléricalisme. Désormais, elle se fait l’alliée de l’obscurantisme et de l’inégalité hommes-femmes au nom de la religion.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne