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Gabriel Attal n'a pas cité un seul auteur ni figure historique française dans son  discours de politique générale.
Gabriel Attal n'a pas cité un seul auteur ni figure historique française dans son discours de politique générale.
NICOLAS MESSYASZ/SIPA

Gabriel Attal ou la République du vide

Discours sans histoire

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Lors de sa déclaration de politique générale, le Premier ministre a parlé une heure et demie sans mobiliser la moindre référence historique ou culturelle. Son catalogue de mesures manquait de souffle, de sève et de profondeur.

La semaine dernière, Marianne consacrait quelques articles acides à la baisse de niveau de notre personnel politique. Notre constat a été appuyé par une facette de la déclaration de politique générale prononcée par Gabriel Attal ce mardi 30 janvier. Après avoir écouté le Premier ministre prononcer son discours de politique générale à l'Assemblée, nous en avons attentivement relu les 56 pages pour voir notre intuition être confirmée : Attal a parlé pendant une heure et demie sans mobiliser la moindre référence culturelle. Sa longue allocution ne comporte aucune citation, ne convoque aucune figure historique.

Un discours uniquement au présent

Certes, une déclaration de politique générale n'est pas une déclaration de culture générale. Elle est destinée à fixer le cap du nouveau gouvernement, pas à devenir un numéro de singe savant où le Premier ministre exhiberait sa culture générale à la manière d'une bête à concours. D'ailleurs, l'examen des archives montre que les références restent sporadiques dans les discours des anciens Premiers ministres. Mais tout de même : comment Gabriel Attal peut-il appeler la société française à « regarder en face l'avenir qui se dessine devant elle », à reconnaître les doutes éprouvés par la nation « sur son identité », sans jamais se tourner vers un passé pourtant riche d'enseignements ?

Édouard Philippe, nommé à Matignon par Emmanuel Macron en 2017, avait multiplié les évocations à l'histoire politique française, se plaçant notamment dans les pas de Jacques Chaban-Delmas et Michel Rocard. Il avait fait des allusions à Simone Veil et à Pasteur, cité le prix Nobel de littérature Kazuo Ishiguro. Michel Rocard, justement, invoquait Victor Hugo dans son discours en 1988, parlant aussi de Molière, Chateaubriand et même Saint-John Perse. On pense également à la fameuse déclaration de Jacques Chaban-Delmas, qui n'avait pas fait que marquer les esprits avec son projet de « nouvelle société », mais également parlé de Tocqueville.

Catalogue sans saveur

Le vide qui a entouré le propos de Gabriel Attal est d'autant plus criant qu'il apparaît en décalage avec la volonté affichée par l'exécutif de promouvoir l'unité nationale. Mi-janvier, Emmanuel Macron l'avait proclamé durant sa conférence de presse à l'Élysée : « Chaque génération de Français doit apprendre ce que la République veut dire. Son histoire, ses droits, ses devoirs, sa langue, son imaginaire, et cela dès l’enfance. » Gabriel Attal, lui aussi, a vanté une « nation à nulle autre pareille », affirmé que « nous avons une identité et des valeurs », refusé justement « que notre identité puisse se diluer ou se dissoudre ». « La France rime avec puissance », revendique le jeune chef du gouvernement, elle est « un repère, un idéal et un héritage moral ».

Tout cela est bel et bon, mais au-delà de « valeurs républicaines » invoquées jusqu'à plus soif, on peinait à trouver de la sève dans le discours du Premier ministre sur l'identité française. Pour comprendre ce qui constitue l'âme tricolore, il n'est pas inutile de se replonger dans les écrits d'Ernest Renan, qui dans Qu'est-ce qu'une nation (1882) théorise la conception française de la nation. Renan nous dit : « La nation, comme l’individu, est l’aboutissant d’un long passé d’efforts, de sacrifices et de dévouements. Le culte des ancêtres est de tous le plus légitime ; les ancêtres nous ont faits ce que nous sommes. Un passé héroïque, des grands hommes, de la gloire (j’entends de la véritable), voilà le capital social sur lequel on assied une idée nationale. Avoir des gloires communes dans le passé, une volonté commune dans le présent ; avoir fait de grandes choses ensemble, vouloir en faire encore, voilà les conditions essentielles pour être un peuple. »

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Une déclaration de politique générale appelant la France à « regarder en face l'avenir qui se dessine devant elle » aurait été le moment idéal pour cet exercice n'ayant rien de passéiste. Las ! Pas trace de Victor Hugo ni de Molière, ni de Charles De Gaulle ni de Jean Jaurès, ni de Voltaire ni de Montaigne dans la logorrhée primo-ministérielle. On l'a compris, Gabriel Attal a promis « de l'action, de l'action, de l'action », et place davantage son mandat sous le signe de la performance concrète que de la réflexion en profondeur. Mais à refuser d'inscrire sa politique dans une trajectoire historique, le Premier ministre risque de promouvoir une République du vide.


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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne