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Le chef de l'Etat et la ministre de l'Education nationale ont lancé les écoles normales du XXIe siècle.
Le chef de l'Etat et la ministre de l'Education nationale ont lancé les écoles normales du XXIe siècle.
AFP or licensors

"Formations des profs : n’opposons pas la pédagogie au savoir académique"

L'œil d'Audrey Jougla

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Alors qu'Emmanuel Macron a lancé les « écoles normales du XXIe siècle », notre chroniqueuse Audrey Jougla, professeure de philosophie dans un lycée à Nantes, s'interroge sur la place qui sera donnée à l'impérative maîtrise des savoirs fondamentaux.

« Une école de l’exigence des savoirs » : c’est ce qu’a martelé Emmanuel Macron pour rappeler le cadre dans lequel s’inscrivent les « écoles normales du XXIe siècle » qui émergeront en 2025 pour former les enseignants.

De quoi interroger sur la place faite aux savoirs disciplinaires face à la formation pédagogique. Deux visions de l’enseignant s’affrontent, et derrière se trame l’inquiétude d’une baisse de niveau des professeurs.

La réforme promet d’améliorer la formation des futurs professeurs des écoles, en les préparant mieux au métier, juste après le bac, avec des licences dédiées intitulées - il fallait bien un acronyme - LLPE pour « licences préparatoires au professorat des écoles ». Pour les enseignants de collège et lycée, une licence propre à leur discipline verrait le jour avec des modules professionnalisants en son sein. Des intentions louables sur le papier.

Ces écoles vont-elles sacrifier le niveau des profs pour pallier le manque de recrues ?

Le terme d’écoles normales n’est pas anodin : gage de qualité et référence à la formation des enseignants mise en place en 1833, l’expression désuète renvoie à une volonté de cadre, un retour à la solidité de la formation, un appel à la reconnaissance d’un savoir-faire, aujourd’hui fortement dévalorisé. Ces écoles normales du XXIe siècle fondent la promesse de sérieux des enseignants, à une époque où la recrudescence de contractuels à la formation académique douteuse ternit l’image de la profession.

Mais peut-on être exigeant dans le recrutement lorsque le métier connaît une crise d’attractivité ? Ces écoles vont-elles sacrifier le niveau des profs pour pallier le manque de recrues ? À chaque rentrée les postes non pourvus aux concours (CRPE, CAPES, agrégation) résonnent comme un non-sens pour l’opinion publique, qui ne comprend pas pourquoi on manque de professeurs alors qu’il y a des candidats.

Les jurys des concours se doivent alors de maintenir un seuil d’exigence académique, face à un besoin flagrant de nouveaux enseignants. En 2021 la réforme des épreuves de CAPES affaiblissait déjà le poids des connaissances disciplinaires sous couvert de professionnalisation : aux oraux d’admission, l’épreuve « d’entretien personnel » remplace ainsi l’une des deux épreuves de discipline ; le commentaire de texte, par exemple, en philosophie, épreuve pourtant essentielle. L’APPEP, association des professeurs de philosophie du public, s’y était fortement opposée.

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Ces « écoles normales du XXIe siècle » se veulent plus adaptées à la préparation au métier : c’est-à-dire à son exercice face aux élèves. Des termes choisis qui recouvrent souvent un délitement de la maîtrise de sa discipline, au profit de formations en gestion de classe, en manières d’évaluer ou de sanctionner.

Les journées de formation des enseignants stagiaires (désignation des lauréats de concours lors de leur première année d’exercice) constituent une obligation et sont déjà axées sur des problèmes pratiques, essentiellement pédagogiques, ou encore des tours de tables de retours d’expériences.

Ces aspects sont importants mais restent largement tributaires de notre propre maîtrise académique. « Il faut que le maître lui-même soit tout pénétré de ce qu’il enseigne », affirmait Jean Jaurès dans sa Lettre aux instituteurs.

Maintenir l’excellence académique

Vouloir scinder les deux, choisir, ou pire, donner la priorité à une pédagogie supposée indépendante, risque de faire des professeurs de simples exécutants, et non plus ce qu’ils sont : des voies (x) de transmission de leur matière.

À la question « que transmet-on ? » on substitue insidieusement celle du « comment ? », en présupposant qu’il sera plus facile de recruter ainsi. Maintenir l’excellence académique c’est au contraire réaffirmer que le prérequis pour tout pédagogue est d’avoir incorporé les connaissances qu’il souhaite transmettre, au risque sinon de manquer d’assise. Espérons que les nouvelles écoles normales soient à cette image.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne