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Le rôle de l'énergie dans le conflit russo-ukrainien : on a lu "Guerres cachées" de Marc Endeweld
SERGEY DOLZHENKO/EPA/MaxPPP

Le rôle de l'énergie dans le conflit russo-ukrainien : on a lu "Guerres cachées" de Marc Endeweld

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Dans son dernier essai, « Guerres cachées » (Seuil), le journaliste indépendant Marc Endeweld s'intèresse à un facteur peu analysé dans le conflit armé entre la Russie et l'Ukraine : la volonté de Poutine de freiner le désir de souveraineté énergétique du président Zelensky.

« Le nouvel ordre mondial », « Guerre de l’énergie », « La guerre des États-Unis » : trois des une de Marianne consacrées ces derniers mois à la guerre russo-ukrainienne. Passé par notre rédaction, dans un essai court essai, le journaliste indépendant Marc Endeweld s’est lui aussi attaché à mettre en évidence les racines multifactorielles, anciennes ou plus récentes, du conflit, plutôt que d’ergoter inutilement sur la folie supposée du maître du Kremlin. « En déclarant la guerre, écrit-il, Poutine ne souhaite pas seulement une démilitarisation de l’Ukraine, il entend également mettre le holà à la volonté de souveraineté énergétique du président Zelensky. »

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Pour bien comprendre ce but de guerre – pas le seul certes mais particulièrement important et dont Endeweld affirme qu’il a été « mal perçu par le renseignement français et la diplomatie élyséenne » – il faut remonter à la chute de l’empire soviétique en 1991. Soudainement, l’Ukraine se retrouve troisième puissance nucléaire à la tête d’un parc de 1900 ogives, 176 missiles intercontinentaux, 44 bombardiers stratégiques avec 700 missiles et plus de 2000 armes nucléaires. Certes elle n’en possède pas les codes d’utilisation, mais le risque de prolifération nucléaire est bien réel. À l’issue de négociations difficiles, ce dernier va se résoudre non sans mal sous la forme du mémorandum de Budapest signé le 5 décembre 1994 : l’Ukraine (comme d’ailleurs la Biélorussie et le Kazakhstan, pareillement concernés) renonce à son arsenal, restitué à la Russie considérée comme en étant l’unique héritière. En contrepartie, cette dernière, les États-Unis et le Royaume-Uni garantissent leur indépendance et leur intégrité territoriale aux trois nations, la France et la Chine paraphant plus tard l’accord.

La dépendance énergétique

L’Ukraine rejoint alors le traité de non-prolifération. Bon an mal an, le dispositif tiendra pendant deux décennies mais en annexant la Crimée en 2014, la Russie viole délibérément ce mémorandum sans que pour autant les quatre autres grandes puissances nucléaires n’aient manifesté la moindre intention d’intervenir militairement aux côtés de l’Ukraine. Explication simple : l’accord ne les contraignait pas à le faire. Endeweld montre à quel point cette situation a engendré, ou ravivé, sur place, un fort sentiment de frustration et la volonté de se détacher au maximum de toute dépendance énergétique à l’égard du puissant voisin. Celle-ci est multiple. Concernant le gaz, écrit le journaliste, « la stratégie russe était très claire : contourner le plus possible l’Ukraine pour livrer aux pays européens sans avoir à payer les taxes. »

Une perte sèche alors même qu’elles représentent une part non négligeable du budget national. Pour le nucléaire civil, scénario tout aussi brutal : c’est la Russie qui gère et assure le fonctionnement des nombreuses centrales du pays. Arrivé au pouvoir en 2019, Volodymyr Zelensky affiche sa volonté de changer la donne en se tournant vers les Américains. Clash, gros clash évidemment. Pour l’heure, comme le montre Endeweld à travers divers épisodes économico-diplomatiques, ceux-ci sont les grands gagnants. Vis-à-vis de la Russie mais aussi de l’Europe, tout à la fois prise au dépourvue et incapable d’une attitude commune. Et la position de la France, dans ce grand sauve qui peut énergétique n’est pas la plus facile. Pour l’instant, conclut l’auteur « l’autonomie stratégique » à l’égard des États-Unis et de la Chine qu’Emmanuel Macron appelait de ses vœux ne semble pas près bien partie…

Marc Endeweld, Guerres cachées. Les dessous du conflit russo-ukrainien, Seuil, 138 pages. 14,90 €.

À lire aussi : La formidable couverture de l’invasion russe par les libres journalistes de The Kyiv Independent, seul vrai quotidien (anglophone) non lié au pouvoir politique ou aux oligarques. Carnet de bord de la Résistance ukrainienne, Nouveau Monde, 352 pages. 19,90 €

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne