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La police évacue un sit-in devant l'entrée de Sciences-Po, le vendredi 5 mars.
La police évacue un sit-in devant l'entrée de Sciences-Po, le vendredi 5 mars.
Serge Tenani / Hans Lucas

Gaza : pourquoi Sciences Po Paris singe les universités de Berkeley et Columbia

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Pionnière dans l'adoption des idées et concepts d'outre-Atlantique, Sciences Po Paris a lancé le (petit) mouvement en France des manifestations pro-Gaza inspirées des grandes universités américaines.

« Je connais trois étudiants qui ont préféré, cette année, l’institut d’études politiques d’Aix-en-Provence à Sciences-Po Paris à la pointe des idées woke », nous confie un recteur. Ces derniers voulaient éviter d’entendre parler de « racisme systémique » et autres études de genre. Un épiphénomène ? Peut-être, car l’école reste attractive lorsqu’on examine l’importante sélection à l’entrée.

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Il n’empêche. Le visage de Sciences Po Paris et de ses campus régionaux (Le Havre, Reims, Menton, etc.) a commencé à changer pendant l’ère Richard Descoings, l’emblématique directeur mort en 2012.

Devenue une sorte de super école de commerce publique, l’école s’est internationalisée, accueillant aujourd’hui près de 50 % d’étudiants étrangers contre environ 15 % dans les autres cursus universitaires. Elle compte 150 nationalités dans ses rangs. Elle vante son « multiculturalisme » et ses doubles diplômes avec des universités prestigieuses dont Berkeley et Columbia, épicentres mondiaux actuels du mouvement propalestinien.

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La nationalité américaine est la plus représentée avec plus de 1 000 étudiants chaque année, devant les Allemands et les Italiens. Ces jeunes « importent les débats politiques des États-Unis », expose un enseignant. Une affirmation balayée par Niel, un étudiant de Solidaires, association active dans les manifestations pro-palestiniennes : « Dans notre mouvement, il y a surtout des Français. Ce ne sont pas les étrangers qui dictent nos actions. »

Lors des différentes tentatives de blocages, début mai, certains slogans étaient néanmoins scandés en anglais. Entre deux « Macron, démission », on pouvait entendre ou lire « From the river to the sea », en français « De la rivière à la mer », un slogan qui prône « l'annihilation de l'État d'Israël », selon l'union des étudiants juifs de France. Et quand les étudiants protestent contre les évacuations policières, c'est en clamant : « Shame ! » (« La honte »)

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Et les étudiants du Comité Palestine ont exigé et obtenu la tenue d’un « town hall », une réunion à l’américaine entre étudiants, professeurs et direction. Les annonces de grèves de la faim ou l’exigence de couper tout lien avec les institutions israéliennes ne sont que des copies pâlottes des modes d’actions d’outre-Atlantique. Nos étudiants bobos, au cœur très à gauche tendance LFI mais à l’origine sociale majoritairement favorisée, ont bien les yeux de Chimène pour les universités d'élite américaines.

Peu d'essaimages dans les universités

Outre Sciences Po Paris, fer de lance du mouvement, plusieurs de ses campus ont fait l'objet de perturbations entre fin avril et début mai. Idem dans une poignée d’IEP (instituts d’études politiques). La contestation n’avait en revanche quasi-pas fait tache d’huile dans les universités, à part une tentative avortée de blocage à La Sorbonne et sur le site de Tolbiac, coutumière du fait.

Vieille habituée des appels au boycott d’Israël, Paris-VIII n’a pas bougé, pas plus que Toulouse-Jean-Jaurès, Bordeaux. Tout juste a-t-on entraperçu quelques rassemblements à Rennes-II malgré la sympathie habituelle des étudiants pour les Palestiniens. Les 19 déplacements de représentants de la France insoumise dans les universités depuis janvier, évoquant régulièrement le conflit, n’y ont rien changé.

Comme si ce mouvement ne pouvait prendre que dans les institutions d’élite. « C’est un mouvement très intellectuel, ultra-minoritaire dont les revendications sont foncièrement éloignées du milieu étudiant », estiment des présidents d’université. Dans les rectorats, on parie sur le fait que le mouvement risque de s’éteindre de lui-même vite : Dans les universités et les instituts d’études politiques, en mai, les cours sont terminés. L’heure est aux révisions et examens.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne