Accueil

Politique Le Pen
Constitutionnaliser la loi Veil ? Le (surprenant) revirement de Marine Le Pen en matière d'avortement
De gauche à droite, le député de la Somme Jean-Philippe Tanguy et la présidente du groupe RN à l'Assemblée, la députée du Pas-de-Calais Marine Le Pen.
Geoffroy VAN DER HASSELT / AFP

Constitutionnaliser la loi Veil ? Le (surprenant) revirement de Marine Le Pen en matière d'avortement

Avortera, avortera pas

Par

Publié le

Marine Le Pen, qui dénonçait en 2012 « les avortements de confort » et s'est toujours montrée sceptique vis-à-vis de la constitutionnalisation de l'IVG, vient pourtant de proposer un amendement allant dans ce sens. Au détail près que celui-ci mentionne les quatorze semaines réglementaires pour avorter.

C'est à n'y plus rien comprendre. En 2012, Marine Le Pen dénonçait « les avortements de confort ». En février 2022, la députée du Pas-de-Calais votait contre l'allongement du délai d'IVG à quatorze semaines de grossesse. Il y a deux semaines, dans un entretien au Journal du dimanche, celle-ci réitérait son refus de voter l'inscription de l'IVG dans la Constitution. Virage à 180°, ce lundi 21 novembre : l'élue a déposé un amendement visant à constitutionnaliser la loi Veil de 1975, jusqu'à présent inscrite au Code de la santé publique.

Pour justifier ce revirement, l'ancienne présidente du RN dit s'inquiéter des « propositions de modification de la Constitution proposées par la France Insoumise ou par les macronistes de Renaissance pour inscrire un droit à l’avortement dans la Constitution » dont la formulation, jugée trop vague, viendrait « clairement rompre l’équilibre qui existait » sur la question de l'avortement, précise un communiqué de presse.

A LIRE AUSSI : Enquête IVG : qui sont ces jeunes Français anti-avortement ?

Le texte de LFI – amendé par Le Pen –, qui a reçu un avis favorable du gouvernement en commission et sera soumis au vote des députés le 24 novembre, propose de rajouter un alinéa 2 à l'article 66 de la Constitution, prévoyant que « nul ne peut porter atteinte au droit à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception » et que « la loi garantit à toute personne qui en fait la demande l’accès libre et effectif à ces droits ». Un texte quasi similaire, émanant de la majorité cette fois et qui ne mentionne cependant pas la contraception, doit être débattu le 28 novembre.

« Il n'y a que les cons qui ne changent pas d'avis »

Pour l'ex-présidente du RN, ces propositions de loi pourraient engendrer « une augmentation, voire [...] une disparition des délais » et une remise en cause de « la clause de conscience existant pour le personnel médical ». Seule solution à ses yeux : « monter au niveau constitutionnel les dispositions actuelles » afin de ne les rendre « modifiables, dans un sens ou un autre, que par une réforme constitutionnelle ». En d'autres termes, mentionner le délai de quatorze semaines dans le texte.

Le raisonnement est quelque peu tiré par les cheveux. D'abord du fait des positions passées de Marine Le Pen en matière d'avortement. En 2002, le programme présidentiel de ce qui était encore le Front national promettait que « les lois sur l’IVG seront abrogées » afin de préserver « le bien commun de notre pays ». « MLP » s'était personnellement positionnée, en 2012, contre « les avortements de confort », « un moyen de contraception » qu'elle souhaitait « dérembourser ». « C'était il y a dix ans et il n'y a que les cons qui ne changent pas d'avis », défend aujourd'hui un député RN.

A LIRE AUSSI : Jordan Bardella, président de la "re-radicalisation" du Rassemblement national ?

Sauf qu'en matière de constitutionnalisation de l'interruption volontaire de grossesse, le changement de braquet de Marine Le Pen est tout de même bien plus récent. D'abord hésitante comme elle le confiait au Monde en juin, l'ex-candidate à la présidentielle s'est ensuite montrée sceptique quant à l'inscription dans la constitution du droit à l'IVG. Mise sur la table par Aurore Bergé (Renaissance), la proposition avait été faite en réaction à l'annulation, aux États-Unis, de l'arrêt Roe v. Wade le 24 juin, qui garantissait jusque-là aux femmes américaines l'accès à l'avortement.

Nous ne sommes pas les États-Unis. Aucune formation politique en France ne réclame la suppression de ce droit. Je ne comprends pas bien du coup à quel danger doit répondre cette demande de constitutionnalisation », répondait, mi-novembre, Marine Le Pen au JDD pour justifier le statu quo. Une déclaration tenue quelques jours après l'adoption en commission de la proposition de loi de Renaissance le 9 novembre. La chronologie a son importance : elle disqualifie l'argument des députés RN selon lequel Marine Le Pen aurait changé son fusil d'épaule immédiatement après avoir découvert le contenu des textes la majorité et de LFI.

D'autant que Marine Le Pen n'a pu ignorer les quatre amendements déposés par les députés de son groupe Timothée Houssin et Marie-France Lorho – apparentée – lors de l'examen du texte porté par Aurore Bergé. Retirés à la dernière minute, comme l'a révélé le JDD, leur contenu n'est pas connu ; Houssin plaidant une « erreur de manip du collaborateur » et jurant ses grands dieux ne pas avoir voulu en déposer.

Esquiver les questions sociétales

Mais le revirement de l'ancienne présidente du RN est aussi en rupture avec son refus systématique de se positionner sur les questions sociétales. Ne réclamait-elle pas, dans son programme présidentiel, « un moratoire de trois ans » sur ces sujets « pour préserver l'union nationale », tout en prônant la mise en place du référendum d'initiative citoyenne (RIC) au cas où les Français souhaiteraient tout de même s'en saisir ?

« La France est déjà dans une telle situation, on ne va pas rajouter du bazar au bazar avec les questions sociétales », glissait à Marianne début novembre un cadre frontiste pour justifier la désertion de ce champ par le RN. D'autant que le « bazar » pourrait menacer le parti lui-même, alors que les positions des uns et des autres sur la corrida, la fin de vie ou encore l'IVG sont pour le moins éclectiques.

A LIRE AUSSI : Rassemblement national : avec Laure Lavalette, le retour du FN à la papa

À l'Assemblée, certains députés du parti à la flamme ont longtemps ferraillé contre l'interruption volontaire de grossesse. Pour n'en citer que deux, Caroline Parmentier, ancienne attachée de presse de « MLP » et ex-journaliste chez Présent, quotidien catho-tradi tendance ultraconservatrice, comparait en 2018 les 200 000 avortements annuels recensés en France à un génocide ; l'étoile montante du Var Laure Lavalette, signait, elle, une charte de l’association Choisir la vie en 2014, demandant aux élus locaux de soutenir les candidats prêts à « abroger, à terme, le droit à l’avortement » – signature depuis regrettée par l'élue, qui se déclarait néanmoins hostile à la constitutionnalisation proposée par Aurore Bergé, comme le racontait Marianne dans un portrait consacré à la frontiste.

« Chacun est libre de voter pour ou contre mais c'est un sujet naturellement très clivant, reconnaît le député RN interrogé par Marianne. Et même si le Sénat devrait a priori rejeter le texte, le sujet est là. Il fallait qu'on prenne position, notamment parce que nos adversaires nous prennent pour des anti-avortement. C'est faux, les députés RN ne sont pas nés en 1900, nous avons tous vécu ou connu des personnes ayant vécu un avortement. » Avant de préciser, au sujet de la proposition de loi de LFI : « Je pense que, globalement, les députés du groupe voteront contre. »

Votre abonnement nous engage

En vous abonnant, vous soutenez le projet de la rédaction de Marianne : un journalisme libre, ni partisan, ni pactisant, toujours engagé ; un journalisme à la fois critique et force de proposition.

Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne