Accueil

Culture Télévision
La série "Filles du feu" en 6 épisodes est diffusé à partir de ce 28 août.
La série "Filles du feu" en 6 épisodes est diffusé à partir de ce 28 août.
France TV

"Filles du feu" sur France 2 : encore des sorcières à la sauce écoféministe

Série

Par

Publié le

Diffusée depuis ce 28 août, la mini-série « Filles du feu » raconte une chasse aux sorcières dans le Pays Basque au début du 17ème siècle. Prometteur… Et décevant : les six épisodes tombent rapidement dans le piège du récit « historique mais contemporain », revisitant maladroitement la figure des sorcières pour en faire des héroïnes « écoféministes ».

Des sorcières, encore des sorcières. Depuis 2018 et la publication de l'ouvrage de Mona Chollet, on n’en finit plus de les ériger en figures féministes jusqu'à la caricature. Nouvel exemple avec la mini-série diffusée depuis le 28 août sur France 2, Filles du feu. Le scénario : en 1609 au Pays basque, alors que les hommes du coin partent pour plusieurs mois de pêche à Terre-Neuve, le juge Pierre de Lancre vient poursuivre les sorcières qui prolifèrent ici. Les femmes sont alors pourchassées, traquées, leurs persécuteurs à l'affût du moindre signe d'une activité douteuse. Dans leur viseur : trois sœurs issues d’une lignée d’accoucheuses guérisseuses.

À LIRE AUSSI : Sandrine Rousseau préfère les sorcières aux ingénieurs : l'arnaque de l'écoféminisme

Commence alors une violente chasse aux sorcières pendant laquelle les bûchers s'enchaînent, alors que les femmes esseulées par le départ de leurs maris combattent ce juge impitoyable. Récit teinté d'un vernis historique puisque ce juge a véritablement existé. Sauf que la série reproduit tous les clichés qui entourent les sorcières ces dernières années : de la glorification de ces premières féministes, en passant par les martyres brûlées sur l’autel de l’émancipation, aux héroïnes d’un écoféminisme... anachronique.

Scénario prometteur

Filles du Feu est pourtant relativement bien documentée. Le juge Pierre de Lancre, auteur de plusieurs ouvrages à propos de la démonologie, est en effet l’un des principaux responsables de la vision tronquée et fantasmée des sorcières : des femmes séductrices, ensorcelantes, dansant nues autour du feu… Surtout, ce magistrat a été envoyé au Pays basque par Henri IV, en 1609, pour mener une commission d'enquête censée « purger le pays de tous les sorciers et sorcières sous l'emprise des démons », et y a mené la plus meurtrière des chasses aux sorcières de France.

« Les prisons se remplissent et les bûchers se multiplient, instaurant un climat de terreur qui pousse nombre d’habitants à s’enfuir de l’autre côté des Pyrénées, où s’active cependant aussi l’Inquisition espagnole » écrit ainsi Thibaut Maus de Rolley, professeur de littérature française et comparée en 2021. Il évoque 80 décès lors de cet épisode, certains historiens avancent un bilan encore plus lourd.

À LIRE AUSSI : Histoire des sorcières : comment les servantes du diable sont redevenues à la mode

Réécriture maladroite

La série est servie par les beaux panoramas du Pays basque – on voit à l’écran les grottes espagnoles de Zugarramurdi, surnommées « grottes des sorcières » ou encore le château médiéval de Cazeneuve – et un casting honnête : Bruno Debrandt (La faute à Rousseau Cain) prend le costume du juge Pierre de Lancre et Guillaume de Tonquédec celui du seigneur du coin, sa maîtresse étant incarnée par Michèle Laroque.

Sauf que c’est loupé. Il faut dire qu’avec des dialogues et des personnages aussi stéréotypés – la réalisatrice est, entre autres, ancienne scénariste de Plus Belle La vie… –, même un bon acteur pouvait difficilement briller. Le méchant juge est détestable en tout point, alors que la naïveté de la plus jeune des trois sœurs (Zoé Adjani) qui s’amourache de lui manque cruellement de nuances, malgré la performance louable de la nièce d’Isabelle Adjani.

À LIRE AUSSI : "Réinventer l’amour" : ni misandre, ni radical, on a lu le nouveau livre de Mona Chollet

Quant à Guillaume de Tonquédec, le costume de la fin de la Renaissance lui va beaucoup moins bien que celui du père de famille faussement strict de Fais pas, ci fais pas ça. Résultat : le malaise s'intensifie au fur et à mesure des épisodes tant on a l'impression d’avoir fait remonter le temps à un monsieur tout le monde de 2023.

Et c’est globalement le problème de toute la série : la transposition maladroite – et souvent grossière – de notre époque à la fin de la Renaissance : des dialogues inadaptés, une femme en pantalon… et pour faire bonne mesure, on saupoudre l'ensemble d'un peu de toutes les « problématiques » contemporaines, à commencer par le féminisme. Paroxysme de la caricature genre « empouvoirement » lorsque c’est une femme qui fait la leçon à une assemblée masculine en énonçant les lois du physicien Johannes Kepler en 1609 lequel affirme que la Terre tourne autour du Soleil.

Et un peu d’ésotérisme, s’il vous plaît

Preuve, évidemment, que ce sont les femmes qui détiennent la connaissance scientifique. Et surtout médicale ! Car ce sont elles qui savent guérir grâce aux soins de la nature, aux bienfaits plantes… Dès les débuts de la persécution, la plus grande des sœurs s’empresse d’ailleurs de détruire les plantations médicinales de sa mère brûlée sur le bûcher pour cacher ces remèdes artisanaux.

Voilà donc les sorcières revues à la sauce écoféministe : ces femmes qui communiquent avec la nature, connaissent mieux que les autres ses forces et secrets… La grand-mère (Angela Molina), en proie à des visions surnaturelles, dialogue même avec des abeilles. Un nouveau boulevard pour la promotion de l’ésotérisme moderne ? « Dans la série, on a voulu la montrer comme une femme dans son époque mais surtout comme une femme médecin. L’envie était d’aller derrière le cliché de la sorcière, de montrer qu’il s’agissait d’ostéopathes, de naturopathes, de guérisseuses », explique la réalisatrice Magaly Richard-Serrano à 20 Minutes .

Comme ça, c’est dit : pour la réalisatrice, les sorcières guérisseuses sont donc… l’ancêtre des médecins. A croire que l'on ne répète pas assez que les thérapies non conventionnelles de santé – de la naturopathie au magnétisme – n’ont pas de bienfaits prouvés, et peuvent même être dangereuses. Bref : série à regarder avec modération. Et à éviter si vous commencez à développer un penchant pour les huiles essentielles.

Votre abonnement nous engage

En vous abonnant, vous soutenez le projet de la rédaction de Marianne : un journalisme libre, ni partisan, ni pactisant, toujours engagé ; un journalisme à la fois critique et force de proposition.

Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne