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"Astérix & Obélix : L’Empire du milieu" de Guillaume Canet : il est pas frais, son poisson
PHOTOPQR/LA MONTAGNE/MAXPPP

"Astérix & Obélix : L’Empire du milieu" de Guillaume Canet : il est pas frais, son poisson

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N'en déplaise au sauveur autoproclamé du cinéma français, son « Astérix & Obélix : L’Empire du milieu » est un navet à 65 millions d'euros. La raison ? Une écriture défaillante, davantage soucieuse de la rentabilité commerciale que de la cohérence narrative.

Alerte ! Guillaume Canet a pris en otage le cinéma français. Son chantage ? Il faut absolument aller voir son Astérix & Obélix : L’Empire du milieu, dès sa sortie ce mercredi 1er février, sans quoi l’avenir des grosses productions « made in France » s’en trouverait compromis. « Un gros film français après la pandémie, est-ce que les gens y vont ou pas ? En sachant que s’ils n’y vont pas, les financiers qui ont investi sur ce film, ils ne vont pas re-financer un autre film comme ça, parce qu’ils ne prendront jamais ce risque-là », expliquait encore à Konbini le réalisateur du film , également interprète du guerrier gaulois. Et le sauveur autoproclamé du cinéma français d’ajouter : « Donc à partir du moment où on a fait des avant-premières, on a fait des projections test, et qu’on voit que quand même le film plaît, on se dit que si les gens ne viennent pas, ce ne sera pas à cause du film. » À cause de qui, alors ? Certainement de journalistes chafouins, forcément snobs et parisiens, dont l’intellectualisme leur interdit d’apprécier un film estampillé « comédie populaire ». C’est donc avec la désagréable impression de trahir la patrie que nous écrivons ces mots : L’Empire du milieu est un navet à 65 millions d’euros.

Que raconte ce film ? Il s'agit d'une histoire originale – attention spoiler – et non de l'adaptation d'un album. Nous sommes en 50 avant Jésus Christ, et, tandis que « toute la Gaule... », l’impératrice de Chine est emprisonnée à la suite d’un coup d’État fomenté par un noble rival, Deng Tsin Qin – « Dancing queen », vous l’avez ?

La princesse Fu Yi, sa fille, fuit la Chine dans les bagages du marchand Graindemaïs (Jonathan Cohen, impeccable dans le rôle de Jonathan Cohen), et atterrit en Gaule, où elle obtient l’aide d’Astérix et Obélix (l’excellent Gilles Lellouche, menhir qui cache la forêt). Ensemble, ils retournent en Chine pour mater la rébellion et délivrer l’impératrice. Hélas, Julie Chen n’a pas appris à jouer sur la route, et sa maîtrise du kung-fu ne suffit pas à le faire oublier. Deng Tsin Qin mise quant à lui sur l’aide militaire de l’orgueilleux César (Vincent Cassel), désireux de redorer son blason en conquérant quelques provinces, après sa rupture avec Cléopâtre (Marion Cotillard, pour la pointe d'humour autoréférencée).

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Sans inventer la poudre – les Chinois l’ont déjà fait – cette intrigue aurait pu être une charpente solide. Pourtant, la principale faiblesse du film réside bien dans son écriture. Guillaume Canet, Julien Hervé et Philippe Mechelen, qui signent à trois ce scénario, lancent des lignes sans jamais ferrer un poisson. Bien qu’Astérix soit présenté comme un héros doutant du mode de vie gaulois, honteux à l’idée qu’il ne doive ses exploits qu’à la potion magique, ce thème ne trouvera aucune résolution dans la suite du film. De même, Obélix est le protagoniste d’un arc « d’émancipation » – le grand enfant devient un adulte en rencontrant l’amour au cours du voyage – avant de revenir exactement là où il avait commencé. Astérix a lui aussi droit à sa sous-intrigue romantique, qui le met en concurrence avec Jonathan Cohen pour séduire la princesse Fu Yi, avant que celle-ci ne succombe à un personnage introduit dans les quinze dernières minutes de film parce qu’il est… blond.

Alors que la chair n’est donc pas de première qualité, le gras – pardon, « l’enrobé » – est partout. On pourrait intégralement supprimer les Romains de ce film sans que le récit ne change fondamentalement. Jules César – dont le nom fera l’objet de tous les calembours possibles, salade, césarienne, récompense cinématographique – le reconnaît lui-même : « C’est pas [s]a guerre. » Si les séquences d’explication de l’intrigue en voix off sont agrémentées de quelques gags bien trouvés, elles ajoutent à l’impression de pesanteur du film. Impression encore renforcée par des séquences strictement artificielles, seulement destinées à justifier la présence au casting de « guest stars » censées appâter le chaland – le film doit atteindre les 6 millions de spectateurs pour rentrer dans ses frais.

« Rafraîchir un peu la franchise »

Il faut caser Bigflo et Oli ? Le scénario fait un détour par le Maghreb pour les intégrer au forceps. Orelsan ? Astérix & Obélix prendront un bateau dont il sera capitaine. Laura Felpin ? Donnons-lui un rôle de danseuse féministe réclamant des tuniques plus longues… Seul Astérix aux Jeux olympiques a fait pire. La palme revient à l'apparation de Zlatan Ibrahimović, à qui le film consacre une séquence de cinq minutes le décrivant en Achille des légions romaines, avant de l’écarter de la bataille finale en raison d’une sortie sur blessure – parce qu’il est footballeur, wink wink. Dommage, il aurait pu, par exemple, servir d’antagoniste à Astérix dans un combat où ce dernier aurait triomphé sans l’aide de la potion magique, en authentique héros.

La qualité des costumes, la richesse des décors ou la crédibilité des effets visuels ne changent rien à ces lacunes narratives. Si Guillaume Canet brandit l’imprimatur donné par Uderzo au scénario comme preuve indéniable de la fidélité de son film à l’esprit de la bande dessinée, ses intentions d’auteur n’en sont pas moins floues. Toujours à Konbini, il raconte son excitation à l’idée de « faire des combats au câble avec des trucs de fou, des grandes batailles et tout ça » afin de « rafraîchir un peu la franchise », son envie de « faire un film spectaculaire, d’aventure, épique », mais également sa « volonté de véracité ». Celui qui considère Astérix et Obélix comme « nos super-héros à nous, nos Marvel », « voulait vraiment que le film soit réaliste dans les costumes, dans les décors, dans les effets spéciaux, qu’on ne soit pas dans le cartoon » et les « décors en carton-pâte ».

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Passons sur le fait qu’Astérix n’a rien du super-héros – il n’est que courageux et rusé, très loin de l’adolescent attardé joué par Guillaume Canet. Au milieu de ce grand fourre-tout, les personnages se retrouvent embringués dans des batailles dont le ton « sérieux » est en décalage total avec celui d’Astérix & Obélix : le spectateur sait pertinemment que la vie des héros n’est pas en jeu. Au cas où il l’oublierait, le réalisateur se charge de le lui rappeler en faisant toujours décoller les légionnaires romains façon Ariane V. La tension censée faire le sel d’un bon film d’aventure est totalement absente de ces scènes, de sorte que l’Empire du milieu, trop rarement drôle pour être une bonne comédie, finit par perdre sur tous les tableaux. Guillaume Canet peut préparer son boulier…

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne