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François Ruffin et le pape François.
François Ruffin et le pape François.
FILIPPO MONTEFORTE / ADNAN FARZAT / AFP

Le match Ruffin contre le pape : quel François est le moins prophète en son pays ?

Un François peut en cacher un autre

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D’un côté, le chef argentin de l’Église catholique. De l’autre, un politique français, cadre de La France insoumise (LFI) et agnostique. En apparence (seulement), pas grand-chose ne lie les deux François. Et pourtant : contesté en interne, exalté à l'extérieur, formation, fibre sociale… Il y a match !

Paradoxale popularité

François Ruffin. Au lendemain de la dernière présidentielle, le député LFI de la Somme n’avait pas hésité à critiquer le tropisme de son camp en faveur des grandes métropoles, appelant à se tourner davantage vers les bourgs et la ruralité. Revendication qui s'était attirée en interne les foudres de plusieurs cadres insoumis.

Ce pas de côté calculé mais assumé témoigne pourtant d'un positionnement qui semble payant auprès de l'opinion puisque, en ce mois d’avril 2024, un sondage le propulse au second tour en cas de candidature unique à gauche en 2027 , contrairement à l'indéboulonnable Mélenchon. Dans les mêmes conditions, ce dernier échouerait derrière Édouard Philippe au premier tour. Même au sein de l’électorat insoumis, celui-là ferait mieux que celui-ci. Promesse d’une ascension fulgurante au sommet ? Encore faudrait-il pour ça que François Ruffin soit sûr de ses bases. Car il n'y a pas que les cadres qui se défient de lui, au moins ponctuellement, certains sympathisants ne sont pas plus tendres. Ainsi, son absence à la manifestation contre « le racisme et l'islamophobie » de ce dimanche 21 avril à Paris – comme à celle tenue il y a cinq ans – est jugée durement par de nombreux internautes proches de LFI. « Je cherche une photo de Ruffin à une manif antiraciste », persifle l'un. « Génial bel espoir qu'un mec qui laisserait crever les minorités », ose même un autre.

Pape François. Le souverain pontife suscite des éloges pour le moins inattendus, comme ceux des Insoumis, justement, prompts à saluer ses déclarations lors de sa récente visite à Marseille sur le thème des migrations. Sa défiance à l'égard du conservatisme en fait un pape paradoxalement plus apprécié par ceux qui se considèrent extérieurs à l'Église que par les catholiques pratiquants. En interne, d’aucuns se font même l’écho d’une fronde inédite contre le Saint-Père dans les couloirs feutrés du Vatican. Jamais, de mémoire romaine, un tel niveau de tension n'aurait été atteint.

En cause, notamment, sa gestion réputée brutale et la nomination à un poste clé d’un ami argentin, le cardinal Fernandez. C’est lui qui, fin 2023, ouvre aux couples homosexuels la possibilité d’être bénis. Une ligne rouge pour les évêques africains qui le font vite savoir. Ambiance de fin de règne.

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Jésuite ?

François Ruffin. L’ancien journaliste a passé l’essentiel de sa scolarité au lycée amiénois La Providence, un établissement privé géré par la Compagnie de Jésus. Durant ces années, la foi confortable de ses riches congénères le rebute, lui, le marxiste dans l'âme. Dans Paix intérieure et paix sociale, un livre-dialogue avec Mgr Leborgne, alors évêque d'Amiens, Ruffin l’athée, seul de sa classe à ne pas avoir fait sa première communion, confie son aspiration à la transcendance et à l’élévation spirituelle. Il y lâche aussi, l'air de rien : « Aujourd'hui, les religieux incarnent la marginalité. Celui qui décide de devenir "cureton" à l'heure actuelle, c'est un marginal. Et ça, je ne peux qu'apprécier ». Une pente qui l’amène à se qualifier régulièrement de « chrétien non croyant ».

Pape François. Le premier pape jésuite de l’histoire entretient avec la congrégation de saint Ignace un lien qui remonte à ses années de formation. En se destinant à la prêtrise à l’âge de 22 ans, il entre au noviciat de la Compagnie de Jésus avant de poursuivre ses études de théologie dans un établissement jésuite de Buenos Aires. Peu après son ordination, il est nommé provincial des jésuites d’Argentine, poste qu’il occupe six ans. Ses prises de position, jugées très progressistes par rapport à la ligne incarnée par ses prédécesseurs, se lisent mieux à la lumière de son affiliation à cet ordre aujourd'hui réputé pour sa tendance réformiste.

Fibre sociale

François Ruffin. Fondation du journal Fakir, soutien appuyé aux ouvriers de Whirlpool, défense acharnée des classes populaires, réalisation de Merci patron !, un film satirique brocardant Bernard Arnault… « Mon ennemi, c’est l’indifférence », déclare en 2022 ce rejeton d’une famille de la classe moyenne, paraphrasant un socialiste en campagne présidentielle élu dix ans plus tôt. La fibre sociale chevillée au corps, François Ruffin se distingue au sein de sa famille politique par une certaine prudence sociétale , en témoigne son opposition à la GPA qui fait grincer quelques dents insoumises.

Interrogé en 2023 sur l'opportunité d'une loi favorisant le changement de genre, il répond : « Pour moi, le cœur du sujet, c'est le travail, le partage des richesses, la démocratie. » Scandale pour ses camarades insoumis, qui somment le sans-cœur de se justifier. L'intimidation fonctionne, l'intéressé rétropédale illico.

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Pape François. Chacun sa formule. La « mondialisation de l’indifférence », dénoncée en 2013 par François tout juste élu, signe avec fracas l’entrée en matière d’un pape porté sur la question sociale. La phrase est lâchée lors de son premier déplacement pontifical, auprès de migrants débarqués sur l'île italienne de Lampedusa. Cette orientation horizontale, qu'illustre bien le synode en cours sur l'avenir de l'Église — une grande concertation censée inclure les fidèles du monde entier et dont la session finale se tiendra en octobre 2024 — ne s’est pas démentie depuis. Dans l’encyclique Fratelli tutti (2020), il mord la « culture individualiste naïve face aux intérêts économiques effrénés ». François Ruffin aurait pu l’écrire.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne