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Jérôme Leroy : "s'abstenir ce dimanche qui vient, c'est tout de même étrange"
Auteur de thrillers politiques, l'écrivain Jérôme Leroy s'inquiète de l'abstention à venir aux élections législatives.
NurPhoto via AFP

Jérôme Leroy : "s'abstenir ce dimanche qui vient, c'est tout de même étrange"

Humeur

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Auteur de thrillers politiques, l'écrivain Jérôme Leroy s'inquiète de l'abstention à venir aux élections législatives alors que l'avenir des services publics (notamment) est en jeu.

Il est 6 h 30. Il y a des mésanges qui se promènent entre les géraniums et j'écoute les premières nouvelles. On ne devrait jamais commencer par ça, on devrait commencer par lire un poème ou prier, c'est la même chose, en buvant un bol de Pu'er et en regardant l'aube bleue, rose, calme avant que les nuages ne reviennent.

Mais enfin j'écoute les nouvelles et je me demande où, comment, pourquoi, tout ça a commencé à dérailler. Pourquoi les gens, par exemple, ne s'apprêtent pas dimanche à aller voter en masse pour ne pas souffrir encore plus qu'ils ne souffrent, ne vont pas aller voter pour au moins laisser une chance à leurs hôpitaux, leurs écoles, le monde où vont grandir leurs enfants.

Sauvagerie ultime du capitalisme

C'est pour moi un grand mystère, une grande tristesse que de voter contre ses intérêts de classe quand on appartient à celle qui va prendre de plein fouet la sauvagerie ultime d'un capitalisme de fin du monde qui se servira sur la bête jusqu'au bout pour limiter la baisse tendancielle du taux de profit. Quitte à transformer votre existence en cauchemar dystopique où vous travaillerez en mauvaise santé jusqu'à votre mort en menant une vie telle que la définissait à peu près Hobbes avant le Léviathan : brève, triste, pénible et sans plaisir.

Bien sûr, pour le pouvoir et les médias mainstream, on « bolchévise » et on « islamogauchise » à tout va la Nupes. Par exemple, en 86, quand les bavures se sont multipliées (on parlait encore comme ça à l'époque) trouvant leur acmé avec la mort de Malik Oussekine, il était encore possible d'avoir un discours contradictoire sur les versions policières. Là, il ne faut même pas y penser. Une jeune femme se retrouve à l'état d'écumoire sur le siège passager d'une voiture, on va d'abord aller chercher dans son passé si parfois elle ne le méritait pas un peu. Faites tout de même attention, si vous prenez une balle perdue, même en cas de casier judiciaire vierge, ce qui était le cas de la jeune fille, on trouvera bien quelque chose, du genre vol de sucettes et recel de bâtons en CE2.

Le vrai Grand Remplacement

Oui, s'abstenir ce dimanche qui vient, c'est tout de même étrange quand on voit une Première ministre demander à une handicapée de reprendre le travail dans une émission de radio. Ce n'est qu'un détail me direz-vous, mais on sait que c'est là que le diable se niche. Le macronisme est une mise aux normes, exigées par le marché, de la société française, comme on met aux normes l'électricité dans une maison.

On peut toujours voter à droite de la droite, me direz-vous, pour éviter le Grand Remplacement.

Ça va vous paraître surprenant, mais le Grand Remplacement, je suis d'accord, c'est un problème : ma France de jeune homme où on vivait de son travail quand on était ouvrier, où on partait en vacances, où on allait d'une sous-préfecture à une autre sans passer par des glacis commerciaux qui ont vidé de leur substance les centres historiques, où on prenait sa retraite à 60 ans et où on allait passer des jours heureux dans un bout de maison au bord de la Loire, en Normandie ou en Limousin avec du temps pour pêcher, jouer aux boules et regarder grandir ses petits-enfants, elle a bien été remplacée.

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Mais pas par des hordes de mahométans, plutôt par un capitalisme financiarisé qui a réduit le travail à une ubérisation de tous et pour tous où, quand un septuagénaire commandera pendant sa veille de nuit dans un dépôt quelconque une pizza à un sexagénaire à vélo, si l'un des deux a un malaise, il ira mourir dans un couloir d'urgence surchargé ou fermé.

Alors abstenez-vous si vous voulez, mais ne venez pas, comme on dit dans le Nord, me braire dans les oreilles dans deux mois : vous l'aurez bien cherché.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne