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Accusations de viol, déprogrammation… : le film "Les Amandiers" et l'acteur Sofiane Bennacer au cœur du scandale
Sofiane Bennacer.
LOIC VENANCE / AFP

Accusations de viol, déprogrammation… : le film "Les Amandiers" et l'acteur Sofiane Bennacer au cœur du scandale

Récit

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Le film « Les Amandiers », qui vient de sortir dans les salles, se retrouve au cœur d'une forte polémique. Son acteur Sofiane Bennacer est mis en examen pour viols. Une partie de l'équipe dénonce une omerta sur le tournage. Des salles de cinéma l'ont déjà déprogrammé.

Les Amandiers, sorti en salles le 16 novembre, promettait de décrire « la fureur de jouer », comme l'écrivait Marianne. Un film mis en scène par Valeria Bruni-Tedeschi en forme d'hommage-critique rendu au cinéaste Patrice Chéreau et à son école des Amandiers de Nanterre (1986-1987), dans laquelle la réalisatrice a fait ses classes. La promesse s'est muée en scandale lorsqu'un article du Parisien (22 novembre) puis une enquête fouillée de Libération (24 novembre) ont dévoilé plusieurs plaintes pour viols et violences physiques à l'encontre de l'un des acteurs principaux, l'étoile montante Sofiane Bennacer, 25 ans, placé sous contrôle judiciaire. De quoi pousser l'Académie des César à évincer ce dernier de la sélection des 32 révélations pour la cérémonie de 2023. On résume l'affaire.

Plusieurs plaintes pour viols

En 2018, Sofiane Bennacer est étudiant à l’école de Théâtre La Filature à Mulhouse (Haut-Rhin), une classe préparatoire aux concours des écoles d’art dramatique. Il y rencontre, à l'été, Romane [le prénom a été modifié, N.D.L.R.], avec qui il entame une relation amoureuse, ponctuée de « crises de violence », la jeune fille étant alors « très fortement sous l’emprise de Sofiane » qui la dénigrerait publiquement, affirme l'enquête de Libération. Quelques mois plus tard, au printemps, les deux étudiants rompent, à l'initiative de l'acteur, toujours selon le quotidien. Lui intègre l’école du Théâtre national de Strasbourg (TNS). Romane reste encore un an à Mulhouse avant de rejoindre, à son tour, l'institution strasbourgeoise. Et de confronter, un soir de janvier 2021, son ancien petit ami aux tourments qu'il lui aurait fait subir, l'accusant entre autres d'un viol.

Sofiane Bennacer se tourne alors vers la direction du TNS afin de dénoncer les « accusations diffamatoires » de Romane. Convoquée par le chef d'établissement, Benjamin Morel, cette dernière maintient sa version. Le 5 février, elle dépose plainte pour viol, procédure dont la direction aurait été informée, selon Libération. Dans la foulée, l'institution, au titre de l'article 40 du Code de procédure pénale, fait un signalement au procureur de la République et Sofiane Bennacer démissionne du TNS.

Mais Romane ne serait pas la seule. À la suite de sa plainte, trois autres ex-compagnes de l'acteur ont elles aussi témoigné de viols et de violences physiques auprès des enquêteurs. Le tout aboutissant à la mise en examen de Sofiane Bennacer, en octobre 2022, pour viols sur deux des plaignantes – dont Romane –, pour violences physiques sur une troisième, et à son placement sous statut de témoin assisté concernant la quatrième.

Omerta sur le tournage ?

Si la justice suit son cours, il est aujourd'hui reproché à la production des Amandiers de ne pas avoir pris en compte les « rumeurs » – termes utilisés par Valeria Bruni-Tedeschi et les producteurs – qui couraient sur le compte de Sofiane Bennacer. Pis, certains accusent la réalisatrice d'avoir couvert l'acteur. Dans une seconde enquête, Libération raconte le climat délétère qui s'était installé sur le plateau du tournage. « On avait l’impression d’être enfermés dans ce secret dont il ne fallait pas parler », témoigne une technicienne. Car la cinéaste, décrite comme « la compagne » de Bennacer par le parquet de Mulhouse et entendue comme témoin dans ce dossier, aurait été alertée dès les auditions, en février-mars 2021, de la plainte pour viol qui visait l'acteur. Ainsi, une ancienne condisciple du TNS raconte avoir refusé de donner la réplique au comédien, prévenant l'assistante de casting des accusations dont il était l'objet. Elle passera en définitive une audition avec Bennacer, racontant avoir été « forcée ».

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« [Valeria Bruni-Tedeschi] nous a dit qu’il ne fallait pas que Sofiane sente que l’équipe était au courant ou que ça change nos comportements », raconte à Libération une alternante sur le tournage. Lorsque les locaux de la Maison des arts de Créteil sont recouverts de slogans féministes visant à dénoncer l'embauche de l'acteur – « Production complice », « Plainte en cours, ils n'en ont cure » –, la réalisatrice rappelle à ses équipes le principe de « la présomption d'innocence ». Du côté de la production, si on reconnaît l'existence d'une « rumeur concernant une soirée avec son ancienne petite amie du TNS, qui aurait mal tourné avec un comportement violent de Sofiane », on jure cependant n'avoir pas été mis au courant de la plainte avant le début du tournage, ni même que les accusations tenaient du viol. Ce que démentent le directeur du TNS (contacté par les producteurs fin mai) et une des actrices du film, contactés par Libération. « Je comprends qu’on ne puisse pas condamner quelqu’un sans décision de justice, commente un régisseur, également joint par le quotidien. Mais on n’avait pas à subir le fait de travailler avec lui sans savoir. »

Carla Bruni s'en mêle

À sa sortie en salles, le film, et notamment la performance de Sofiane Bennacer ont été salués par la critique. Mais dans une période encore secouée par le mouvement #MeToo, les accusations pesant sur le jeune homme – qui les nie en bloc – ont poussé l'Académie des César à le retirer de la liste des 32 révélations pour la cérémonie de 2023. Dans les cinémas, la diffusion des Amandiers fait débat. Le Concorde à la Roche-sur-Yon (Pays de la Loire) a fait le choix de la déprogrammation. En 2019, ils avaient également retiré de l'affiche le film J'accuse de Roman Polanski, lui aussi visé par de graves accusations. À l’Écran de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), la question a tourmenté son directeur. « Finalement, je le mets de côté le temps d’organiser un temps de parole, de réflexions pour l’accompagner. Je n’appelle pas à la censure mais défends la liberté d’expression dans les deux sens. Qu’on le veuille ou non, le film est entré dans le débat public », a témoigné le directeur de l'établissement à Libération.

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Les soutiens de l'acteur n'en restent pas pour autant silencieux. La réalisatrice a publié un communiqué dans lequel elle dénonce « un pur lynchage médiatique, procédé très éloigné d’une volonté d’informer de façon objective et impartiale ». Sa sœur, Carla Bruni, y est aussi allée de son couplet sur Instagram. L'ancienne première dame s'indigne contre Libération, fustigeant que l'hebdomadaire ait pu titrer sur « l'affaire Bennacer » le 24 novembre, et apportant son « soutien absolu à [s] a sœur ». « Cela fait bien 40 ans que Libé nous donne des leçons de morale mais visiblement la présomption d’innocence lui est tout à fait étrangère. Condamner à la une d’un journal, de nos jours, c’est condamner tout court. C’est crucifier quelqu’un, sans même savoir ce qu’il en est vraiment. C’est bafouer l’un des fondements de nos démocraties. Honte à toi Libération. » Oubliant quelque peu un autre fondement de notre démocratie : celui de la liberté de la presse.

La bande-annonce du film Les Amandiers :

Une autre réalisatrice, Andréa Bescond, a elle oublié un autre fondement, celui de l'État de droit en prenant une position inverse, contre Sofiane Bennacer : « Il n’y a pas de présomption d’innocence quand il y a tant de personnes qui témoignent ».

Pendant ce temps, les chiffres du box-office ne semblent pas soumis au scandale. Le film devrait atteindre le score plutôt modeste mais pas honteux de 200 000 entrées au final, après avoir enregistré une baisse de 40 % de sa fréquentation d'une semaine à l'autre, ce qui est une tendance classique pour ce genre de long-métrage.

Mise à jour 29 novembre, 16h45 : contrairement à ce que nous avons écrit dans un premier temps, le cinéma Le Concorde (La-Roche-sur-Yon) a bien retiré de l'affiche le film J'accuse en 2019.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne