Mardi 25 mars, une professeure d'EPS du collège des Ormeaux à Fontenay-aux-Roses, dans les Hauts-de-Seine, a été agressée par trois élèves après leur avoir demandé de quitter le terrain qu'elle avait réservé pour son cours. Une semaine plus tard, l'enseignante est toujours en arrêt maladie. Les élèves et le corps enseignant, eux, sont encore sous le choc. « Marianne » s'est rendu sur les lieux pour recueillir leur témoignage.
Ce lundi 31 mars au matin, sur le terrain synthétique du gymnase du Parc de Fontenay-aux-Roses (Hauts-de-Seine), une dizaine de parents, seuls ou en couple, profitent des premiers rayons de soleil de la journée pour jouer au football avec leurs enfants. Une ambiance paisible et printanière qui contraste avec les événements de la semaine précédente. Quelques jours plus tôt, sur ce même terrain, un simple cours de sport a débouché sur une agression.
Le 25 mars dernier, en début d'après-midi, 78 collégiens des Ormeaux – deux classes de 5e et une classe de 6e – étaient réunis sur le terrain synthétique pour leur cours de sport, en partie occupé par trois adolescents de 13 et 14 ans. Deux d'entre eux sont d'anciens élèves des Ormeaux, le troisième y est toujours scolarisé. Mais les trois adolescents refusent de quitter le terrain malgré les demandes répétées de la professeure d'éducation physique et sportive (EPS). L'enseignante aurait alors récupéré puis lancé leur ballon sur la parcelle en travaux qui jouxte le terrain. Les adolescents l'auraient d'abord insulté et tenté de lui dérober ses affaires avant de s'en prendre physiquement à elle. Dans une tribune non publiée rédigée par le personnel enseignant du collège, que Marianne a pu consulter, des élèves auraient encouragé les agresseurs en criant : « C'est bien fait pour elle, cette sale pute ! »
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« Après de nombreuses insultes, les agresseurs lui ont sauté dans le dos, se sont accrochés à son cou dans un but de strangulation, et lui ont asséné plusieurs coups en la poursuivant sur une cinquantaine de mètres. Ils ont jeté ensuite son sac et son contenu dans la boue », relate encore le texte. Deux collègues de l'enseignante sont alors intervenues pour lui venir en aide, avant l'arrivée de la police municipale. La victime, qui enseigne dans ce collège depuis seize ans, est décrite par l'une de ses collègues comme « une figure du personnel du collège, dans lequel elle s'investit énormément ».
« Des profs ont pleuré pendant le discours de la directrice »
Le jour même, tous les élèves étaient renvoyés chez eux dès 15 heures de l'après-midi. Le lendemain, le collège était fermé pour permettre aux professeurs d'échanger sur l'événement. Le jeudi 27 mars au matin, tous les collégiens étaient convoqués par la directrice pour évoquer l'affaire. « Elle [la directrice] a surtout parlé de respect, et dit qu'agresser un professeur c'était comme agresser le collège. L’ambiance au collège est un peu bizarre, ce n’est pas revenu à la normale », raconte Romane, en classe de 4e. « Il y a des profs qui ont pleuré pendant le discours de la directrice », ajoute sa camarade Julie, 14 ans, avant de se rendre à leur cours de danse.
Dans la tribune, la communauté éducative se dit en « profonde sidération » face à l'événement, et alerte sur le « regain des violences dans la commune de Fontenay-aux-Roses et ses alentours ». Le 20 mars dernier, deux jeunes ont en effet été poignardés, dont un ancien élève du collège des Ormeaux, à la croisée de Fontenay-aux-Roses et Bagneux. « On nous a dit qu’elle allait très mal psychologiquement. On ne sait pas si elle va revenir », ajoute Kelyna, 13 ans, en 4e, quand on l'interroge sur l'état de l'enseignante agressée. Julie affirme l'avoir aperçue de loin dans la rue samedi dernier. « Elle était au téléphone, elle avait l’air bien. Mais mentalement, ça doit être très très dur », reconnaît-elle.
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« C’est quand même un choc pour les élèves qu’une professeure soit agressée. Pour les professeurs aussi. On se dit que ça peut arriver à nos parents et à nos profs, même dans la rue. Que quelque chose comme ça ait pu arriver ici, dans une ville assez calme, c’est choquant », abonde Kelyna. « C'est super choquant, ça ne devrait pas exister. C'est inquiétant, surtout pour les générations d'après », martèle Hanin, 15 ans, en 3e.
L'adolescent toujours scolarisé aux Ormeaux risque désormais le conseil de discipline. Romane, 13 ans, était à l'école primaire avec lui, et le décrit comme un « élève perturbateur ». « Il n'aime pas trop devoir respecter des règles, il ne parle pas trop. La dernière fois, il a fouillé le sac d'un professeur de mathématiques », affirme de son côté Fousseynou, 14 ans, qui était dans sa classe l'année dernière. « Ce sont peut-être des rumeurs mais apparemment, quand sa mère est venue le chercher, des gens ont dû intervenir pour qu’elle arrête de le frapper », explique Christophe (le prénom a été modifié), 48 ans, devant le gymnase du Parc, avant de remonter dans l'utilitaire municipal.
« Tous les jours des élèves insultent des professeurs »
Depuis l'agression, une cellule d'écoute a été mise en place au sein du collège avec des psychologues de l'Éducation nationale. « Beaucoup d'élèves y sont allés », affirmait ce matin l'un des médiateurs interrogé par Marianne. Pour les professeurs aussi, surtout, le choc est immense. « Ma professeure d’anglais est vraiment sous le choc. Je l'ai entendu dire : "Comment on peut rassurer les élèves si nous, on est aussi inquiets ?" », relate Kelyna.
« Tous les professeurs nous disent qu'ils ont peur que le collège devienne un lieu où il y a de plus en plus d'agressions. Ils sont vraiment blessés par ce qu’il s’est passé mardi », explique Julie. « Tous les jours, il y a des élèves qui insultent des professeurs parce qu'ils se font exclure de cours. Mais des agressions physiques, c’est rare. Moi j’ai jamais connu ça dans ce collège », ajoute-t-elle.
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Dans leur tribune, les enseignants concluent ne plus être « en mesure d'assurer pleinement la sécurité de leurs élèves ». « On accueille un public très mixte, les locaux ne sont pas adaptés, les couloirs sont très exigus alors qu'on a plus de 750 élèves. Cela fait deux ans qu’on va voir régulièrement le DASEN [directeur académique des services de l'Éducation nationale] pour avoir des moyens supplémentaires. On envoie presque quotidiennement des règles, des rapports, parce qu'il y a vraiment beaucoup d’élèves qui manquent de respect. La CPE est dépassée, elle ne peut pas gérer tous nos signalements », explique une professeure devant le collège, entre deux « bonjour » échangés avec ses élèves.
« On ne sait pas ce qu’il peut arriver pendant un cours »
« C'est beaucoup plus dur qu’avant de faire cours. Les élèves ont beaucoup de mal à se concentrer, à écrire, ils n'ont pas d'appétence pour la lecture et peu de curiosité intellectuelle. Ils acceptent de moins en moins la frustration, mais c'est aussi parce que beaucoup d'enfants ne vont pas bien. Certains ne mangent pas à leur faim, d'autres ne partent jamais en vacances. Tout ça n’arrive pas dans un vide. Comment les parents qui travaillent de nuit ou qui sont autant en souffrance peuvent bien s’occuper de leurs enfants ? », déplore-t-elle, la voix recouverte des cris des élèves impatients de sortir déjeuner.
La professeure raconte que les problèmes de comportement sont particulièrement fréquents depuis le début de l'année. « C’est usant, on ne sait pas comment on tient… On tient sur les nerfs. On ne sait pas ce qu’il peut arriver dans notre cours. La dernière fois, avec la classe de 3e, j’ai dû me mettre devant la porte parce que plusieurs voulaient partir avant la fin du cours. Certains savent qu’ils vont aller en filière professionnelle, donc ils n'en ont rien à faire », se désole la quinquagénaire. Avant d'ajouter : « Les AED [assistants d'éducation] sont aussi en arrêt maladie ». Une dégradation des conditions d'enseignement en partie imputable, selon elle, à la dévalorisation du métier d'enseignant dans les médias.
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Julie raconte que les deux anciens élèves à l'origine de l'agression – précédemment exclus pour des violences envers d'autres camarades – se trouvaient devant le collège vendredi dernier. « Ils attendaient leur copain, mais c’est super irrespectueux. D’autant plus qu’ils avaient l’air heureux et de s’en foutre. Ils n’avaient pas de remords. Limite, ils s’en moquaient. S’ils devaient le refaire, ils le referaient », estime-t-elle, avant de filer chez elle pour sa pause déjeuner. « Ses amis ont dit que c’était tant mieux parce qu’ils n'ont pas eu cours le mercredi », insiste Fousseynou. « Y en a à qui ça fait ni chaud ni froid cette histoire », reconnaît Romane, 13 ans.
Demain, la journée sera une nouvelle fois banalisée, pour que les professeurs puissent échanger des moyens à mettre en œuvre pour assurer leur protection. Il y sera sûrement question de la proposition de Laurent Vastel, le maire (UDI) de Fontenay-aux-Roses, d'équiper les professeurs de bipeurs d'alerte. « Un pansement sur une jambe de bois », juge une enseignante du collège.