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Des RER dans 10 métropoles ? Macron a un train de retard
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Des RER dans 10 métropoles ? Macron a un train de retard

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A-t-il vraiment fallu attendre le flash visionnaire du président de la République pour penser à imiter « en province » le fonctionnement du réseau francilien, ou s’agit-il d’un énième coup de com’, lancé alors même que l’état du réseau ferré français se dégrade faute d’investissements suffisant ?

Un train peut en cacher un autre. Ce dimanche 27 novembre, Emmanuel Macron a pris de vitesse ministres, présidents de régions et cadres de la SNCF avec une annonce fracassante : le lancement de lignes de RER, pour Réseau express régional, dans dix métropoles françaises. « C’est un super objectif, pour l’écologie, pour l’économie et la qualité de vie », s’est félicité le chef de l’État dans une vidéo Youtube de questions-réponses avec les internautes consacrée à l’écologie. « Pour tenir notre ambition écologique, je veux qu’on se dote d’une grande ambition nationale, qui est, pour dix grandes agglomérations, dix métropoles françaises, de développer un réseau de RER, de train urbain. C’est se dire : au fond, le RER, ce n’est pas que sur Paris. Dans les dix principales villes françaises où il y a thromboses, où il y a trop de circulation, où les déplacements sont compliqués, on doit se doter d’une vraie stratégie de transports urbains », a-t-il expliqué. Mais a-t-il vraiment fallu attendre le flash visionnaire du président de la République pour penser à imiter « en province » le fonctionnement du réseau francilien, ou s’agit-il d’un énième coup de com’, lancé alors même que l’état du réseau ferré français se dégrade faute d’investissements suffisant ?

Pour commencer, de quoi parle-t-on exactement ? Emmanuel Macron n’a précisé ni calendrier, ni financement, ni même la liste des métropoles concernées par son grand projet. Une chose est sûre cependant, comme nous l’explique un expert du réseau ferré à titre officieux : « Il ne s’agit pas de faire de nouvelles lignes de train, en milieu urbain c’est absolument impossible compte tenu de la densité. » Aucun rail ne sera donc posé sur un nouveau tracé, le maillage du territoire étant déjà très dense. En fait, il s’agit surtout de réformer le fonctionnement actuel des trains, sur des voies déjà très fréquentées. « Un TER comme celui qui relie Lyon et Grenoble joue déjà sensiblement le même rôle qu’un RER. Ce sont des trains ‘de travail’. La seule différence, c’est que le RER est un système traversant, c’est-à-dire qu’un seul train relie la banlieue à la banlieue. On évite donc la perte de temps d’une rupture de charge – une correspondance, dans le jargon des cheminots, ndlr. »

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Pour reprendre le cas de la métropole lyonnaise, cela donnerait par exemple un RER allant de Bourgoin-Jallieu à Roanne avec des terminus à chaque extrémité de cette ligne, au lieu d’un terminus en gare de Lyon Part-Dieu. Autre nuance : le cadencement, garantissant une régularité à une fréquence donnée (un train toutes les 20 minutes, par exemple). « Sur le papier, il n’y a pas besoin d’infrastructures en plus, à part les garages en bout de ligne. Il faut 'seulement' faire en sorte que les rames qui dorment là-bas reçoivent l’entretien nécessaire », continue notre spécialiste. La difficulté de la mise en place d’un tel système réside davantage, selon lui, « sur ce qui roule que sur les voies ». Autrement dit, sur l’augmentation du nombre de trains et sur les agents requis pour les faire fonctionner compte tenu de la hausse de la demande qu’entraîne un fonctionnement type RER. Cette réforme, de nombreuses métropoles françaises l’ont déjà entreprise. C’est notamment le cas de Bordeaux, parmi les villes les plus avancées sur la question avec la ligne Libourne-Arcachon, mais également de Strasbourg, de Toulouse, de Lyon ou de Lille.

En avril dernier, le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, Laurent Wauquiez, promettait ainsi la création d’un réseau RER d’ici 2035, avec un budget maximum de 7 milliards d’euros. De même, le Réseau express Hauts-de-France, censé renforcer le réseau de transport entre Lille et les villes voisines du bassin minier (Douai, Lens, Arras, Tourcoing, Hénin-Beaumont, Béthune ou encore Seclin), fait office de serpent de mer depuis plus de dix ans : en 2010, déjà, la Région Nord-Pas-de-Calais projetait de lancer un RER de 10 à 13 rames avec un train toutes les 17 minutes. Le projet, relancé en 2020, aura été ralenti en 2015 par l’opposition des Verts, emmenés par une certaine Sandrine Rousseau, laquelle le juge trop coûteux et inutile. On repassera pour la disruption. Toutes ces métropoles se heurtent à la même difficulté : le manque de matériel et d’agents. « Strasbourg va lancer son REME – Réseau express métropolitain européen, dont le lancement est prévu ce 11 décembre, ndlr. –, mais il manque des conducteurs dans les trains, des aiguilleurs, du personnel dans les ateliers et des rames, souligne en off un agent de la SNCF. Contrairement au gouvernement, ces régions ont compris ces problèmes, mais elles font avec leurs moyens pour le parc de trains. Quant au recrutement, on est à la ramasse, faute d’attractivité d’un métier mal payé dont le statut est de moins en moins protecteur. »

Contraste

L’annonce clinquante d’Emmanuel Macron se heurte à une autre réalité : la dégradation progressive de l’état général du réseau français, dont l’âge moyen est de 29 ans en général et de 37 ans pour le réseau local. La Cour des comptes s’en alarmait encore dans un rapport de novembre 202 1. Les experts de la rue Cambon pointaient un sous-investissement chronique dans la rénovation des lignes. « Le réseau ferré national, encore insuffisamment entretenu et modernisé, peine à sortir de son état de dégradation ; cette faiblesse fragilise la qualité de service du transport ferroviaire français, voire l’expose au risque d’accidents graves, pointaient-ils. On observe certes une relative stabilisation de l’usure du réseau, mais dans des proportions ne permettant pas jusqu’à présent de combler le retard accumulé depuis des décennies. » La Cour relevait en outre ce chiffre percutant de plein fouet l’idée d’un réseau métropolitain « express » : sur 49 500 km de voies, 4 500 sont dans un état tel que les trains sont obligés de ralentir. Soit un peu moins de 10 % du réseau.

En février dernier, l’audition, par la commission de l’aménagement du territoire du Sénat , de Bernard Roman, président de l'Autorité de régulation des transports, n’a rien fait pour arranger le contraste entre la réalité décrite par les différentes expertises et « l’ambition nationale » du grand projet présidentiel. Interrogé sur le dernier « contrat de performance » (l’équivalent d’une loi de programmation) liant l’Etat et la SNCF, il répondait : « Devant le constat d'une détérioration rapide de l'ensemble du réseau, le précédent contrat de performance a porté cet effort à 3 milliards d'euros par an. (…) Six ans plus tard, un audit public a conclu qu'il faudrait mobiliser 3,4 milliards d'euros par an pendant dix ans pour simplement améliorer le réseau là où il doit l'être. Aujourd'hui, le projet de contrat de performance prévoit d'affecter les 2,8 milliards d'euros d'investissement consacrés annuellement à la régénération au seul réseau structurant. »

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Ces grandes artères sont classées sur un indice (l’échelle UIC) de 1 à 10 allant des lignes les plus fréquentées aux lignes les moins fréquentées. Devant les sénateurs, Bernard Roman expliquait ainsi : « La fiabilité du rail se mesure grâce à un indice de consistance du réseau. Cet indice est de 100 lorsque la ligne est neuve, 10 étant le seuil d'alerte absolu. Dès le niveau 40 ou 45, on ralentit. Or le contrat de performance prévoit que l'indice de consistance des lignes 5 à 6, qui se situe aujourd'hui à 55, devrait être de 45 à l'issue de la période. En d'autres termes, on acte le vieillissement et la dégradation des lignes 5 à 6 (…). » Mais tant que les métropoles vont bien…

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne