Dans « la Fabrique de nos servitudes », le psychanalyste Roland Gori dénonce avec vigueur le contrôle exercé par le pouvoir économique et politique sur nos comportements et notre langage. Rencontre et explications.
Marianne : Vous n’hésitez pas à qualifier la société actuelle de totalitaire ; n’est-ce pas un peu outrancier ?
Roland Gori : Écoutez, il faut s’entendre sur les mots. Le totalitarisme dont je parle n’est pas celui des régimes politiques totalitaires que furent le nazisme, le fascisme et le stalinisme. Non, il s’agit d’un totalitarisme culturel, qui contrôle et normalise les populations et les individus par ce qu’on appelle le droit « mou », ces recommandations de comportements prescrites au nom de la sécurité et du bien-être. Le pouvoir pilote les conduites de vie par des communiqués qui sont autant de mots d’ordre, indiquant aux masses ce qu’elles doivent croire ou sont tenues de croire pour rester dans le jeu social. À la différence des sociétés disciplinaires qui enferment les individus (prisons, usines, écoles, hôpitaux…), nos sociétés de contrôle et d’information les placent sur des « autoroutes » de servitude, des programmes où ils sont en permanence surveillés, mesurés et guidés.
C’est ce qui explique votre méfiance envers l’économie comportementale. Pouvez-vous préciser ce point ?