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Hertha Ehlert, Irma Grese et Ilse Lithe, lors de leur procès.
Hertha Ehlert, Irma Grese et Ilse Lithe, lors de leur procès.
A0009 dpa / Deutsch Presse Agentur/MaxPPP

Ascension sociale et toute-puissance : "Femmes bourreaux", ou quand les nazies étaient des femmes…

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Dans le domaine de la cruauté, des femmes ordinaires se sont révélées les égales de bien des hommes ayant participé à l’entreprise hitlérienne. Et les ont même parfois même dépassés dans la perversité, comme le montre la journaliste et réalisatrice Barbara Necek dans « Femmes bourreaux » (Grasset).

C’est un livre sans équivalent en français, une histoire qui n’avait jamais été écrite. Dans Femmes bourreaux (Grasset), Barbara Necek étudie les gardiennes des camps. « Dans l’imaginaire collectif, le parti nazi est associé à un monde d’homme » rappelle l’auteure, spécialiste de l’histoire du nazisme, dès l’introduction. Pourtant, l’adhésion des Allemandes à l’Union des femmes allemandes ainsi qu'à l’Union des femmes nationales-socialistes mises en place à partir de 1933 était massive. « 13 millions de femmes, la plus grande mobilisation féminine de l’histoire » selon Barbara Necek.

Cette occultation du rôle des femmes, facilité par le caractère profondément misogyne du national-socialisme, élude ce que Hitler doit à certaines d’entre elles tombées sous son charme et qui vont l’aider dans son ascension, comme l’a souligné l'historien Volker Ullrich dans une biographie qui fit date. Parmi elles, Elsa Bruckmann qui aide le jeune dirigeant nationaliste à s’introduire dans les hautes sphères de la société, et qu’elle présente à la famille Wagner, favorisant ainsi la récupération de la Tétralogie wagnérienne.

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Afin d’accentuer cette fascination, Dietrich Eckart – l’homme à qui Hitler a dédié son manuel pour l’extermination des juifs, Mein Kampf – affirmait que pour assurer son succès, le « sauveur de l’Allemagne » devait se présenter comme célibataire : « de cette manière nous pourrons attirer les bonnes femmes. »

Une ascension sociale

Barbara Necek a donc porté son attention sur une partie de ces « bonnes femmes ». Pas n’importe lesquelles. Celles qui vont, par adhésion, inventer une nouvelle fonction indispensable à la guerre hitlérienne : gardiennes de camp de concentration puis d’extermination. Car, dans sa volonté d’éviter des rapports sexuels entre SS et prisonnières, en particulier juives, « seules des femmes peuvent garder des femmes ». Comme à Ravensbrück où 130 000 femmes furent assassinées. Ces 4 000 femmes, formées justement au centre de Ravensbrück, « incarnent mieux que quiconque le caractère raciste, haineux et destructeur du nazisme » souligne l’auteure. Elles seront les instruments du martyr de militantes de gauche, d’intellectuelles refusant l’ordre nouveau, de juives bien sûr, ou encore de Témoins de Jéhovah ayant refusé jusqu’au bout de faire le salut nazi.

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Qui étaient-elles ? Quels ont été leurs parcours ? Elles appartiennent, en grande majorité, à des familles défavorisées. Endosser l’uniforme, toucher un salaire non négligeable, va donc leur donner le sentiment d’une ascension sociale et de toute-puissance. Leur part obscure peut ainsi s’épanouir en fouettant, torturant, piétinant à mort des déportées avec les bottes qu’elles sont fières de porter, surtout celles qui ont le défaut d’être issues d’une extraction sociales supérieure à la leur.

Peu rechigneront et demanderont à quitter l’un des 13 camps pour femmes que comptera l’univers concentrationnaire en 1945. Et le lecteur est pris d’un effet de sidération devant la description de la vie privée ces femmes : après avoir exercé leur métier de mort, elles redeviennent des midinettes pleurant des amours contrariés avec des SS ou organisent une sociabilité faite de jeux, de concerts et de parties de campagne. Et même, s’activent aux tâches de jeunes mères : la moyenne d’âge de ces bourreaux en jupe kaki était de 26 ans.

Barbara Necek, Femmes bourreaux, Grasset, 304 p., 20,90 €.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne