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Ces médecins qui vaccinent (discrètement) des moins de 55 ans avec AstraZeneca
Certains médecins continuent de vacciner leurs patients de moins de 55 ans avec les produits d'AstraZeneca et de Pfizer, malgré la recommandation contraire des autorités sanitaires.
AFP

Ces médecins qui vaccinent (discrètement) des moins de 55 ans avec AstraZeneca

C’est pas bien

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Depuis mi-avril, il n’est pas recommandé d’injecter les vaccins à adénovirus, c’est-à-dire Johnson & Johnson et AstraZeneca, à des personnes de moins de 55 ans. Mais certains professionnels de santé ont décidé d’outrepasser la règle...

« Des fois, en tant que médecins, il faut bien qu’on prenne les devants, qu’on décide par nous-mêmes », souffle à Marianne un médecin généraliste parisien. Dans son centre de vaccination du sixième arrondissement de la capitale, il a injecté cette semaine plusieurs doses du vaccin Johnson & Johnson à des patients de moins de 55 ans. Contre l’avis de la Haute autorité de santé… mais « sans état d’âme ».

Depuis son arrivée en France en avril, le produit est recommandé uniquement aux plus de 55 ans. Tout comme son jumeau, AstraZeneca, depuis le mois précédent, du fait d’un « potentiel surrisque » de thrombose veineuse cérébrale lié à l’injection. Certains continuent cependant à piquer les publics plus jeunes, notamment pour éviter le gâchis de doses. Mais aussi parce qu'ils jugent la décision des autorités sanitaires abusive.

Risque faible

Le risque est en effet extrêmement faible. Le 13 mai, l’ANSM rapporte 42 cas de thrombose atypique, dont 11 décès, sur les 4 294 000 injections réalisées depuis le début de la campagne. Soit environ un décès sur 390 000 piqûres. « Alors le réserver aux plus âgés est une décision excessive », martèle le médecin de la capitale.Ce qui justifie, selon lui, de vacciner les intéressés.« À partir du moment où le risque n’est pas majeur pour le patient, il n’y a pas de mal, le bénéfice l’emporte largement ». Il n’est pas le seul à assumer que l’absurdité de l’interdiction le pousse à sortir des clous. « Un médecin proche du syndicat m’a dit cette semaine que si des patients de moins de 55 ans lui demandaient des premières injections avec AstraZeneca, il le ferait », note Jacques Battistoni, président du syndicat de médecins généralistes MG France.

Pour les patients, c’est aussi parfois le refus de « mélanger » deux vaccins qui s’est révélé décisif. En effet, après la recommandation de réserver AstraZeneca aux plus de 55 ans le 19 mars, les autorités sanitaires ont décidé que les plus jeunes ayant reçu une première dose de cette formule recevraient un rappel avec Pfizer ou Moderna. Un procédé efficace et sans risque. En effet, plusieurs études ont simplement montré une légère augmentation d'effets secondaires sans gravité et disparaissant spontanément. Mais certains patients sont réticents. Jacques Battistoni, également médecin généraliste, raconte qu’une de ses patients a tenu à ce que lui soit injecté le même vaccin, soit AstraZeneca pour son rappel, malgré ses 45 ans.

Réalité du terrain

Même scénario pour Virginie, 51 ans. « J’ai reçu ma première injection mi-mars, quand des cas de thrombose ont commencé à être rapportés, mais que le vaccin n’était pas encore suspendu », raconte Virginie, 51 ans. Pour son rappel, dix semaines plus tard, elle aurait donc dû recevoir un vaccin à ARN. Lorsqu’elle se rend, fin mai, chez le médecin généraliste qui lui a fait sa première injection, celui-ci la prévient qu’il n’a que des doses d’AstraZeneca à utiliser. « Je ne me suis pas spécialement posée de questions, j’ai accepté raconte Virginie. Au contraire, je crois même que cela m’a rassuré qu’il me propose cette formule, je n’aimais pas l’idée de mélanger les deux vaccins ».

« On a entendu tellement de choses dans les médias, on ne savait plus quoi penser. Là, avoir l’avis directement de mon médecin, c’était beaucoup plus rassurant », tranche Virginie, se réjouissant d’avoir été mise devant le fait accompli, « évitant toute hésitation ». « Tout s’est hystérisé au niveau européen, ça a pris des proportions incroyables on croulait sous les informations », tonne le médecin généraliste parisien. Des cafouillages qui poussent, selon lui, à ne pas se référer aux recommandations, mais plutôt à la réalité du terrain. Notamment lorsqu’il s’agit de ne pas gâcher des doses.

Gâchis de doses ?

Lorsqu’un flacon d’AstraZeneca est ouvert, les 11 doses qu’il contient doivent être écoulées dans les 48 heures. Idem pour Johnson & Johnson, avec cinq doses cette fois. « Je dois donc avoir 4 personnes à vacciner dans les deux jours si je fais une piqûre avec ce vaccin », explique le généraliste parisien. Comment les trouver s’il en manque ? « J’active le téléphone… », marmonne-t-il. Autrement dit : tout passe alors par le bouche-à-oreille.

Pour autant, il assure que la pratique n’est pas courante. « C’est dans des cas précis : quelqu’un qui veut aller à l’étranger et que le vaccin unidose arrange, par exemple raconte le médecin. On est stricts, mais si quelqu’un se pointe et qu’il a un peu moins de 55 ans, on le vaccine quand même avec Johnson », raconte le médecin parisien. Pour Jacques Battistoni, la pratique est « extrêmement difficile à évaluer », puisque tout se passe dans l'intimité du cabinet médical.

Les jeunes intéressés

Il se pourrait cependant qu’elle devienne plus courante dans les semaines à venir. Notamment parce qu’à l’approche de l’été, le vaccin unidose Johnson permet l’obtention rapide d’un passe sanitaire, obligatoire pour se rendre dans certains pays. Surtout, alors que ces deux vaccins sont réservés aux personnes les plus âgées, la proportion d’entre elles à être vaccinés est importante : 82 % des plus de 65 ans ont reçu au moins leur première injection. « Et parmi les restants, il y a très probablement une grosse proportion de réticents : ils ne veulent pas être vaccinés », estime Jacques Battistoni.

Celui-ci prévoit donc que d’ici deux ou trois semaines, la demande d’AstraZeneca et de Johnson & Johnson soit encore plus faible chez les plus de 55 ans. Le nombre de premières injections avec ce produit est déjà en chute libre : entre le 1 et le 7 juin, 15 000 premières piqûres d’AstraZeneca ont été réalisées, contre 660 000 entre le 9 et le 15 mars. Un grand nombre de doses pourraient alors peiner à trouver preneur, encourageant la vaccination des plus jeunes avec les vaccins à adénovirus. « Il y aura sûrement de plus en plus de jeunes intéressés, ça se fera tout seul », prédit le premier généraliste parisien interrogé.

Pas d'interdiction formelle

Quel risque encourt les professionnels de santé en ne respectant pas les recommandations ? La liberté de prescription autorise, en théorie, à vacciner les moins de 55 ans avec ces deux produits. « Tout cela n’est pas une interdiction absolue, c’est plutôt une précaution, qui souligne qu’il est préférable de ne pas le faire estime Jacques Battistoni, du syndicat MG France. J’ai tout de même mis en garde les médecins : si un patient a des effets secondaires et porte plainte, ils auront énormément de mal à se défendre alors qu’ils n’ont pas suivi les recommandations ». Cela pourrait alors avoir des conséquences sur le plan judiciaire.

Pas de quoi freiner notre médecin anonyme. « Je n’ai pas du tout peur de le faire assure-t-il. Quand j’injecte du Johnson à des moins de 55 ans, je le déclare à l’ARS : l'ordinateur me signale simplement rapidement que je ne suis pas dans la tranche d’âge, rien de plus ». Pourquoi vouloir rester anonyme, alors ? « Simplement pour éviter d’être la bonne adresse et de recevoir des dizaines d'appels » raille l'intéressé.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne