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Sanctions économiques : pourquoi l'Allemagne bloque l'exclusion de la Russie du réseau Swift ?
Olaf Scholz, le chancelier allemand, n'est toujours pas prêt à exclure la Russie du réseau Swift.
MARKUS SCHREIBER / AP/POOL / dpa Picture-Alliance via AFP

Sanctions économiques : pourquoi l'Allemagne bloque l'exclusion de la Russie du réseau Swift ?

Arme nucléaire financière

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Alors que la France milite pour l'adoption rapide de cette sanction radicale contre la Russie de Vladimir Poutine, l'Allemagne et d'autres pays européens sont plus réticents. Ils craignent de sévères répercussions sur leurs économies.

Swift : cinq lettres qui font figure « de toute dernière option » pour Bruno Le Maire. Signe de l'extrême gravité de la situation en Ukraine, le ministre de l'Économie vient d'annoncer, ce vendredi 25 février, que la France soutenait l'exclusion de la Russie du système de messagerie sécurisée de transactions bancaires Swift.

Cette décision est considérée comme une « arme nucléaire financière » par le locataire de Bercy. La manœuvre consisterait à tenter d'isoler les banques russes du reste du monde. Promu par le Royaume-Uni et mis sur la table par les États-Unis, cet outil a été écarté lors des dernières discussions européennes ce 24 février. Alors que la pression monte, l'Allemagne continue d'y mettre son veto.

Que veut dire : exclure la Russie du réseau Swift ?

Swift est l'acronyme d'une société basée en Belgique (« Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication »). Elle a été fondée en 1973 avec un principe simple : remplacer le télex par une messagerie électronique pour faciliter les transactions bancaires. C'est une messagerie qui centralise et sécurise les ordres de virements entre plus de 11 000 établissements bancaires dans le monde. La Russie est le deuxième pays au monde comptant le plus d'utilisateurs. Concrètement, c'est via Swift que passent les transactions des sociétés européennes lorsqu'elles achètent du gaz ou du pétrole en Russie.

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Déconnecter la Russie du réseau Swift est possible sur le plan technique. Dans un premier temps, le système bancaire russe serait contraint de tourner au ralenti et de trouver d'autres moyens pour faire des transactions avec l'étranger. Une telle décision est toutefois conditionnée à l'accord de la majorité des 25 administrateurs de la société, qui représentent les pays qui utilisent le réseau. Cela n'aurait rien d'inédit. La mesure a déjà été appliquée contre l'Iran en 2012, au début de son programme nucléaire. Une trentaine d'institutions bancaires, dont la Banque centrale, avaient été déconnectées. Selon le Carnegie Moscow Center, cette décision a fait perdre à la République islamique la moitié de ses revenus pétroliers à l'export et 30 % de son commerce extérieur.

Pourquoi l'Allemagne est réticente ?

C'est une arme à double tranchant. « Une suspension de Swift aurait des répercussions massives (...) pour les entreprises allemandes dans leurs relations avec la Russie, mais aussi pour régler les paiements de livraison d'énergie », s'est justifié ce vendredi 25 février le porte-parole du gouvernement allemand, Steffen Hebestreit. L'Allemagne et d'autres pays européens, comme la Hongrie et l'Autriche, craignent notamment des mesures de rétorsions alors que la Russie a laissé entendre qu'elle pourrait couper l'approvisionnement de l'Europe en hydrocarbures. « Conformément au principe de réciprocité, qui est à la base du droit international, nous prendrons des mesures de rétorsion sévères », a prévenu le ministère russe des Affaires étrangères dans un communiqué.

Or, l'Allemagne importe près de la moitié de son gaz de Russie. Ce même gaz alimente les centrales électriques qui font tourner l'industrie allemande. Très prudent par rapport aux conséquences économiques que pourraient avoir les sanctions prises contre Moscou, Olaf Scholz tire le frein à main et demande que l'arme Swift ne soit déclenchée qu'en dernier recours.

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Après avoir longuement tergiversé, le chancelier allemand (SPD) a réagi à l'invasion de l'Ukraine en suspendant la mise en œuvre de Nord Stream 2, le gigantesque oléoduc qui relie la Russie à l'Allemagne. Mais le Nord Stream 1 est toujours en fonctionnement et continue d'alimenter l'Europe et l'Allemagne en gaz. Les conséquences économiques pourraient aussi être sévères pour la France, qui est le premier employeur étranger en Russie avec près de 160 000 salariés, d'après une note de la direction générale du Trésor. « Les sanctions ne sont jamais sans conséquence mais nous l'assumons », a considéré Emmanuel Macron, dans son message au Parlement, ce vendredi 25 février.

Est-ce que ce serait efficace pour sanctionner la Russie ?

« L'effet aurait été dévastateur pour la Russie en 2014, lorsque l'exclusion des institutions russes a été évoquée pour la première fois après l'annexion de la Crimée », observe Yamina Tadjeddine-Fourneyron, professeure de sciences économiques à l'université de Lorraine, interrogée par Marianne. Selon le Carnegie Moscow CenterAlexei Kudrin, l'ancien ministre des Finances de la Russie, avait alors prévu qu'une telle décision pourrait entraîner une baisse du PIB de la Russie de 5 %.

« Depuis, après avoir pris conscience de la dépendance de ses banques au système Swift, la Russie a développé un système de messagerie alternatif qui s'appelle le SPSF. Il est opérant même si passer par Swift reste beaucoup plus facile et moins coûteux. Lors de sa mise en place, on a retrouvé des acteurs qui voulaient échapper au monopole de Swift, des banques indiennes, chinoises et même iraniennes. Cela permet potentiellement de contourner une exclusion du réseau Swift. À partir du moment où une banque serait sur les deux systèmes, un ordre de paiement pourrait partir d'une banque européenne par Swift pour aller vers une institution indienne, qui l'enverrait enfin à une banque russe par le SPSF », explique Yamina Tadjeddine-Fourneyron.

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Une entreprise occidentale pourrait donc continuer à acheter du gaz à une société russe. L'exclusion du réseau Swift risque de créer des systèmes concurrents, qui associeraient la Russie à des pays asiatiques ou africains. Ce qui serait sur le plan stratégique une mauvaise manœuvre. « En temps de guerre, on voit toujours des systèmes financiers alternatifs apparaître. Il pourrait y avoir aussi des contournements avec des transactions commerciales en cash ou avec des crypto-actifs », note l'économiste Yamina Tadjeddine-Fourneyron.

« Au fond, on parle de Swift pour ne pas attaquer plus globalement la circulation des biens et des valeurs vers la Russie », constate Yamina Tadjeddine-Fourneyron. Pour limiter les contournements, les pays occidentaux pourraient décider d'aller plus loin en sanctionnant tous les opérateurs ayant des relations commerciales avec des banques russes. Ce serait aller vers un véritable embargo contre la Russie, comme les États-Unis l'ont fait avec Cuba par exemple. Sauf que Cuba n'avait ni gaz, ni pétrole. « Pour l'instant, on ne voit que des sanctions a minima pour protéger les pays occidentaux contre les répercussions économiques. On peut difficilement aller au-delà sans subir nous aussi des dommages », estime Yamina Tadjeddine-Fourneyron. Aux dirigeants des pays occidentaux de trancher.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne