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Nathan Devers
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Pascal Italo - Editions Albin

"Les Liens artificiels", de Nathan Devers : quand la littérature s'empare des Metavers

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Le jeune et prometteur écrivain Nathan Devers est philosophe de formation, et son nouveau roman flirte avec les rivages de la métaphysique : une plongée dans l'Internet des univers parallèles qui est le coup de cœur de notre chroniqueur Jean-Paul Brighelli.

Julien Libérat est un anti-héros exemplaire. Musicien raté, mauvais clone de Michel Berger, il est un amant déplorable, dont le couple sue l’ennui : « Ils avaient observé leur amour s’ennuyer devant eux, transformant l’instant en avenir et l’avenir en rien. » Vite quitté, il s’installe faute de blé dans les anciens champs de betteraves de la banlieue sud, à Rungis. Au bout de son désœuvrement, il entre un beau matin dans l’Antimonde, l’univers parallèle créé à partir de Google Maps par un génie du métavers, Adrien Sterner. « Le premier métavers grandeur nature. J’y ai reproduit la réalité, la vraie réalité, l’entière réalité dans ses moindres détails. Toutes les rues de toutes les villes de tous les pays du monde », imitées à l’identique. « Une planète B virtuelle où tout est bien meilleur que chez vous. » Oubliez l’Internet 2.0 et l’âge des réseaux sociaux ; apprenez à surfer dans l’Internet des univers parallèles, où s’immergeront les hikikomori de demain.

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Nathan Devers est philosophe de formation, et son récit flirte avec les rivages de la métaphysique – après tout, le métavers est un écho de ce qui fut « métaphysique » dans le classement des œuvres d’Aristote, sur les rayonnages de la bibliothèque d’Alexandrie. Adrien Sterner est le dieu de cet univers parallèle : erreur de débutant, il a d’abord donné le libre arbitre à ses créatures, mais « ressent une frustration croissante devant le peu d’imagination dont font preuve les avatars », qui « se vautrent dans la médiocrité ». Ça lui apprendra à faire confiance aux hommes. Alors, comme le dieu biblique, il commence à peser sur ses créatures…

La théorie des cordes enfin réalisée

Le récit commence l’année dernière... et s'achève à la fin de 2022 : la fable contemporaine devient uchronie , puis dystopie. L’Antimonde n’est qu’une étape, demain sera le Plurimonde, « un immense réseau interopérable qui contiendrait plein de métavers autonomes entre lesquels les joueurs pourraient évoluer » – comme dans un jeu d’échecs en x dimensions. Et d’invoquer Leibniz et « l’infinité d’autres mondes » qui sont également possibles et prétendent à l’existence. C’est la théorie des cordes enfin réalisée.

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Les Liens artificiels est le roman d’un monde où l’inaction est la sœur du rêve ; où Narcisse est fasciné par le reflet que lui renvoient les machines ; et où la manie du selfie témoigne de la mort du Moi. Inutile d’être un geek pour en goûter le charme vénéneux : loin de nous assommer de concepts informatiques réservés aux seuls initiés, Devers use d’une langue fluide, classique, traversée de poèmes à la surréalité discrète. Ce n’est pas l’un des moindres charmes de ce récit que de nous amener à lire de la poésie, nous qui désormais en consommons si peu. C’est qu’au commencement était le Verbe – et à la fin aussi : Les Liens artificiels est la grande revanche des littéraires sur les informaticiens.

Les Liens artificiels de Nathan Devers, Albin Michel, 328 pages, 19, 90 €

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne