L'historien Éric Branca dresse le récit méconnu, voire secret, développé en longueur dans « L’ami américain, Washington contre de Gaulle » (Tempus, 2022), des rapports de force entre France-Allemagne et États-Unis après le Traité de l’Élysée (1963) dont Emmanuel Macron vient de célébrer les 60 ans. Il rappelle comment les États-Unis ont « tenu en laisse » les successeurs de Konrad Adenauer (Ludwig Erhard et Kurt Georg Kiesinger) pour les monter contre la France et inféoder l'Allemagne aux États-Unis. Stratégie dont nous subissons encore les effets aujourd'hui.
Éric Branca est l’auteur de L’ami américain, Washington contre de Gaulle (Tempus, 2022). Il vient d’achever une histoire secrète des liaisons dangereuses entre la Grande-Bretagne et l’Allemagne nazie : L’Aigle et le Léopard à paraître le 9 mars chez Perrin.
Marianne : Le 22 janvier 1963, le président de la République française Charles de Gaulle et le chancelier de la République fédérale d’Allemagne Konrad Adenauer signent le Traité de l’Élysée. Quelle était l’intention initiale, côté français, pour de Gaulle ?
Éric Branca : Il faut d’abord souligner que ce rapprochement, quand de Gaulle revient au pouvoir en 1958, n’avait rien d’évident. Entré à la Chancellerie dix ans plus tôt, Adenauer est le plus solide allié des Américains. Un pilier de l’Europe supranationale mise sur ses rails par Jean Monnet et Robert Schuman avec le soutien de Washington et, ne l’oublions jamais, de Pie XII et du Vatican, qui rêve d’un « nouveau serment de Strasbourg » entre les chefs de la démocratie chrétienne occidentale que sont Schuman en France, Gasperi en Italie et Adenauer en Allemagne. De Gaulle, de son côté, s’est opposé, en 1950, à la CECA (Communauté européenne du Charbon et de l’Acier) et a fait échouer la CED (Communauté européenne de Défense) en 1954. Il était, de ce fait, devenu l’homme à abattre, aussi bien pour Washington que pour le Vatican dont l’organe officiel, l’Osservatore romano, avait publié un article demandant aux catholiques de ne pas voter pour son mouvement, le RPF, aux élections législatives. C’est dire si les choses partaient mal !