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Valérie Pécresse.
Valérie Pécresse.
DENIS CHARLET / AFP

Valeurs républicaines : pourquoi Valérie Pécresse rejette le nom "Angela-Davis" pour un lycée de Saint-Denis

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Après cinq ans d'absence de patronyme officiel, le lycée Plaine commune de Saint-Denis, dit lycée polyvalent Angela-Davis, devra proposer un nouveau nom au Conseil régional. Ce dernier vient de rejeter le patronyme de la militante antiraciste américaine après que celle-ci a signé en 2021 une tribune fustigeant la « mentalité coloniale » française.

Les charmes de l'administration française. Alors que le lycée Plaine commune de Saint-Denis, dit lycée polyvalent Angela-Davis, était inauguré à la rentrée 2017, aucun nom n'a – officiellement – été attribué à l'établissement scolaire. La faute à une procédure longue et sinueuse, au Covid, mais aussi à la polémique suscitée par le choix du conseil d'administration de la structure éducative. Selon le processus habituel, celui-ci a attendu qu'élèves et équipe pédagogique aient pris possession des lieux pour se réunir, en 2019, afin de décider d'une liste de patronymes à soumettre à l'édile local d'alors, le communiste Laurent Russier, avant que celui-ci ne la transfère à son tour au Conseil régional d'Île-de-France – propriétaire des murs du lycée – en vue d'un vote du conseil régional pour entériner l'un d'eux. Le nom sorti du chapeau ? Celui d'Angela Davis, militante des droits civiques américaine, ex-membre des Black Panthers et sympathisante des régimes cubain et soviétique, largement plébiscité par le conseil d'administration. Mais loin de faire, aujourd'hui, consensus au sein du Conseil régional, dominé par la droite et présidé par Valérie Pécresse .

Il a fallu toutefois attendre quatre ans de plus pour que la majorité régionale se réveille. Mercredi 29 mars 2023, en commission permanente, le groupe présidé par le maire LR de L'Haÿ-les-Roses Vincent Jeanbrun, défendait un amendement visant à « modifier la dénomination » du lycée, arguant de la « défense de la laïcité », des « valeurs républicaines » et de la lutte contre « l’obscurantisme ». En remplacement, les élus de droite suggèrent le nom de Rosa Parks, autre militante antiraciste américaine.

La « mentalité coloniale » de la France

Ces derniers reprochent, entre autres, à Angela Davis d'avoir signé, en 2013, « une tribune contre l’interdiction du voile dans les crèches associatives ou d’avoir déclaré qu’une femme voilée pouvait être "plus féministe" qu’une femme qui ne l’est pas », rappelait Mediapart à la veille de la commission. Des positions antérieures au choix officieux de l'établissement et qui n'avaient pas posé vraiment problème lors d'une première tentative de délibération – annulée en raison de l'absence de certaines pièces d'ordre administratif – du Conseil régional, en 2020. « Pour moi, il n’y a aucun sujet. Le lycée s’appelle Angela-Davis, il a été nommé Angela-Davis, il n’y a pas de sujet », assurait Valérie Pécresse.

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Sauf qu'entre 2020 et 2023, la donne a quelque peu changé. En 2021, la militante antiraciste paraphait une tribune collective à la suite de la dissolution du Collectif contre l'islamophobie en France. Ses auteurs y fustigeaient « cette mentalité coloniale [qui] se manifeste dans les structures de gouvernance de la France, en particulier vis-à-vis des citoyen.ne.s et des immigré.e.s racisé.e.s (sic), comme en témoignent des mesures comme la dissolution du CCIF, et un ensemble de lois telles que la loi contre le port du voile, les lois sur l’immigration, la loi islamophobe contre le "séparatisme" ».

« Ce genre de prise de position pose problème », jugeait face aux élus, le 29 mars, Valérie Pécresse qui a retiré le rapport soumis par le CA du lycée afin que ce dernier soumette une nouvelle liste de nom, plus consensuelle. La présidente de région annonçait aussi « saisir personnellement le ministre de l’Éducation nationale et le préfet de région au titre du contrôle de légalité pour analyser cette question ». Remettant à encore plus tard le choix du nom de l'établissement, qui devrait, au plus tôt, être arrêté le 31 mai.

Pap Ndiaye saisi

« Le lycée ne sera pas débaptisé puisqu’il ne l’a jamais été », argue auprès de Marianne Vincent Jeanbrun qui défend son amendement : « Une personnalité comme Angela Davis, qui considère que la France a une politique coloniale et qu’elle propose des lois racistes, c'est inacceptable. Il y avait déjà des débats au moment où le rapport a été soumis en commission [en 2020] mais ses propos récents et ses prises de position vraiment choquantes, notamment sur la dissolution du CCIF… La nouveauté, c'est cela ! », avance-t-il, motivant également sa position par « la cabale » ayant conduit à l'assassinat de Samuel Paty en 2020, peu après la première réunion de la commission permanente sur la question.

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L'élu se félicite également que sa présidente ait saisi le préfet de région pour juger de la légalité du choix d'Angela Davis dans la mesure, notamment, où « le nom donné à un établissement doit être "inspirant" et concerner une personnalité ayant vraiment eu un parcours important et conforme aux valeurs de la République », dont la laïcité. D'autant plus qu'il est d'usage, par ailleurs, que les choix arrêtés en la matière se portent sur des personnalités mortes depuis au moins cinq ans, bien que cela ne soit pas entériné dans le droit.

Surtout, Vincent Jeanbrun, qui jure que son groupe « ne fait pas de politique » avec cette question, sera particulièrement attentif à la réaction de Pap Ndiaye, régulièrement taxé de « wokisme » : « On demande au ministre d'être en alerte sur ce sujet et de faire jurisprudence. À titre personnel, je suis curieux de voir quelle sera son évolution dans son parcours intellectuel. Que défendra-t-il ? Les personnalités et les réunions racisées ou l'universalisme républicain ? » Non, rien de politique on vous dit.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne