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Les accords du Touquet sont accusés côté français d'alimenter la crise migratoire à Calais où la frontière ne cesse d'être sécurisée, sans endiguer la migration clandestine.
Les accords du Touquet sont accusés côté français d'alimenter la crise migratoire à Calais où la frontière ne cesse d'être sécurisée, sans endiguer la migration clandestine.
FRANCOIS LO PRESTI / AFP

Crise des migrants : peut-on dénoncer les accords du Touquet ?

Immigration

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Près d'une semaine après la mort de 27 migrants lors d'une tentative de traversées de la Manche, le gouvernement n'entend pas dénoncer les accords du Touquet, qui sont pourtant très contestés. Mais est-ce possible ?

Le gouvernement campe sur sa ligne. « Il n'y aura pas de remise en cause » des accords du Touquet sur la frontière franco-britannique, a martelé le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin, ce lundi 29 novembre. Les appels à la dénonciation de ces accords se font de plus en plus pressants, près d'une semaine après la mort de 27 migrants , péris dans le naufrage de leur embarcation de fortune alors qu'ils tentaient de traverser la Manche. Pour remédier à cette situation, il faut un « accord Union européenne et Grande-Bretagne » car « cela ne peut pas être un simple accord de réadmission de migrants sur le territoire » français, a déclaré Gérald Darmanin devant la presse lundi 29 novembre, en ajoutant que le Premier ministre Jean Castex écrirait à son homologue Boris Johnson pour lui proposer un accord.

Que prévoient ces accords ?

Signé en 2003 entre Paris et Londres, le principe du traité du Touquet est simple : le contrôle des personnes allant vers le Royaume-Uni doit être effectué en France et inversement. Le texte introduit notamment des bureaux de contrôle d'immigration communs, dits « juxtaposés », dans les ports de la Manche et de la Mer du Nord. Ces bureaux sont situés à Calais, Boulogne-sur-Mer et Dunkerque côté français et à Douvres côté britannique. Auparavant, la Grande-Bretagne contrôlait sa frontière à Douvres, où pouvaient se faire les demandes d'asiles.

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Lors de la signature du traité en 2003, la France et l'Angleterre entendaient déjà remédier à une situation de crise, cristallisée autour du centre d'accueil de Sangatte (Pas-de-Calais). Prévu comme un lieu de transit pouvant accueillir 800 personnes, le centre avait fini par en héberger plus de 1 600 migrants sans solution.

Pourquoi cela ne fonctionne pas ?

Si le traité du Touquet est relativement efficace pour les traversées légales de la frontière, il n'a jamais permis d'apporter une solution durable à l'immigration clandestine. Au contraire, il est accusé côté français d'alimenter la crise migratoire dans la région de Calais, en y bloquant des candidats à l'immigration vers le Royaume-Uni, attirés par une législation britannique jugée plus favorable en matière d'asile et d'accès au marché du travail.

Surtout, « ces accords remontent à une époque où l'on ne pensait pas qu'il y aurait une telle demande migratoire de l'Union Européenne vers le Royaume-Uni », constate le chercheur Patrick Martin-Genier, spécialiste des questions européennes et internationales, interrogé par Marianne. « Aujourd'hui, le rapport est totalement déséquilibré. La plupart des migrants quittent la France vers le Royaume-Uni mais la réciproque est extrêmement faible. De fait, la France est devenue le bras policier de la politique migratoire de l'Angleterre. C'est nous qui sous-traitons le problème », estime Patrick Martin-Genier.

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Pour pallier son inefficacité, le traité originel du Touquet a été complété par d'autres accords bilatéraux en 2009, 2010, 2014 et 2018, dans le sens d'un renforcement des contrôles et de la sécurisation par la France de la frontière. Une stratégie qui est aujourd'hui en échec. En contrepartie, le Royaume-Uni s'est engagé à verser une compensation financière à la France, qui fait aujourd'hui débat. Paris accuse Londres de ne pas lui avoir versé 63 millions promis au titre de l'année 2021-2022.

Peut-on dénoncer cet accord ?

Oui. Comme tout traité, celui du Touquet peut être dénoncé. La possibilité est même prévue par le texte, à son article 25  : « Le présent traité est conclu pour une durée illimitée et chaque partie peut y mettre un terme à tout moment en en informant l'autre par écrit par la voie diplomatique, laquelle prendra effet deux ans après la date de ladite notification ». Cette mesure est réclamée depuis plusieurs années par certaines associations de solidarité, comme France Terre d'Asile, ou par des institutions officielles, comme la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH).

Mais une fois le traité dénoncé, que faire ? « La clause de dénonciation des accords de Sangatte et du Touquet comporte une obligation de préavis de deux ans, propice à une démarche par étapes : deux ans pour négocier un partage de l’accueil des demandeurs d’asile et prévoir des critères », préconise un rapport de la CNCDH publié en 2021 . « La France pourrait utiliser, à titre transitoire comme en 2016, la clause humanitaire du règlement Dublin III pour prendre sa part dans l’accueil des personnes exilées sous procédure Dublin », ajoute la CNCDH qui appelle donc la France à accueillir une partie des migrants se trouvant à Calais, les autres ayant vocation à être accueilli au Royaume-Uni. En 2016, après le démantèlement de la jungle de Calais, des migrants ont en effet été pris en charge, logés et installés dans des communes françaises.

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Le parti Europe Écologie-Les Verts préconise également de dénoncer les accords et dans le même temps, selon Julien Bayou, « organiser des voies sûres de passage » des migrants et « organiser l'accueil à travers l'Europe, y compris avec nos désormais partenaires » britanniques, en « répartissant l'effort ». Plus radical, Xavier Bertrand, candidat à l'investiture Les Républicains pour la présidentielle et président de la région Hauts-de-France, dernier propose d'ouvrir complètement la frontière vers le Royaume-Uni. « On va arrêter de voir les migrants prendre des embarcations de fortune, on va les laisser prendre le ferry. C'est 15 euros, ça leur évitera le racket, la rançon des passeurs et ce sera dans d'autres conditions », a-t-il indiqué sur France Info ce lundi 29 novembre.

Une solution qui est déconseillée par Patrick Stefanini, ancien secrétaire général du ministère de l'Immigration sous Sarkozy (et directeur de campagne de Valérie Pécresse), interrogé par Marianne : « On peut dénoncer les accords et dire aux Britanniques qu'on contrôlera plus du tout la frontière. Mais on soulèvera deux problèmes : on aura un afflux massif de migrants qui se diront que la voie est libre. Et on risque d'avoir toujours des naufrages, on aura une responsabilité morale. » Un « appel d'air » que semble également redouter le gouvernement selon Le Monde . En guise de compromis, Gérald Darmanin annonce donc plaider pour une négociation en faveur d'un « accord équilibré qui offre de réelles solutions y compris aux problèmes de la France et de l'Europe », tout en renforçant les moyens de sécurisation de la frontière.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne