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"Qatargate" : Doha menace de couper le gaz à des Européens encore trop dépendants
Emmanuel Macron et l'émir du Qatar, Tamim ben Hamad Al Thani.
Thomas SAMSON / AFP

"Qatargate" : Doha menace de couper le gaz à des Européens encore trop dépendants

Tensions

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Le Qatar n'a pas attendu la fin de la Coupe du monde pour adresser un sérieux avertissement aux pays européens. Si l'UE prend des sanctions après la révélation du « Qatargate », Doha menace de lourdes conséquences sur la « sécurité énergétique mondiale ».

Pendant qu'Emmanuel Macron tentait maladroitement de consoler Kylian Mbappé à Doha, le Qatar adressait un stupéfiant coup de pression à l'Union Européenne, aux prises avec le scandale de corruption le plus grave de son histoire. Ce dimanche 18 décembre, un diplomate qatari a ainsi officiellement tenté de décourager Bruxelles d'adopter des sanctions contre l'émirat, soupçonné d'avoir corrompu Eva Kaili, vice-présidente grecque du Parlement européen, incarcérée depuis en Belgique.

Plus tôt dans la semaine, et après des années d'attentisme, les députés européens s'étaient presque unanimement prononcés pour suspendre l'accès au Parlement aux représentants d'intérêts qataris. Une décision qui doit encore être approuvée par Roberta Metsola, la présidente de l'assemblée. En attendant, le Qatar met en garde : la sanction serait considérée par Doha comme une « restriction discriminatoire », et aurait un « impact négatif sur la coopération régionale et mondiale en matière de sécurité, ainsi que sur les discussions en cours sur la rareté et la sécurité énergétiques mondiales ». En clair, le Qatar menace de restreindre ses importations de gaz vers l'Europe, qui se trouve prise au piège de sa dépendance aux énergies fossiles.

La chance du Qatar

La transition énergétique européenne a pris beaucoup de retard. 30 % des ménages européens continuent de se chauffer au gaz, qui fait aussi tourner une bonne part de l'industrie européenne. « Une large part du modèle industriel et économique de l’UE a reposé jusqu’ici sur les vastes capacités russes d’exportation de gaz naturel, et sur la modicité du prix de celui-ci », note le Shift Project, le think-tank présidé par Jean-Marc Jancovici, dans un récent rapport réalisé sous l'égide du ministère des Armées. Ce « modèle s’est effondré (…) peut-être de manière irrémédiable » poursuivent les auteurs. Une chance inespérée pour le Qatar.

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Traditionnellement, l'émirat exporte l'essentiel de sa manne gazière vers l'Asie, en particulier vers la Chine, l'Inde et le Pakistan. L'Europe en achetait peu, puisqu'elle était bien approvisionnée, et à peu de frais, par des pipelines en gaz russe, norvégien ou algérien. Mais depuis l'invasion de l'Ukraine en février dernier, l'UE a dû tenter d'alléger sa dépendance envers la Russie. En août, l'UE n'y importait plus que 17 % de son gaz, contre 44 % en février dernier. L'Europe a été obligée de trouver de nouveaux partenaires, pouvant notamment l'approvisionner par bateau en gaz naturel liquéfié (GNL), dont le Qatar est l'un des plus grands exportateurs avec les États-Unis.

Arbitre

Charles Michel, le président du Conseil européen, et Robert Habeck, le ministre allemand de l'Économie, ont donc accouru à Doha pour séduire l'émir. Fin novembre, l'Allemagne a passé un accord important avec le Qatar, pour importer du gaz pendant 15 ans, à partir de 2026. Ces hydrocarbures doivent être extraits du champ de North Field, la plus grande réserve de gaz au monde. Sa pleine exploitation, décidée récemment, doit permettre au Qatar d'augmenter sa production de plus de 60 % dans la prochaine décennie.

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« Les États-Unis et le Qatar semblent, chacun à sa manière, devoir occuper pour longtemps une position d’arbitre de la sécurité d’approvisionnement de l’Europe en gaz naturel », relève ainsi le Shift Project. En effet, ces deux pays disposent des plus grandes réserves de gaz de la planète, et le monde risque de se les arracher. « L’Union européenne (UE) risque de rester exposée à une compétition sévère d’approvisionnement entre pays importateurs de gaz naturel », note ainsi le Shift Project. La demande en gaz risque de croître en Asie pour y remplacer le charbon. Le Qatar sera dès lors en position de pouvoir jouer l'arbitre, soit en choisissant de livrer l'Europe, soit en se tournant vers l'Asie et notamment la Chine.

Doha a donc toute latitude pour faire pression sur les Européens, malgré les scandales de corruption, l'absence de respect des droits de l'Homme et des travailleurs ayant travaillé sur les chantiers de la Coupe du monde. Après le « Qatargate », le ministre allemand de l'Économie a déjà annoncé que son pays ne renoncerait pas à son contrat d'importation de gaz. Pour se libérer de ces dépendances, l'UE ne semble avoir au fond qu'une solution : accélérer la sortie des énergies fossiles.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne