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Ludwig Erhard, tenu en laisse par Washington.
Ludwig Erhard, tenu en laisse par Washington.
© dpa Picture-Alliance via AFP

"Grâce au passé nazi de deux chanceliers, les États-Unis ont soumis l'Allemagne et l'ont retournée contre la France"

Entretien

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Ludwig Erhard et son successeur Kurt Georg Kiesinger étaient étroitement tenus en laisse par Washington car ils avaient, l’un et l’autre, beaucoup à se faire pardonner, raconte l'historien Éric Branca. Depuis cette époque, le couple franco-allemand en subit les conséquences, tant l'Allemagne a pris les États-Unis comme amant, la France jouant le rôle de l'éternelle cocue. Alors que le Traité de l'Elysée fête ses 60 ans, découvrez un extrait gratuit de notre entretien avec Eric Branca.

Découvrez ci-dessous des extraits de notre grand entretien avec Éric Branca, auteur de L’ami américain, Washington contre de Gaulle (Tempus, 2022) sur la vraie histoire du « couple franco-allemand ».

LIRE L'ENTRETIEN INTÉGRAL : Éric Branca : "Célébrer le Traité de l’Élysée est une imposture : le cauchemar de De Gaulle et d’Adenauer s’est réalisé".

Marianne : Après le passage d'Adenauer (1949-1963), durant la période où Ludwig Erhard dirige le gouvernement ouest-allemand, du 16 octobre 1963 au 30 novembre 1966, les rapports franco-allemands refroidissent sensiblement. Erhard s’est complètement aligné sur les positions américaines ?

Eric Branca : Ludwig Erhard bien sûr, mais aussi son successeur Kurt Georg Kiesinger (1966-68), deux hommes étroitement tenus en laisse par Washington car ils avaient, l’un et l’autre, beaucoup à se faire pardonner… Alors qu’Adenauer avait été un résistant de la première heure au nazisme, démis de son mandat de maire de Cologne dès 1933 puis placé en résidence surveillée avant d’être emprisonné, et finalement sauvé de l’exécution, en 1945, par l’arrivée des Alliés, les deux autres avaient été des rouages importants du régime hitlérien.

Il faut quand même savoir qu’Ehrard fut, jusqu’à la fin de la guerre, l’adjoint du général SS Otto Olhendorf, nommé en 1943 secrétaire d’État à l’Économie du Reich et, à ce titre, sous les ordres d’Albert Speer, l’un des artisans de la déportation de centaines de milliers de travailleurs forcés dans les usines du Reich. Non content d’être un esclavagiste, Olhendorf était aussi un assassin, et c’est comme tel qu’il sera exécuté en 1951, pour avoir dirigé, en 1941-1942, l’Einsatzgruppe D qui, en Ukraine et dans le Caucase, s’était rendu coupable de dizaine de milliers d’exécutions sommaires.

Quant à Kiesinger , son pedigree n’est pas moins éloquent : pendant qu’Adenauer était emprisonné, il occupait de hautes fonctions à la Wilhelmstrasse (le ministère des Affaires étrangères allemand) comme directeur adjoint de la propagande radiophonique extérieure du Reich, ce qui lui avait valu le surnom de « Goebbels de l’étranger ». À ce titre, il coordonnait le contenu de onze émetteurs, ce qui faisait de lui, en pratique, l’un des principaux censeurs du régime. Sous l’occupation, il s’est aussi occupé de restructurer le paysage radiophonique français. Par exemple, en trouvant les montages financiers adéquats pour « aryaniser », au profit des collaborateurs français les plus « méritants », des stations indépendantes comme Radio Cité, Radio Monte Carlo ou Radio Andorre…

Quel était le moyen de pression des Américains ?

Tout cela dormait bien au chaud à Washington dans les archives issues des procès en dénazification. Lesquels s’étaient étonnamment soldés par des non-lieux mais, on l’imagine, non sans de solides contreparties des intéressés. Ehrard s’illustrera ainsi, en 1965, en engageant le bras de fer avec la France (gagné par de Gaulle au terme de six mois de « chaise vide » dans les instances européennes), à propos du plan Hallstein. Baptisé du nom du président de la Commission de Bruxelles, ce plan prévoyait que les décisions communautaires seraient prises désormais à la majorité et non plus à l’unanimité, vieille revendication américaine pour isoler la France.
Quant à Kiesinger, il sera l’homme qui, après la fermeture des bases de l’Otan sur le territoire français, ouvrira celles de la République fédérale aux B52 américains venus se ravitailler avant d’aller bombarder le Vietnam.

Celui aussi qui, à la demande de Washington, fera voter par le Bundestag, le 17 octobre 1967, une motion condamnant la politique européenne de la France et sa décision de quitter le commandement intégré de l’Otan. Cette motion a été rédigée par Jean Monnet, présent dans les tribunes lors du vote… Et que Kiesinger vient ostensiblement féliciter à son issue. Une image symbolique curieusement absente de la légende dorée de l’amitié franco-allemande, on se demande bien pourquoi !

POUR LIRE L'ENTRETIEN INTÉGRAL : Éric Branca : "Célébrer le Traité de l’Élysée est une imposture : le cauchemar de De Gaulle et d’Adenauer s’est réalisé".

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne